❝ lonely souls ❞ - ARIALEE

« La relation que j’entretiens avec elle, ça ne te regarde pas. Et pour ton information personnelle ; lorsque tu l’as découverte dans mon appart, fringuée de l’une de mes chemises. Cette nuit-là, moi, j’étais dans un putain de coma. Difficile de pouvoir tremper son biscuit dans une madame ! J’aime cette fille comme une sœur.  Il y a des passages de ma vie que tu ne connais pas. Comme moi il y a des passages de ta vie que je ne connais pas. Par exemple, ton boulot. Ce putain de boulot qui me rend presque dingue ! Tu te pavanes avec ces crocs-blancs qui fabriquent je ne sais quoi de… toi… et de ton corps ! »

« Tu me prends pour une traînée?! Tu me prends pour qui, han? Tu crois que je suis assez stupide pour me laisser faire par ces foutus vampires, les laisser poser leurs sales pattes sur moi?! T'as bien raison, il y a des passages de ma vie que tu ne connais pas! T'as aucune idée pourquoi je fais ce boulot, t'as aucune idée pourquoi j'en suis jusque là aujourd'hui! »

« Mais est-ce que je te fais chier avec ça ? NON ! J’ai beau souffrir d’insomnie, buter tous les guignols du voisinage pour me défouler. Seulement, moi, j’ai la décence de ne pas te tomber dessus. Je sais que tu ne m’appartiens pas. Je sais que ça ne sera fort probablement jamais le cas. »

« Si je te fais autant chier, Salem, qu'est-ce que tu fous encore là? Y'a des gens beaucoup plus agréable dans ce monde! Oh, tiens, Ariana, par exemple! Miss Bonheur en personne! Ça doit être tellement mieux passer du temps avec elle qu'avec la vieille folle de Novalee qui s'imagine des trucs! »

« C’est véritablement ce que tu souhaites ? Me voir croupir entre les bras de Miss Bonheur ? Le célibat t’arrangeant si bien, je n’aurais aucune peine à répondre à tes humbles délires. »

« De toute manière, je vois pas pourquoi tu souffres autant, y'a personne d'autre dans ma vie. Et si tu tiens autant à ce que je t'appartienne, tu n'as qu'à demander! »

« ALORS SOIS MIENNE ! »

Cette scène repassait en boucle dans ma tête, tel un film que l'on avait tant aimé, mais tant détesté pour toutes les émotions qu'il nous avait transmis. Cette conversation enflammée avec Salem avait eu l'effet d'une lumière aveuglante que l'on allumait dans une pièce trop sombre pour y voir clair. Il avait mis le jour sur des pensées ténébreuses et profondes dont je m'étais obstinée à camoufler et à croire. Je m'étais persuadée d'une idée probablement fausse et je pourrissais l'une des seules relations dans ma vie qui m'apportait un bien-être... Certes, ce n'était pas toujours rose et fleur bleu avec ce lycan, mais il ne pouvait imaginer le bonheur que sa simple présence pouvait engendrer en moi. Et j'avais presque mis fin à ce rêve utopique en raison de mes illusions et de mes craintes futiles. J'avais pu conclure que rien ne pourrait se développer autre que de la fraternité vis-à-vis celle que je considérais comme ma plus grande rivale. Ariana. De simples paroles avaient réussi à calmer mes doutes et mes peurs. Enfin, pour Salem. J'étais parvenue à lui donner toute ma confiance, sachant maintenant que sa frangine n'était pas une menace pour lui. Mais j'ignorais toujours ce qu'elle pensait. Mes doutes s'étaient portés sur lui alors que tout partait d'elle... Cette fameuse fois où je l'aperçus à demi vêtue dans l'appartement du lycan, ces nombreux appels d'urgence, cette fraternité rapprochée... et maintenant la colocation. Tout ça était peut-être que le fruit de circonstances hallucinantes et de personnalités divergentes dont je ne pouvais comprendre la nature, mais mes doutes persistaient. Et ma tête ne cessera de s'inquiéter tant et aussi longtemps que les pendules ne seront pas ajuster à la bonne heure. Peu importait si j'avais l'air d'une vraie folle... Je voulais simplement me soulager de ce poids, de cette jalousie malsaine qui me pesait depuis beaucoup trop longtemps.

