Here it goes again • PV Novakiel

Ma joue était douloureuse, presque engourdie. Mais ce n'était rien comparativement à mon coude! J'avais l'impression qu'il s'enfonçait peu à peu dans le bois de la table, se creusant un nid inconfortable dans la matière robuste. Il ne pouvait s'évader de cette place. Mais ma main par contre... Ma paume commençait peu à peu à glisser sur ma joue compressée et étirée vers le haut alors que ma tête penchait tranquillement vers l'avant, menaçant de venir s'appuyer contre la table. J'avais été si forte, si courageuse... Mais la fatigue me rattrapait, l'ennui m'oppressait et menaçait mon cerveau de perdre tout simplement le lien avec la réalité. Oh, je n'avais plus la force de maintenir mes paupières ouvertes, elles s'étaient subtilement fermées devant mes yeux vitreux qui avaient depuis longtemps trouver un point imaginaire bien plus intéressant à observer que la scène qui se déroulait à mes côtés. Mes nombreuses nuits d'insomnie, cette accumulation dangereuse de fatigue, commençaient à affecter négativement mon système. Entre deux boulots profondément ennuyeux (comment avais-je pu mériter un tel sort?), mes rencontres supposément intimes avec Salem et les incalculables emmerdes qui pouvaient nous tomber sur la tête, le sommeil était difficile à trouver et encore plus difficile à quitter. Les moments de repos se faisaient de plus en rares, alors mon corps saisissait tout occasion pour récupérer un peu d'énergie. Et c'était pas comme si ces débiles légers remarquaient mon assoupissement... Le monde des rêves était si doux, si réconfortant... Je sentais le voile familier et rassurant du sommeil m'envelopper alors que ma respiration se faisait de plus en lente et que ma tête penchait dangereusement vers l'avant. Mes muscles se détendaient et seul cet ancrage dans le bois empêchait mon coude de glisser sur le côté. Position confortable et inconfortable tout à la fois. Oh, j'étais si bien dans les bras de Morphée... Je ne retrouvais plus dans ce sous-sol glauque, je n'étais plus enchaînée à cet attardé de sangsue, j'étais libérée de tout soucis, enfin seule avec mon imaginaire. Mes pensées divaguaient, songeaient à des moments précieux passés avec un certain lycan des plus séduisants... Si j'avais eu la force, un sourire approbateur se serait dessiné sur mon visage étiré par cette paume.

« JACK POT!! » Deux mots. Deux mots bien distincts, mentionnés d'une voix beaucoup trop surexcitée et forte pour mes oreilles vierges de tout bruit depuis plusieurs minutes déjà. Il va s'en dire que mon coeur s'arrêta, mon corps fut parcouru d'un soubresaut violent, m'obligeant à me redresser sur moi-même. « Hin.. Qu.. Quoi... qu'est-ce... han? » Mes yeux s'ouvrirent aussitôt, deux grandes billes marronnes qui cherchaient hâtivement la source de cette déflagration soudaine. Ma main avait quitté ma joue - y laissant une belle trace rougeâtre - venant rejoindre sa jumelle, agrippant toutes les deux le rebord de la table sur laquelle je m'étais pratiquement endormie. Il me fallut une bonne poignée de secondes avant que je ne retrouve mes esprits et comprenne où je me trouvais. Une bande de créatures vêtues de manière stéréotypée - vous savez, les chemises blanches, les capes noirs, le maquillage sombre - entouraient une grande table couverte de cartes et de jetons de plastique. Ils avaient tous cet air déconfit... à part celui-là qui dévoilait ses canines acérées et qui s'avançait dangereusement de moi! Avant que je ne puisse effectuer le moindre mouvement de recul, il était déjà trop tard... « Mon porte bonheur! » Ses bras entourèrent mes frêles épaules, sa joue venant s'appuyer contre la mienne. Mes narines eurent la nausée alors qu'elles furent envahies par l'odeur de la mort. Argh, ces cadavres! C'était dégoûtant! Je ne me fis pas prier pour afficher cet air de dégoût sur mon visage, retenant mon souffle sans prendre la peine d'aspirer une dernière fois. « Gino avait raison! Tu portes chance! » s'emporta le vampire alors qu'il me serrait d'une manière beaucoup trop amical. Mes yeux roulèrent jusqu'au ciel, exaspérée par cette foutue croyance que j'apportais la chance à quiconque me payait pour me tenir comme un piquet dans ces soirées interminables de poker entre vampires! Mon dieu, ayez pitié de moi...


