Friendship never die || Coralice

Ca n’avait pas fonctionné. D’un coup, d’un seul, tous ses espoirs avaient été réduits à néant. Elle était condamnée. Pour une raison inconnue, on l’avait condamnée à errer sur cette Terre, probablement pour l’éternité. La vie l’avait quittée d’un coup, quelques semaines auparavant, et depuis elle n’avait cessé de marcher parmi les vivants, parmi ceux qui ne la voyaient pas. Que s’était-il passé? Qu’avait-elle fait? Elle avait beau y réfléchir, encore et encore, elle ne se souvenait de rien. Seule lui revenait la sensation de sa chute, de sa tête qui avait violemment heurté la table du salon, mais rien de plus. Elle savait que ce ne pouvait être qu’un accident, alors comment expliquer sa présence? Comment expliquer qu’elle se trouve encore ici, bloquée entre deux univers. On la pleurait alors qu’elle était toujours présente, mais incapable de communiquer avec qui que ce soit. La solitude était si écrasante qu’il lui semblait parfois qu’elle était sur le point de devenir folle. Communiquer avec son entourage, elle s’y était essayée, mais nul ne l’entendait vraiment. Ses proches étaient, pour la plupart, humains, et peu sensibilisés aux manifestations surnaturelles. C’était alors qu’elle s’était tournée vers Alice. Alice, la belle Alice, son amie Alice, celle qui un jour lui avait sauvé la vie alors même qu’elle ne la connaissait pas. Si elle s’était toujours plus ou moins méfiée des vampires, ça n’avait pas été le cas avec elle. Comment aurait-elle pu la repousser après qu’elle ait accompli un tel acte? Peu à peu, la reconnaissance s’était muée en une profonde et sincère amitié. Alice avait vu de nombreuses choses et saurait percevoir l’invisible. Alice était la clef.

Mais réussi à établir un contact avait été compliqué. Dans un premier temps, elle ne l’avait pas entendue. Coraline tentait de déplacer des objets, de lui montrer qu’elle était là. Enfin, au bout de quelques temps, la vampire avait pu constater sa présence et entendu ses appels au secours. Enfin, elle avait pris la mesure de la situation, elle avait compris que la revenante était encore là, depuis l’instant de sa mort, et qu’elle y resterait, invisible, si jamais elle n’agissait pas. Elle avait fait appel à une puissante sorcière qui serait capable de la rendre visible aux yeux d’Alice avec que toutes deux puissent communiquer et décider de ce qu’il leur faudrait faire. Mais le rituel n’avait pas fonctionné et elle était demeurée invisible, incapable du moindre contact. Atterrée par la déception, elle s’était contentée de disparaître, sans prononcer le moindre mot.

Elle était réapparue en pleine rue et avait marché, longtemps, inlassablement, sans faire attentions aux passants qui parfois lui passaient au travers, une sensation toujours désagréable, mais qui était insignifiante en comparaison de ce qu’elle éprouvait. Alors, tout était fini, n’est-ce pas? Etait-ce ainsi qu’elle allait devoir passer l’éternité, à errer dans un monde qui ne la voyait pas, pour lequel elle n’existait pas. Et il y avait Alice... sa présence ne ferait que la torturer plus qu’elle devait déjà l’être. Elles avaient espéré, toutes les deux, pour rien. Et le pire était qu’elle n’avait aucun moyen de s’échapper de sa condition. Non, absolument aucun.

Elle fut tirée de ses pensées par un choc brutal, qui la fit tomber au sol. Ce ne fut que lorsqu’elle leva les yeux qu’elle vit un homme qui se tenait près d’elle, et la dévisageait, l’air visiblement très agacé. « Regarde un peu où tu marches ! » Trop surprise pour réaliser ce que cela signifiait, elle eut le réflexe de regarder derrière elle. Il avait dû s’adresser à quelqu’un d’autre, c’était la seule explication. Mais personne. Lorsqu’elle se tourna de nouveau, il était déjà parti.
Etait-ce vraiment arrivé ou devenait-elle folle? Elle aurait pu imaginer sa présence, mais le choc, elle l’avait bel et bien ressenti. Quelqu’un l’avait heurtée. Et pourtant, d’autres passants continuaient de lui passer au travers. Ce fut alors qu’elle remarqua quelque chose qui lui avait échappé avant : elle n’était plus translucide. Non, son corps semblait bel et bien constitué de matière solide. Etait-ce seulement possible? Il fallait qu’elle en ait le coeur net. Elle se téléporta alors jusqu’à l’immeuble où vivait Alice, devant la porte de son appartement. Elle leva la main, et, après une certaine hésitation, la dirigea vers le panneau de bois. Au lieu de la traverser, sa main se posa sur la porte. Encore incapable d’y croire, elle frappa trois coups, trois coups sonores. Etait-elle chez elle? Elle y appuya sa tête, essayant d’entendre quelque chose.

