Guess who's coming back (ft. Damian)

Ame perdue, brisée, envolée. Elle était perdue, elle n’était plus. Voyageant dans le néant, condamnée au tourment éternel, sans que personne, jamais, ne puisse savoir où la retrouver, comment l’en délivrer.

Du moins, jusqu’à cette nuit.

Il y avait bien peu de choses dont elle se souvenait : la sorcière, son frère, la douleur. Le reste avait tendance à se mêler au hasard dans sa tête, en un chaos sans fin. Elle ne se rappelait pas non plus de ce qu’elle avait vécu, éprouvé durant ces siècles de sommeil. C’était comme si tout ceci était arrivé la veille. Elle se souvenait en revanche parfaitement de sa vie passée, de l’humaine qu’elle avait été, de la créature nocturne qu’elle était devenue. Elle se rappelait de tout, sans savoir qu’un pont de deux cents ans se dressait entre ses derniers souvenirs, et le présent. Son réveil avait été soudain, brutal. Bien que vampire, ce n’était pas pour autant qu’elle appréciait être enfermée dans un lieu mortuaire, d’autant plus si elle se trouvait incapable de soulever la dalle en pierre qui la séparait du monde extérieur. Elle avait fait ce que n’importe quel mortel aurait fait à sa place : elle avait hurlé, espérant que quelqu’un, quelque part, l’entendrait. C’était ainsi qu’elle avait été secourue par ce mystérieux mais non moins charmant roturier affublé de l’étrange sobriquet de Blake. Oui, son aide avait été précieuse pour recouvrer un semblant de liberté, mais également quelques informations sur l’étrange lieu où elle se trouvait. Bien que les premières images qu’elle ait pu voir aient été celles d’un cimetière désert au milieu de la nuit, elle avait bien senti qu’elle n’était pas en un lieu connu.

Elle n’avait en revanche pas songé qu’elle pouvait être en un temps inconnu. Elle n’avait guère eu le temps d’y penser à vrai dire. La question avait fini par s’imposer d’elle même, et si elle manqua de perdre connaissance, ce n’était pas seulement à cause du manque de nourriture. Apprendre qu’elle avait passé deux siècles enfermés là dedans était et de loin, le pire qui aurait pu lui arriver. Du moins, c’était ce qu’elle croyait avant de découvrir qu’elle se trouvait en Amérique, continent que l’on disait si peu civilisé. Décidément, tout allait de travers : elle qui avait tant souhaité retrouver cette sorcière ainsi que son frère, leur arracher les yeux et pourquoi pas les leur faire manger, voilà qu’elle faisait face à une cruelle déception. Mais elle était revenue, c’était une consolation qui devait être bien suffisante.

Elle avait marché, avait pu se nourrir, enfin, bien que cela soit loin d’être suffisant pour combler deux siècles de privation totale. Elle était perdue, elle était dépassée par ce qui venait de se passer, par ce qui l’attendait, ce monde qui n’était plus vraiment le sien, ce dont elle n’avait pas encore conscience pour le moment. Elle ne savait rien, ne connaissait plus rien. Le monde avait changé, mais ce n’était pas son cas, et cela ne s’arrêtait pas seulement à sa robe et son corset. Ce n’est que lorsqu’elle fut un peu rassasiée qu’elle eut les idées plus claires. Mais cela ne dura pas. Car soudain, elle le sentit revenir.

Le lien.

Il était là. Tout près. Elle le sentait, elle le savait. Un sourire se dessina sur son visage. Etait-il possible que malgré le temps, son créateur se trouve sur les mêmes terres qu’elle ? Oui, c’était bel et bien le cas. Elle quitta tout, utilisant ses forces pour parvenir jusqu’à lui. Suivre le fil qui la mènerait à Damian. A moins que cette sorte de boîte de métal montée sur roues ne la percute. En voyant le véhicule d’origine non identifié foncer vers elle, elle hurla, se reculant juste à temps pour éviter la collision, effrayer par le son strident qu’il avait émis. Le monde était devenu fou, elle en était persuadée maintenant. Mais si elle pouvait retrouver son créateur, les choses alors seraient sans doute plus vivables.

