Dear Darkness... (RP unique)

Les images étaient là. Ancrées en elle, la poignardant, la cisaillant de toute part. A chaque fois qu'elle croisait son reflet dans l'une des vitres de la maison, elle était un instant surprise de trouver sa peau intacte, vierge de toute meurtrissure. Ce pale et lisse épiderme ne reflétait en rien les tourments qui l'agitaient. Elle songeait que la douleur physique eut été un soulagement. Ou n'importe quoi susceptible de compenser cette agonie qui ne la quittait plus. Le repos n'existait pas pour elle. Elle ne pouvait dormir, comme tous les autres. Si elle s'essayait à s'y aider par des moyens médicamenteux, cela aurait tout sauf l'effet escompté. Non. Elle était condamnée au perpétuel tourment, privée d'une douce inconscience de quelques heures à peine, privée du pouvoir de l'oubli. Les images étaient là. Venaient à elle sans même qu'elle les convoque. Alors qu'elle les évitait, au contraire. Elle se rappelait de tout, dans le moindre détail. Jusqu'à cette lame, menaçant de percer sa chair. Elle avait eu connaissance de soi-disant armes capablesde contrer les esprits, mais tout portait à croire que ce n'était qu'une légende. Jusqu'à ce moment précis. Elle avait ressenti quelque chose qu'il lui semblait avoir oublié : le froid. Mais ce froid n'avait rien d'agréable. Un froid sombre, s'apparentant au vide et à la mort. Lui laissant imaginer ce qu'il adviendrait d'elle si ce métal froid venait à sa rencontre.

Mais ce n'était pas le pire.

Oh non.

Salem. Aleister. En les perdant, elle avait la sensation d'avoir tout perdu ce soir-là. Ses deux piliers. Ceux qui, sans qu'elle s'en rende compte, étaient devenus deux des personnes les plus importantes de son existence. Sans eux, cette maison n'était plus qu'un tas de murs et de pierres. A quoi bon ? A quoi cela sert-il ? Dans les pires moments, elle était prise de folles envies destructrices, ajoutées à celle que lui avait inspiré Sam, qu'elle ne pouvait oublier malgré ce qu'il s'était passé. A d'autres, elle errait. Rester éloignée était devenu son unique moyen de subsistance. Ici, tout lui était insupportable. Elle aurait tout donné pour tomber sur Salem en train de se soulager dans l'évier de la cuisine, ou Aleister ivre mort sur le canapé du salon. Tous ces comportements qui l'agaçaient tant auparavant lui manquaient terriblement aujourd'hui.
Le gouffre se refermait sur elle. Elle le sentait. Allongée, à regarder ce plafond dont elle imprimait la moindre fissure, la plus petite tâche. Elle aurait voulu s'y laisser absorber pour s'y perdre. Aleister, Salem. Où étaient-ils ? Car c'était là le pire. Ne pas savoir. Imaginer. Ils auraient pu se trouver n'importe où. On avait pu leur faire subir n'importe quoi. Elle aurait pu partager ses pensées avec les autres. Ariana, Novalee, Exekiel, Joe. Elle l'aurait dû. Elle en était bien incapable.

En vérité, elle se faisait peur. Elle marchait sur un fil. Un fil duquel elle pouvait tomber à tout moment, chutant inévitablement dans une fosse sans fond, où elle ne pourrait que se perdre. La frontière était si fragile entre raison et folie. En particulier pour un revenant, si susceptible de céder à des pulsions vengeresses. Des pulsions qui l’assaillaient, de plus en plus fréquemment. Elle se faisait peur. La graine de colère et d’amertume avait fini par germer. Elle pouvait la sentir de développer, prendre peu à peu possession de tout son être. Pour le moment, elle parvenait à la maîtriser, mais un jour viendrait, elle le savait, où la plante finirait par l’engloutir et la dévorer. Paradoxalement, cette perspective qui lui faisait si peur exerçait sur elle une sorte de charme envoûtant. Embrasser la colère dans son ensemble au lieu de la combattre. Elle s’était toujours raccrochée à son humanité, de toutes ses forces. Mais à quoi bon ? L’ombre était là, séduisante, emplie de promesses. Comment continuer à lui résister ? Elle était si lasse, si fatiguée. Elle était morte, et pourtant jamais sa carcasse ne lui avait semblé si pesante. Elle n’avait malheureusement pas le courage de demander à qui que ce soit de l’aider à la soutenir.

Les mots demeuraient prisonniers en elle, si bien qu’elle ne savait comment les extirper. Ce soir là moins que tous les autres. La Colère décida brusquement de se réveiller et de se faire entendre. Elle la sentit au plus profonde d’elle, alors qu’elle sortait ses épines et lui déchirait les entrailles. Elle se força à se lever et s’aperçut qu’elle tremblait. Elle se dirigea vers la salle de bain, prise de quelque chose qui ressemblait à une terrible nausée. Mais bien évidemment, elle était incapable de soulager son mal être d’une quelconque manière. Elle appuya ses deux mains sur le lavabo et ferma les yeux, respirant durant quelques longues minutes avant d’ouvrir le robinet. De ses mains, elle recueillit quelques précieuses gouttes limpides qui échouèrent sur son visage défait.

Ce n’est qu’alors qu’elle releva la tête et rencontra son reflet, ses yeux. Des pupilles désormais d’un noir d’encre. De nouveau, elle ferma les yeux. Lorsqu’elle les ouvrit, ses prunelles étaient de nouveau d’un vert émeraude. Que lui arrivait-il ? Etait-elle réellement en train de devenir complètement folle ? Il fallait qu’elle reprenne ses esprits, à tout prix. Elle glissait vers une route qu’elle ne souhaitait pas prendre. C’est alors qu’elle le vit, face à elle. Elle se recula horrifiée et le contempla durant de longues secondes.

Le miroir était fissuré.