« Alice? Alice, c’est moi... Tu m’entends ? »

Elle était là, derrière cette porte. Elle le savait, elle le sentait. Son souffle se serait arrêté si elle en avait eu un. Le sort avait-il réellement fonctionné? Alice allait-elle réellement pouvoir la voir, l’entendre ou tout ceci n’avait-il été qu’une illusion? Quoi qu’il en soit, son poing, au lieu de traverser la porte comme si elle n’avait été que de l’air, du vide, se posa sur elle et pour la première fois depuis sa mort, elle sentit de la matière sous ses doigts. Elle était devenue consistante, au moins pour cela. Elle était capable de toucher des choses, réellement. Elle avait du mal à y croire, et pourtant, c’était bel et bien en train de se produire. Elle aurait presque pu penser que ce n’était qu’un rêve si elle avait été encore capable de dormir. Mais non, tout était réel et c’était comme si le monde s’ouvrait de nouveau devant elle, comme si, d’une certaine manière, elle était revenue à la vie. Oh, bien sûr, au fond, rien n’avait réellement changé, mais pour le moment, elle profitait pleinement de ce qui venait de lui arriver. Mais avant de vraiment se réjouir, elle avait besoin de la voir, besoin d’être certaine qu’elle n’avait pas fait tous ces efforts en vain. Non, il fallait que ça ait fonctionné. Alors, elle attendit, une fois les coups frappés. Elle attendit, jusqu’au moment où la porte s’ouvrit, enfin.

Elle ne se rendit pas compte qu’elle aussi tremblait et que les larmes lui montaient aux yeux. Un fantôme qui pleurait, avait-on jamais rien vue de plus étrange? C’était bien elle, et elle l’avait entendue, elle la voyait. Ses yeux étaient posés sur elle, pas sur une quelconque image qui se serait trouvée derrière, non, sur elle.

« Non, ce n’est pas un rêve... quelqu’un m’a bousculée dans la rue... Je ne sais pas comment c’est possible, mais le sortilège a fonctionné... »

L’entendre s’accuser de ce qu’il s’était passé était pire que tout. Comment aurait-elle pu lui en vouloir, alors qu’elle lui avait sauvé la vie une fois et que, contrairement à ce qu’elle semblait croire, elle avait toujours été là pour elle? Elle s’avança d’un pas, peinée de la voir dans cet état.

« Ce n’était qu’un accident, tu n’es responsable de rien. Personne n’aurait pu prévoir ce qui allait se produire... »

Pas même elle, malheureusement. Lorsqu’elle repensait à ce qu’il s’était passé, elle ne pouvait s’empêcher de se dire que sa vie n’avait tenue qu’à un stupide accident. Oui, elle regrettait d’être morte si bêtement, si facilement. Elle ne s’en souvenait pas vraiment, mais c’était forcément ainsi que les choses avaient dû se passer. Il n’y avait aucune autre explication plausible. Elle avait chuté, elle s’était cognée la tête, point final.
Tandis qu’elle se rapprochait d’Alice, les paroles qu’elle venait de prononcer la frappèrent. Quelqu’un l’avait bousculée. Etait-il possible que... ? Sans être certaine de ce qu’elle faisait, elle tendit la main vers le bras de son amie, et au lieu de passer au travers, ses doigts se posèrent sur le tissu de ses vêtements. Incapable de se contenir plus longtemps, elle se jeta à son cou et la serra dans ses bras.

« Je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu as fait. »

Car c’était bien elle qui l’avait sauvée, une seconde fois. Sans elle, elle serait toujours là, à errer sans fin, dans une insupportable solitude. Et qui pouvait savoir combien de temps cela aurait duré? L’éternité, peut-être... un véritable enfer, auquel elle avait échappé grâce à la belle vampire.