L'appartement était calme alors que l'heure du dîner approchait. Salem n'allait pas tarder - selon ses messages textes - et Aleister traînait toujours je ne savais où dans les environs. J'ignorais même s'il allait nous rejoindre pour le repas, se faisant plutôt discret ces derniers temps. Coraline était dans la cuisine à préparer la nourriture pour ses colocataires, comme à son habitude. Une vraie perle cette fille - sauf lorsqu'elle jouait à des jeux de société, mais ça c'était une autre histoire. Et moi, je restais là, comme une pied-de-grue dans le couloir menant aux trois chambres du logement, tentant de rassembler mon courage. Je voyais sa silhouette faire des vas-et-vients dans l'embrasure de la porte, tout à fait consciente que je pourrais simplement annoncer ma présence et la conversation serait débutée. Quelques pas vers l'avant, un petit toc à la porte et le pire moment était bientôt passé. Mais je n'y parvenais pas. Mes mains tordaient les longues manches de mon hoodie, déchirant presque le matériel. Deux peurs m'empêchaient d'initier le mouvement vers la source d'information qu'il me fallait. La première était bien entendue celle de la vérité. Je craignais de découvrir que je n'avais pas eu ces pensées de jalousie pour un rien, qu'il y avait un fond de vérité et que la lycane camouflait un intérêt plus que fraternel envers Salem. Je ne pouvais imaginer comment je réagirais si c'était le cas. La deuxième était plus subtile, mais tout de même forte. Je ne voulais pas perdre la face... Je craignais qu'en m'ouvrant à cette fille que je m'obstinais à éloigner de moi, elle me verrait sous un tout autre jour, un jour sombre et fou. Elle pourrait très bien me traiter de timbrée, d'obsédée, d'illuminée... Et si c'était le cas, la dynamique en ces lieux deviendraient insupportable à vivre. Je ne voulais pas perdre ma nouvelle famille, même si parfois je démontrais une indifférence profonde pour ces gens différents. J'avais déjà trop perdu.

Une grande bouffée d'air s'engouffra dans mes poumons, trouvant cette parcelle de courage que je tentais d'amasser depuis les quelques minutes que je me tenais dans ce couloir. Plus de retour en arrière, c'était le moment parfait. Remontes tes manches et fais une femme de toi! Écoutant ma conscience, j'avançai vers la chambre qui abritait depuis peu la nouvelle arrivante, apercevant cette dernière dans l'interstice. Ma main s'éleva tranquillement au niveau de poitrine où un coeur anxieux tambourinait avec frénésie. Une autre inspiration me donna suffisamment de bravoure pour toquer à la porte. Mes phalanges vinrent cogner le bois de manière timide, mais tout de même audible, attirant l'attention de la principale concernée. Je poussai précautionneusement la porte vers l'intérieur de la pièce, une tête blonde se dévoilant sous mes yeux. « Hey, » m'annonçais-je de manière peu cordial. Bon, ce n'était pas comme si on ne s'était pas côtoyé depuis des lunes, elle venait tout juste de quitter le salon. Et j'y avais vu une opportunité en or, sachant que Coraline était occupée de son côté. J'affichai un petit sourire mal à l'aise, demeurant dans l'embrasure de la pièce. Je déglutis difficilement la salive qui me restait prise au creux de la gorge avant de poursuivre mon monologue peu éloquent. « Tu as une minute? » Très bonne introduction! Polie, simple, avec une touche de mystère, mais sans grand artifice... Je me félicitais. Je m'encourageais, car je savais ce qui allait s'en suivre... Et je craignais toujours autant ce moment fatidique, mais dont j'avais absolument besoin pour apaiser mon esprit tourmenté.