Le paysage de la ville divergeait de tout ce qu’elle avait pu connaître, à la fois terrifiant, et surtout... affreux. D’une épouvantable laideur. Comment pouvait-on vivre dans un endroit pareil ? Et puis, l’atmosphère était étouffante et elle était surprise que des êtres humains songent à vivre dans de telles conditions. Durant son parcours, des odeurs l’assaillirent, répugnantes, repoussantes, qui ne s’atténuèrent que lorsqu’elle se trouva au milieu d’une étendue verdoyante. Surprise par le soudain changement de paysage, et surtout, totalement épuisée, elle s’arrêta. La faim était revenue, plus douloureuse que jamais. Malheureusement, pas un promeneur ne semblait s’être égaré aux alentours. C’était bien sa veine. Elle n’avait nulle besoin d’y avoir passé des heures pour comprendre que cette nature n’avait rien de naturel, tout comme le triste endroit où elle se trouvait. Et la faim se faisait de plus en plus forte, l’empêchant de continuer à avancer.
Au moment où elle entendit un léger frémissement dans un buisson, elle plongea, en ressortant avec un lapin qu’elle tenait fermement par les deux oreilles. Manger des animaux était bien quelque chose qu’elle ne faisait jamais. Elle n’en aimait pas particulièrement le goût, mais surtout, qui pouvait apprécier de voir des poils mêlés à sa nourriture ? Pas un être sensé, c’était certain ! Néanmoins, la situation était pour le moins extrême, peut-être était-il temps de faire une concession. Mais en voyant cette adorable bestiole se trémousser au bout de son bras, elle afficha une moue attendrie. « Tu es vraiment trop mignon pour être mangé. Mais j’ai tellement faim ! » gémit-elle d’un air désespéré. « A ma place, qu’est-ce que tu ferais ? » Demanda-t-elle au lapin, en soupirant, mais pour toute réponse, l’animal ne fit que la regarder et gigoter de nouveau.

Elle sentait toujours la présence de Damian, non loin d’ici, mais il lui semblait qu’elle avait un peu de temps avant de le rejoindre. Savoir qu’elle avait été inconsciente durant deux siècles était une chose, réaliser ce que cela représentait vraiment en était une autre. A ses yeux, c’était comme si elle avait vu son créateur la veille. Le manque était là, mais elle ne le ressentait pas de manière trop profonde.  

Guess who's coming back

Oh, oh, oh, Sweet child o' mine

Un instant où tout semblait abstrait et beaucoup trop complexe. Un passage de songes teinté de noir et de blanc, un trop plein de contradictions qui se bousculaient et se noyaient au fond de son regard impavide. Vide. C'est ce qu'il devrait être. Complètement vide. Un gouffre sans fond, sans raison, ni conscience. Vide, sans douleur, sans inquiétudes, sans cette impression de faire constamment des bévues... Assit sur son fauteuil fétiche, près de la fenêtre encore voilée par son épais rideau, il fixait son verre de bourbon, sans bouger, sans même remuer un seul de ses membres. Le temps filait, menaçant, oppressant ses entrailles... et il ne savait toujours pas s'il parviendrait à se faire un chemin jusqu'à elle. Son visage se leva lentement et son regard perça arrogamment les aiguilles de l'horloge murale devant lui. Le soleil s'était laissé bercer par le sommeil depuis quelques heures déjà, la lune s'imposait, belle garce reine des cieux... et son agacement était sur le point d'atteindre le summum de l'absurdité.

Sa main se crispa sur son verre et c'est le temps d'une parcelle de seconde que celui-ci se fracassa contre l'horloge, éclatant en une pluie cinglante de fragments. Le silence tomba à nouveau, lui exposant d'une violence inouïe un fait évident : le temps filait... et il était toujours là, à se torturer l'esprit. Le temps sur l'horloge s'était fêlé, mais ce n'était qu'une illusion, puisque le temps était fourbe, il poursuivrait son avancée, le bousculant à prendre une décision, le forçant à trancher, à mettre un terme à ce dilemme qui le tourmentait depuis d'innombrables heures. Pourtant, la réponse était tangible, à sa portée, plantée à l'intérieur de son crâne... si seulement il pouvait... grmph...

« Je vous ai demandé de me trouver un sorcier... j'attends depuis des heures... et j'attends toujours. Où est cet abruti dont vous louangez les mérites ? Lui avez-vous précisé que son aide sera grassement récompensée ? Le temps s'étiole, Philippe... et ma patience aussi. »
- Je suis sincèrement navré, Damian, mais vous devrez attendre encore une heure ou deux... je ne peux pas préciser plus qu'il le faut, sachant qu'il devait se pourvoir de quelques ingrédients indispensables pour ce type de séance. Cessez de vous inquiéter... je suis persuadé que votre progéniture se porte bien.

Philippe... devait être un crétin. Comme tous les crétins qui parasitaient cette planète. Cette damnée planète était une saloperie de... poubelle à crétins !

« Philippe, vous êtes... »

Comment déjà ? Ah, oui...

« ... un pauvre crétin qui n'a aucune idée de l'ampleur de la situation. Mon infante est seule, dans cette ville merdique. Elle doit être affamée, désorientée et confuse. Je le SAIS, je le ressens ! Alors, ne m'emmerdez pas avec vos paroles saturées de... de conneries qui ne veulent rien dire ! Je crois être mieux placé que vous pour savoir si le temps presse ou non ! Si d'ici une minute votre imbécile de magicien ne pointe pas le bout de sa sale trogne, je vais à sa recherche... ET JE VOUS EMMERDE TOUS ! »

Mais quand tous ces gens allaient-ils comprendre que Damian avait cette fâcheuse tendance à s'emporter facilement ? Pourquoi est-ce qu'ils n'apprenaient pas à tout simplement... se la fermer lors de ces moments très délicats où il était sur le point de faire une crise d'hystérie puissance 3000 ?!! Ce n'était pas comme s'il n'avait pas démontré de signes avant-coureur d'un nouvel emportement susceptible de provoquer un foutoir monstre dans la place ! On parlait bien de Damian ici, non pas de mère Thérésa ! Ce genre de détails claquaient à la tronche, allons !

