This is a game || Pv Trevor

" …et vous me dites que la dernière fois que vous lui avez parlé c'était vers 19 heures, c'est bien ça ?
- Oui.
- Avez-vous contacté son employeur ou des amis qui auraient pu entrer en contact avec lui ?
- Oui, oui, WOUI ! Je les ai tous appelé. TOUSSS. Aucune nouvelle, OH ! SEIGNNEURRR ! Je suis sure qu'une chose terrible lui est arrivée, je le sens. JE LE SENS. C'est… l'intuition féminine, vous savez… " conclut-elle d'un air grave en posant sa main contre l'avant-bras de Phil'. Puis, d'un air dramatique, elle attrape un mouchoir usé dans sa poche et se met à chialer comme une madeleine, ce qui fait dangereusement tanguer l'armée de bigoudis multicolores qui trône sur sa tête.

Sous mes airs stoïques, je ne peux m'empêcher de jeter un regard à mon coéquipier qui prend grand soin de noter chaque détail que lui révèle son interrogatoire. Pour moi, il n'y a pas vingt six mille solutions possibles : soit son mari couche avec sa secrétaire parce qu'il est plus du type dégourdi que bigoudis, soit il a crevé un pneu sur la route, soit il est mort. Dans tous les cas, avec une bonne femme pareille, ça ne doit pas lui manquer de ne pas être à la maison...

" Madame, vous devez comprendre que nous ne pouvons pas entreprendre de recherches si le signalement de la disparition de votre mari ne remonte pas à 24 heures… "

Le visage de la femme fond littéralement, ses yeux trop maquillés s'écarquillent et sa bouche s'entrouvre pour laisser apparaître les traces de son rouge à lèvres bon marché sur ses dents. Je sens que je dois stopper l'ouragan avant qu'il ne déferle ses flots de bigoudis sur nous...

" Ce que mon collègue essaye maladroitement de vous dire… " que j'insiste en envoyant une belle oeillade méprisante à Phil' " …c'est que votre mari sera pour nous une priorité cette nuit. Nous vous inquiétez pas, où qu'il se cache, nous le retrouverons. " voyant que notre citoyenne modèle semblait vouloir défaillir, je m'avance vers elle pour lui prendre le bras et l'aider à s'asseoir. " Si il n'est toujours pas rentré demain à la même heure, téléphonez au poste et je m'occuperai personnellement de faire ouvrir une enquête officielle… "

" Ohhhhh !… Merci… merci mille fois monsieur l'agent, vous êtes… un saint homme. "

C'est ça. Un saint homme. Un saint homme qui aurait dû rester sur le seuil de la porte si elle ne l'avait pas invitée à entrer chez elle… un saint homme qui ne peut sortir que la nuit au risque de partir en fumée. Un saint… tsss.

Phil' et moi regagnons la voiture. Je sais qu'il n'a pas apprécié que je fasse des promesses que je pourrai peut-être pas tenir, mais j'ai l'intuition qu'on mettra rapidement la main sur le disparu. Il range son calepin de note dans son manteau, la mâchoire serrée. Il a du mal à calibrer le ton de sa voix, mais je ne lui passe pas la remarque.

" Alors... Tu crois qu'il trempe son pinceau dans un autre pot de peinture ?
- J'en sais rien. Ce que j'sais, c'est que moi, à sa place, c'est ce que je ferais. " conclus-je en entrant du côté passager de la voiture, un sourire au coin des lèvres.

…

" C'est lui ? demande Phil' qui se tient à l'écart, un peu troublé par l'étendue de sang qui jonche le sol.
- Il correspond à la description que Madame bigoudis nous a donné... "

Accroupi près du cadavre, je prends soin d'enfiler des gants avant de faire les poches de notre inconnu. L'odeur du sang attaque mes sens, mais j'en suis pas à mon premier macabé sanguinolent et l'odeur de la pluie dissipe celle du carmin. Outre l'odeur du sang et de l'humidité, je perçois un parfum de musc très prononcé - le sien - puis une odeur beaucoup plus délicate, une odeur qui ne m'est pas étrangère. Les yeux légèrement plissés, je tâte notre ami refroidi en quête d'un porte-feuille que je déniche dans sa poche droite.

" Permis de conduire valide, le nom et l'adresse civique correspondent… deux cents dollars en liquide, le tueur n'en voulait pas à son argent… "

Je soulève légèrement son manteau, en prenant soin de ne pas contaminer la scène de crime. Je serre les dents et me relève. Derrière moi, Phil' communique avec la centrale pour alerter la cavalerie. J'avance lentement, jonchant le sol du regard jusqu'à ce que je le déniche. Le coeur qu'on a arraché à cet homme pour le regarder expier ses derniers souffles de vies.

" Un vampire ? demande Phil'
- Pareil comme les deux autres, même méthode… Elle n'a pas prit son sang, elle ne lui a pas mangé le coeur...
- Elle ?
- Quand tu reverras Madame bigoudis… offres-lui mes sympathies… "

...

Le ciel se déchire au dessus de ma tête. Je suis trempé jusqu'aux os, mon manteau de cuir et mes jeans s'alourdissent sur mon corps, mais ce n'est pas un poids à porter lorsqu'on possède cette force surhumaine. Cette force qui nous permet d'arracher un coeur d'un coup de griffe… Je sillonne de toits en toits, usant de ma célérité et de mon instinct pour me guider. Si j'en juge par l'état du cadavre et la ruse de mon congénère… elle ne devrait pas se trouver bien loin. Les échos d'un bar underground résonnent, tandis que je me rapproche de ma cible. J'atterris à quelques enjambées d'elle.

" Tu sèmes les coeurs derrière toi, petit poucet. " ma voix s'élève entre deux coups de tambour célestes.

Je la toise, mon arc tendu et ma flèche bénite prête à perforer ce corps de non-vie aux dessins meurtriers. Comment reconnait-on une diablesse d'une simple mortelle ? Aucune femme ne marcherait sous la pluie avec sérénité après avoir arraché le coeur d'un homme. Je la trouve… si jeune. Si charrrrmante. Plus elles sont jolies, plus sont dangereuses. Je ne sais pas pourquoi je lui ai adressé la parole, ce n'est pas dans mes habitudes de m'imposer des dilemmes éthiques…

" Je t'arrêtes pour le meurtre de Theo Hamlock, Justin Johnson et Adrien Scott McDowell. Habituellement, je te ferai une lecture de tes droits mais… je préfère la partie sentence, alors je serai bon joueur… une dernière volonté avant le jugement dernier ? "

Moi, ce que je veux savoir, c'est pourquoi tu m'as laissé te coincer aussi facilement… petit poucet.