Bien entendu, elle m'accueillit avec son large sourire, cette joie qui se voulait communicative, mais qui avait, pour règle générale, tendance à me faire rouler les yeux vers le ciel. Ce bonheur omniprésent me déstabilisait par moment. Il était difficile à croire qu'une fille vivant autant de malheurs dans son quotidien pouvait garder un moral à toute épreuve. Je soupçonnais parfois qu'elle cachait bien son jeu, comme je pouvais moi-même le faire quand je décidais qu'il était temps de jouer, mais je n'y avais jamais perçu la moindre brèche. Enfin, aucun indice suffisamment valable pour l'accuser de se voiler le visage derrière son sourire parfait n'avait fait surface. Je venais finalement à croire qu'elle était tout simplement le positivisme incarné! C'était parfois plus que frustrant de côtoyer un tel bout-en-train alors que je me voyais comme une marabout, boudeuse et terne. C'était peut-être une des raisons lesquelles j'avais de la difficulté à la supporter... Elle était tout le contraire de moi. Et je la jalousais pour sa joie de vivre, pour sa légèreté et sa fraîcheur. Lorsqu'elle entrait dans une pièce, tout devenait soudainement moins lourd et plus facile à supporter - même si je ressentais cette irritation systématique m'envahir. Je la jalousais d'être autant aimée par tous, alors que je doutais qu'une telle affection me soit attribuée. Je n'aidais certainement pas mon sort, mais je me sentais dans son ombre... Et j'avais peur. J'avais peur qu'elle ne m'efface complètement aux yeux des autres et tout particulièrement aux yeux de Salem. Il n'avait pas besoin d'une mégère à ses côtés - il l'était déjà suffisamment par lui-même -, mais je m'étais trop profondément attachée à lui pour le laisser me glisser entre les doigts. Je faisais preuve de beaucoup d'égoïsme en m'acharnant ainsi, c'était pourtant plus fort que moi. Il fallait que j'aie le coeur net... Il fallait que je sache ce qu'Ariana pensait de tout ça. Ce qu'elle ressentait dans tout ça.

Elle s'approchait de moi alors que j'entrais dans la petite chambre, affichant un sourire presque imperceptible en signe de reconnaissance. J'étais beaucoup trop nerveuse pour avoir l'air détendu et aussi ravi qu'elle. Je sentais mes mains moites alors que je continuais de tordre les manches de mon chandail. Je ne savais pas par où commencer. Mais avant que je puisse justifier ma présence, Ariana en suggéra une... qui me déstabilisa pendant un instant. « Ma brosse...? » bafouillais-je de mon air confus. Clignant des paupières à plusieurs reprises, je sentais mon cerveau se démener pour trouver une explication à cette réplique. Hum, qu'est-ce que ma brosse à dents venait faire dans tout ça? Aucune idée. Il y a bien longtemps, j'avais appris à ne pas trop me casser la tête avec les confusions d'Ariana. Alors passons et venons dans le vif du sujet. « Non, je voulais te parler de quelque chose d'autre... » précisais-je alors que je baissais la tête. Je passai devant la lycane pour ensuite venir m'asseoir sur le matelas de son lit.

L'heure était arrivée. J'avais imaginé nombre de fois le moment où j'allais entrer dans le vif du sujet et maintenant que j'y étais, j'avais perdu toutes les répliques que je mettais construites. Elles m'échappaient. Mon cerveau refusait de se souvenir de cette longue préparation et je me retrouvais jeter dans le vide sans aucun support. Merde, comment aborder le sujet? J'avais toujours eu l'impression que mes arguments étaient bétons et justifiés, mais maintenant que je devais confronter la personne concernée, je trouvais tout ça complètement futile. Je ne pouvais toutefois pas faire marche arrière. Cette jalousie me tuait, me grugeait de l'intérieur et pourrissait ces moments en 'famille' qui se voulaient agréables et conviviales. Je me sentais parfois de trop alors que je devais sentir une fraternité... C'était mauvais, un véritable poison. Je pris une longue inspiration, le regard posé vers le bas, mes mains ne parvenant pas à s'immobiliser. « Hum, je ne sais pas comment te demander en fait. » Je laissai un bref silence planer au-dessus de nos têtes, ce qui eut pour effet d'amplifier mon appréhension. Je n'osais pas lever les yeux, par crainte de me dégonfler complètement. Commençons par le commencement. « Tu te souviens la fois où je suis venue voir Salem, mais qu'il n'était pas là... C'est toi qui a ouvert la porte. Ce que tu portais.. Enfin, ce que tu portais pas, ça pouvait laisser croire des choses et... » Bien entendu qu'elle se souvenait. Nous avons appris simultanément que le lycan était dans un profond coma... Mais avant, nous avions eu une légère prise de tête tout à fait injustifiée, mais qui avait tout débuté pour moi. Une tension était née à cet instant, principalement en raison de sa tenue légère... Ma tête avait automatiquement sauté aux conclusions et voilà où j'en étais. « Tu sembles proche de Salem, non? Je veux dire, vous êtes souvent ensemble, tu l'appelles souvent, tu habites ici maintenant. Je... » Arf, comment dire? J'avais l'impression d'être un pieu qu'on enfonçait un plus profondément dans le sol au fur et à mesure que les mots sortaient de ma bouche. Et tout semblait sortir de la mauvaise manière! Fallait arrêter de tourner autour du pot et lui poser la question. Je rassemblai le peu de courage qui me restait et relevai le regard vers la blonde. « Est-ce que... Est-ce que tu aimes Salem? Dans le sens, vraiment aimer Salem? » La question n'était peut-être pas totalement claire, puisque je savais très bien qu'Ariana aimait Salem. Mais la question était à quel point... Je sentais mon coeur palpiter à une vitesse fulgurante dans ma poitrine, attendant d'avoir la moindre réaction de sa part d'Ariana.