Dormir... Dormiiiiir... Je n'étais plus qu'un zombie qui traînait les pieds au sol et qui n'avait qu'une seule en tête: rejoindre mon loft et m'étendre de tout mon long sur mon lit douillet! Dormir! Le soleil venait tout juste de ce coucher, mais je rêvais déjà de mon oreiller. Si les gens croyaient que les vampires se terraient tranquillement dans les métros à ronfler pendant le jour, ils se trompaient royalement! Plus jamais je ne ferais autant de nuits blanches pour porter supposément la chance à des créatures bêtes et stupides. Plus jamais je n'accepterais autant de contrats en si peu de temps! Oui, ça valait le salaire, mais pas les conséquences sur mon pauvre corps éreinté... Je longeais le couloir sombre de mon immeuble, apercevant la porte de ma demeure au loin. Arf, mais c'est qu'elle était loin la coquine... Quelques mètres de plus et je me traînais littéralement au sol, telle une larve dans le gazon. Mon bras s'éleva devant moi, s'étira le plus loin possible afin d'atteindre rapidement la serrure. Lorsque je parvins enfin à destination, un soupir de soulagement traversa mes lèvres subtilement étirées en un faible sourire. J'entrai dans mon antre, impatiente de m'effondrer sur le matelas de ma chambre.

Étrange. Les lumières étaient déjà ouvertes. Bizarre. Il y avait un homme dans mon loft qui me souhaitait le bonsoir. Un homme?! « AAAAHH!! » Mes cordes vocales produisirent ce cri aiguë et surpris à cette vision, projetant mon corps vers l'arrière. Mon dos heurta le cadre de la porte, ne ressentant tout à coup plus aucun signe de fatigue. Je sentais mon coeur battre à tout rompre, alors que j'observais qui pouvait s'être introduit chez moi. Et je reconnus son être élancé, son air niais et son sourire exagéré. « Bordel, Ex!! Qu'est-ce que tu fous ici?! » demandais-je d'une voix haletante. Je me redressai et fermai la porte derrière moi afin de me rapprocher de mon invité... indésiré. Comment avait-il réussi à entrer? À bien y penser, je ne voulais même pas savoir... Sa présence en ces lieux m'inquiétait... Alors que je m'approchais de lui, mes yeux scrutèrent ma tanière à la recherche du moindre signe suspect, d'un bris quelconque, d'une présence insoupçonnée. Enfin, il était une présence insoupçonnée, mais seul... c'était louche. Les sourcils fortement froncés, l'air suspicieuse, je craignais de découvrir la suite des choses. « Qu'est-ce que tu faisais? »

Comment je vais? Désolé de m'avoir fait peur? Franchement, je savais qu'Exekiel n'était la personne la plus allumée sur cette terre, mais à ce point? J'en étais dubitative. Je m'étais immobilisée sur place, l'observant de mon air suspect alors que je tentais de découvrir ce que ce mutant pouvait bien faire dans mon appartement. Non, je n'allais pas bien. J'étais fatiguée, prête à dormir après plus de 48 heures sans dormir, j'étais irritable et pas du tout encline à faire causette. Malgré que cette surprise inopportune avait eu pour effet d'éveiller quelque peu mes sens, mais ça n'avait certainement pas animé davantage mon cerveau ensommeillé. Je perçus alors un subtil mouvement à ses pieds, attirant mon regard et mon attention. Je fronçai les sourcils et penchai légèrement la tête sur le côté afin de constater ce qu'il tramait... Toutefois, je n'eus pas la chance de percevoir quoi que ce soit alors que le mutant m'annonçait qu'il me réservait une surprise. Aussitôt, je relevai la tête, mon visage se décomposant dans une moue plutôt inquiète... Il s'approcha de moi avec son air beaucoup trop excité pour les circonstances, m'obligeant à avoir un léger mouvement de recul. Oh, non, une surprise? Ça n'annonçait rien de bon... Et je n'étais certainement pas hâtive de découvrir ce qu'il me réservait!