Elle était demeurée accostée sur la porte qu'elle venait de refermer pour nous offrir un moment d'intimité. Je sentais son regard sur ma personne alors que je lui révélais enfin le fond de mes pensées et, lorsque j'osai finalement l'affronter, je pus constater sa réaction. Elle fut difficile à lire, presque incompréhensible... J'attendais avec impatience la réponse à ma grande question et elle ne me fit pas languir bien longtemps. Je sentis aussitôt mon coeur se compresser dans ma poitrine, comme si je sentais que mes doutes se confirmaient, sans toutefois en avoir la certitude exacte. Ses paroles étaient vagues, me laissant au prise avec mon imagination pour quelques minutes de plus. J'aurais aimé la relancer, reformuler ma question autrement pour qu'elle y comprenne où je voulais en venir, mais je demeurai silencieuse alors qu'elle n'avait pas terminé de parler. Attentive, je fronçai les sourcils lorsqu'elle me demanda de rester silencieuse sur ce qu'elle allait me dévoiler à cet instant même... Qu'avait-elle de si lourd à cacher à Salem?

La conversation prenait une tournure dont je n'aurais jamais pu me préparer. Je m'aurais attendu à un rire hilare ("comme tu es sotte d'avoir pu penser à une telle chose, ma petite Novalee!") ou encore à un ton sec et cassant ("Salem est à moi et tu n'es qu'un obstacle dans mon chemin!"), mais jamais à ça... Je pouvais véritablement sentir son affliction et, pour la première fois depuis que je la connaissais, percevoir une faiblesse. Elle avait plus ce grand sourire agaçant, ni cette petite voix aiguë et surexcitée... Il s'agissait d'une autre façade d'Ariana. Et aussi fort ait été mon désir de me détacher de cette fille, je me retrouvai dans ses paroles. Tuer pour protéger. Mes propres souvenirs me revinrent en mémoire, ne pouvant que trop bien comprendre ce qu'elle avait pu ressentir le jour de son premier meurtre. Ma petite soeur... J'avais tué pour elle, mais contrairement à Ariana, je n'avais pas réussi à la sauver...

Je compris enfin la véritable raison derrière l'accoutrement peu conventionnel d'Ariana le jour de cette fameuse rencontre. Et la culpabilité me frappa de plein fouet. Je suivais la louve du regard alors qu'elle se rapprochait de moi, observant son visage attristé et torturé. Je réalisais enfin que j'avais injustement accusé cette fille, je l'avais jaugé d'une manière tout à fait grotesque! Et au lieu de confirmer ou d'infirmer mes pensées comme une adulte responsable, j'avais perpétuer ma haine, la nourrissant et la projetant vers une innocente. Je me sentais petite. Infiniment petite. Ce n'était pourtant pas moi qui prononça des mots d'excuse... Ariana le fit. Elle s'excusait d'avoir créé ce malentendu, elle s'excusait presque d'être proche de Salem, d'être en quelque sorte sa petite soeur. La honte me frappa alors. Je venais de créer une situation tout à fait invraisemblable alors que mon intention première était de rassurer mon petit coeur de pierre! Par ma faute, à cause de ma jalousie maladive, Ariana se sentait de trop auprès d'une des personnes qu'elle aimait le plus au monde et qui l'aimait tout autant en retour. Je comprenais enfin l'ampleur de mes dégâts et je craignais d'avoir engendré une véritable catastrophe! S'effacer? Mais je n'avais jamais voulu qu'elle s'efface! S'il y avait une personne dans cette pièce qui devrait se tenir à l'écart, c'était moi! Je voulais prendre trop de place dans la vie de Salem, mais je n'étais pas la seule personne à y avoir droit... Non, elle avait sa place et je n'avais pas le droit de lui enlever.

Mes multiples pensées et sentiments se livraient un combat titanesque dans mon esprit. Je sympathisais intérieurement avec cette fille alors que j'étais supposée la détester. Je voulais la rassurer alors que j'étais venue la voir pour me rassurer. J'avais envie de lui avouer combien je pouvais comprendre ses impressions, mais je ne voulais pas lui donner raison. Je désirais demeurer égoïste tout en étant empathique. À un moment ou un autre, j'aurai à décider où je me positionnais dans cette contradiction. Je pris un instant pour structurer mon esprit, les sourcils toujours froncés, le regard soucieux. « Ariana... Je... j'ai jamais voulu de te faire sentir ainsi... » Si. Tu mens. Tu l'avais profondément souhaité même! Tu voulais qu'elle s'écarte, tu voulais qu'elle s'éloigne pour avoir le champ libre. Avoir Salem à toi seule, petite égoïste. Je l'avais été... Je l'avais souhaité... Si ardemment! Mais pour une raison qui m'échappait, je sentais que ces pensées que j'avais eu à l'égard de la louve n'étaient pas légitimes. Elle ne les méritait pas... Et je me sentais coupable d'y avoir un jour songer. Toutefois, je n'avais pas le courage de lui dévoiler tout ça... car je craignais d'empirer davantage la situation. « Je peux comprendre ce que tu ressens... J'ai la même peur. J'ai peur que si je lâche prise sur lui, il ne me verra plus et tu... enfin, tu prendras toute la place. » Comme tu sais si bien le faire. Attirer tous les regards, propager la joie de vivre et le plaisir d'être en bonne compagnie, c'était ce que tu dégageais, Ariana. Et je te jalousais pour cette facilité à te rapprocher des gens alors que je n'avais que le don de faire foirer la moindre relation que je pouvais bâtir. La preuve, je t'ai mal jugé et je te mens en plein visage.  

Deux donzelles qui tentent de s'arracher un seul homme. C'était tellement enfantin. Un soupir traversa mes lèvres alors que j'observais honteusement mes mains posées sur mes cuisses. Oui, j'avais honte de mon attitude passée et présente, et j'étais tout simplement trop sotte pour trouver la meilleure façon de rassurer la pauvre Ariana qui venait de m'avouer l'un de ses plus lourds secrets. « Je ne dirai rien à Salem, promis... » que je dicte avec sincérité. De toute manière, je lui divulguais si peu de détails sur ma vie passée, pourquoi le ferais-je avec l'histoire des autres? Sur ce point, elle avait ma parole. « Je suis désolée de t'ennuyer avec mon imagination trop fertile. J'ai... hum... j'ai de la difficulté à faire confiance aux autres et... à me faire confiance par la même occasion. Surtout pour ce genre de chose. Mais... tu sais, Ariana, il n'y a pas que Salem vers qui tu peux te tourner pour ce genre de... problème. » C'était moi qui parlais ou on avait pris possession de mon corps? Où voulais-je en venir? Que j'étais prête à la rassurer lorsqu'elle avait le cafard par rapport à ses propres capacités? Peut-être bien. S'il y avait une seule personne dans tout New York qui craignait qui elle devenait une bête sauvage, j'étais très certainement cette personne. Je me battais contre ma propre nature, car je savais que la louve en moi n'était pas aussi affable et docile que je pouvais l'être. Peut-être que d'avoir quelqu'un à qui en parler librement... quelqu'un avec qui partager mes peurs... Peut-être, oui. 

Son visage triste. Ses traits fatigués. Son air coupable. Je ne pouvais pas le supporter, car de la regarder ne faisait qu'accroître ce goût amer qui se déployait sur mes papilles alors que je songeais à mes pensées à son égard. Je l'avais tant haït... Je l'avais tant détester d'être toujours sur mon chemin, sur notre chemin. Toujours présente avec sa bonne humeur, à nous proposer des activités pas possible qui ne nous ressemblaient pas. Elle m'avait tant énervé avec ses messages textes incessants, ses "xoxo" à la fin de chacun de ses messages pour Salem. Mon coeur en avait ressenti un pincement à chaque fois, malgré le fait qu'elle signait toujours la même chose, peu importe à qui elle envoyait ces messages. J'avais entretenu une jalousie malsaine à l'égard d'une personne qui était pourtant le pilier d'une famille. Tout ce qu'elle voulait, c'était être proche de son frangin. Tout ce dont elle tentait de faire, c'était de rendre heureux ceux qu'elle aimait. Aimer et se faire aimer de sa propre famille. Comment pouvais-je la détester pour ça? Je n'avais plus de famille, certes, mais ce n'était pas une raison pour lui enlever la sienne. Le regard bien bas, j'espérais pouvoir me repentir de mes viles pensées injustes, que ce soit en devenant une oreille attentive, en m'effaçant un temps pour lui permettre de rectifier le tir avec Salem ou par tout autre moyen. J'y tenais. Je me faisais la promesse de me racheter.