Avant que je puisse comprendre où il voulait en venir avec sa visite inattendue, il m'obligea à écouter une vieille histoire... La vieille histoire de notre première rencontre. Étrangement, ce conte semblait l'emplir d'un bonheur qui n'était visiblement pas partagé, vue mon visage perplexe et surtout amer. Ouais, cette fameuse soirée où il m'empêcha de mettre la main sur un informateur d'importance! Tout ça lui semblait bien rigolo, mais il n'avait jamais eu vent des représailles que ça m'avait causé auprès de mon patron. Une barre d'argent dans mon épaule m'envoya directement au Burrows Hospital et me valut une belle et apparente cicatrice sur l'épaule. Visiblement, nous n'avions pas les mêmes souvenirs de ce périple! Je grognais presque derrière mes lèvres pincées alors qu'il me racontait en détails cette nuit-là. Je ne voyais visiblement pas où il voulait en venir, mais je n'avais même pas la force de l'interrompre et lui poser la question. Heureusement, son récit tira bientôt à sa fin.

Drake qui? Cette fois, c'était l'incompréhension qui se tapissa sur mes traits fatigués. Je ne pourrais pas dire si mon inertie était due à cette fatigue accumulée ou tout simplement à mon cerveau incapable de procéder l'information, mais je demeurai figée sur place alors qu'Exekiel m'annonçait qu'un certain Drake Truc-Muche se trouvait dans... ma baignoire? Hin? Que pouvait-il bien faire dans ma salle de bain? Je clignai à quelques reprises des paupières, incapable de trouver le moindre sens à ses dires. Les mots entraient dans mes oreilles, mais c'est au niveau du crâne que l'information se perdait et ne trouvait aucune signification. Voyant mon incertitude, Ex prit l'initiative de me conduire lui-même vers la pièce en question qui se trouvait derrière nous. Je me laissai tout simplement traîner, tout de même appréhensive de finalement comprendre ce que tout ça voulait dire. Une fois devant la porte, de son grand air théâtral, il m'offrit une baignoire... complètement vide. Cette fois, j'avoue avoir eu une crainte qu'Exekiel soit tombé sur la tête. Il avait clairement subi un traumatisme qui le faisait halluciné des trucs et croire des choses qui n'existaient pas! Inquiète, je relevai doucement les yeux vers lui, après avoir constater la salle de bain déserte. Il était là? Il veut dire que... Ça veut dire qu'il... Tout ça signifiait que...

C'est pas vrai.

« T'as... t'as ramené un mec que j'ai traqué il y a de ça presqu'un an et tu l'as mis dans ma baignoire, pour qu'ensuite il n'y soit plus? » récapitulais-je d'un ton lent et las, mon corps aussi droit qu'un piquet. Avais-je bien résumé la situation? Avais-je bien compris ce qui se passait? Si c'était le cas... Eh bah merde.

Un grincement de porte se fit entendre suivit d'un grand fracas en provenance de la chambre, comme si une masse lourde heurtait violemment le sol. Mes yeux s'arrondirent alors que j'observais toujours Exekiel, faisant le calcul improbable dans ma tête.

Mec kidnappé + baignoire vide + vacarme dans l'appartement = ... des ennuis!

Des bruits de pas précipité s'en suivirent et, instinctivement, je me tassai dans le couloir pour pouvoir constater la source de cette détonation. Presque aussitôt, j'aperçus un homme affolé me frapper de plein fouet, nous entraînant dans une chute certaine. Je me retrouvai étendue sur le plancher, une masse insoutenable m'écrasant l'estomac alors que je peinais à comprendre ce qui venait tout juste de me tomber dessus. Un autre invité surprise? Pourquoi pas, c'était bel et bien la vocation de mon appartement; entrez tous, ô gens dont j'ignore l'identité et venez saccager ma demeure! « EXEKIEL! » m'écriais-je avec colère dans un souffle étouffé. Je gigotais sous l'homme désarçonné par l'impact afin de me libérer. Et une fois libre, le pauvre petit mutant allait en baver!