Je me rongeais de culpabilité et tentait de la faire disparaître avec de belles promesses dont j'ignorais le réalisme. Ariana me ramena pourtant à l'instant présent alors qu'elle posait sa main délicate sur la mienne qui se trouvait toujours sur ma cuisse. Ce geste me surprit un moment, n'étant pas habituée à une quelconque marque d'affection de la sorte de la part d'autrui. Enfin, pas comme ça... Pas aussi amical. Mon regard penaud s'éleva malgré lui vers mon interlocutrice qui m'offrit les bonnes paroles pour me réchauffer le coeur. Elle ne m'en voulait pas d'être là, de partager mes doutes... Alors qu'elle aurait très bien pu s'en indigner et m'envoyer paître. Et elle m'offrit une confirmation que je n'avais nullement demandé ou même souhaité.

Salem. Oui, il était bien un gros nounours parfois grognon et difficile à saisir. Ses boulots crades et sanglants dont j'ignorais toujours les détails avaient le don de me rendre folle d'inquiétude. Je connaissais ses capacités physiques, je savais qu'il pouvait prendre soin de lui, mais j'avais toujours cette petite crainte qu'un jour, ce serait trop. Son caractère grognon et difficile à saisir par moment, toujours trop sérieux et boudeur. Ses mauvaises habitudes qui étaient tout simplement ancrées trop profondément en lui... Il n'était pas facile à vivre. Et pourtant, je ne pouvais me passer de lui. Je n'arrivais pas à le comprendre... et je craignais de me faire du mal. Et pourtant, Ariana m'affirmait le contraire. Je ne devrais pas douter de ses intentions ou de sa loyauté, car quand il aime... Aimer? Pour une raison dont j'ignorais encore la provenance, mon coeur bondit plusieurs fois dans ma poitrine, sentant une chaleur m'envelopper soudainement. Aimer. Non, il ne me l'avait jamais dit. Non, je n'y avais jamais vraiment songé. Et pourtant... Cette jalousie, cette vilaine tendance à se tirer par les cheveux, à se réconcilier aussitôt, à vouloir se côtoyer sans cesse malgré les emmerdes qui nous tombaient inévitablement dessus lorsqu'on le faisait. C'était bien ça, non? Peut-être bien, oui.

Je me trouvais déboussolée par ces révélations qui semblaient peut-être anodines d'un oeil extérieur, mais qui voulait tout dire pour mon coeur palpitant. Une lumière nouvelle s'était allumée dans mes prunelles alors que je contemplais le visage amical de la louve à mes côtés. Comment y était-elle parvenue? Incrédule, je ne prononçai aucun autre mot à son discours des plus chaleureux, celui dont j'avais tant eu de besoin ces derniers mois. Suffisamment efficace pour me faire oublier tous mes doutes et toutes mes appréhensions.

Ariana n'était au bout de ses surprise et s'élança vers moi pour venir m'étreindre dans ses bras. Par simple réflexe, je me crispai, devenant aussi rigide qu'une barre de métal. Non, je n'avais pas l'habitude de ce genre de signe d'affection non plus. Je devais m'avouer vaincue. Ariana venait de m'offrir tout ce dont je voulais réellement entendre en venant à sa rencontre. Une famille. Je ne savais plus vraiment ce que c'était... Mais je voulais bien faire partie de celle-ci. Toutefois, le surnom, j'aurais bien aimé m'en passer. Instinctivement, mes yeux roulèrent un bref moment au ciel alors qu'un sourire amusé se dessinait peu à peu sur mes lèvres. Enfin, avant qu'un rire sincère ne me traverse les lèvres. N'ayant plus aucune raison de résister, mon corps se détendit et j'ouvris enfin les bras pour venir étreindre la louve à mon tour. « En autant que vous débarquez pas tous chez moi, je veux bien participer au carnage! » dis-je d'un ton détendu. Avions-nous enterré la hache de guerre? Les rivalités avaient enfin pris fin? Je n'aurais jamais cru voir ce jour venir, mais... après ces huit dernières années de solitude... j'avais peut-être trouvé une nouvelle petite soeur. 



sujet terminé et verrouillé