«... ET VOUS ÊTES TOUS VIRÉ ! J'EN AI MARRE DE VOS SALES BLA BLA BLA BLAAA BLAAAAAAAAA ! BLA BLA ! »

Il faut noter ici que les '' bla bla bla '' remplacent ces jolies paroles ordurières qui écorchent superbement les oreilles des trois personnes se tenant à sa proximité en cet instant précis.

«... BORDEL ! ET BLA BLA BLA BLAAA BLAAAAAAAAA ! BLA BLA ! BLA BLA PUTAIN DE BLA ! »

Terminé, c'était bon maintenant ? Ah, non, encore un peu...

« ... grmph... bla de bla bla ! BLA BLA bla tsss.... bien... maintenant que j'ai usé de toutes les injures les plus salaces de mon vocabulaire, je n'ai plus rien à ajouter ! Contents ?! »

Il se leva d'un bond, toujours avec sa rayonnante bonne humeur et poussa Philippe pour se frayer un chemin jusqu'à la porte d'entrée.

« Vous direz à votre sorcier de pacotille d'aller se faire foutre ! Je n'ai pas vu mon infante depuis plus de deux siècles et je ne vais pas attendre encore ! Je vais la retrouver moi-même ! De toute évidence, je vais avoir le temps de la retrouver et de revenir ici avant que votre mage attardé daigne se pointer ! RÉMI ! BOUGE TOI ! Je ne peux pas conduire dans cet état ! Je vais tous les faucher ! »

§ Une trentaine de minutes plus tard... §

La limousine sillonna une bonne vingtaine de rues avant d'emprunter une direction plus précise. L'Originel, assit à l'arrière du véhicule, tentait de se fier à ses instincts pour la retrouver. Lorsqu'il ressentait plus fortement la présence d'Élizabeth, il donnait des indications à Rémi, qui promptement exécutait les manœuvres nécessaires, sachant bien que son '' maître '' n'était pas d'humeur à être clément pour ne serais-ce qu'une parcelle d'erreur. Deux siècles s'étaient étiolés depuis la disparition de sa douce progéniture et depuis il en avait été tourmenté. Trop de questions avaient été laissées sans réponses. Elle s'était volatilisée, sans laisser de trace et aujourd'hui, il ne comprenait pas comment il avait été possible que tout ce temps il n'avait pas eu la capacité de ressentir sa présence alors qu'il était son sire, son créateur ! Ils avaient un lien de sang, impossible à fissurer, alors comment était-ce possible ?! Elle s'était volatilisée depuis plus de deux siècles, pour soudainement réapparaitre ?! Aucune importance, tout ce qu'il lui importait pour l'instant était de la retrouver, enfin. Quelques minutes passèrent avant qu'il n'ordonne impérativement au chauffeur d'immobiliser le véhicule. Une fois fait, Damian s'en extirpa, soudainement fiévreux d'excitation. Avant de s'éloigner de la limousine, il s'inclina vers la fenêtre du conducteur.

« Elle est tout près d'ici, Rémi... prépare la nourriture. Tu as bien fais des provisions pour le trajet, comme je te l'ai ordonné ? »
- Oui monsieur Mortrid, vos deux repas se trouvent dans le coffre de la voiture, comme demandé. Toujours bien vivants, sous sédatif.
« Tu me vois très satisfait de tes services. Une augmentation est de mise ! »

Il n'allait pas s'en plaindre, pour une fois qu'il n'avait pas un crétin comme employé, hmmm ! Il s'éloigna donc de la voiture, d'un pas calme et à la fois pressé. Une fois à la proximité d'un bosquet d'arbres, il s'immobilisa quelques instants et laissa ses prunelles faire un tour d'horizon, qui bientôt se soudèrent à la contemplation d'Élizabeth, qui plus loin, tenait entre les mains un lapin. Il la détailla de la tête aux pieds et fut interloqué de la voir affublée de ses atours d'autrefois. Il présumait que ce fait était irrémédiablement lié à ce mystère qui gravitait autour de sa disparition... Fourrant les mains dans les poches de son pantalon, il amorça une lente avancée en sa direction. Une fois près d'elle, il appuya une épaule contre l'écorce d'un arbre et s'alluma une cigarette.

« Ma chérie, relâche cette pauvre bête, tu mérites un plat beaucoup plus onctueux... »

Une fois qu'elle eu conscience de sa présence, il lui offrit... un tendre sourire.

« Par tous les diables, où étais-tu tout ce temps ? Je t'ai cherché très longtemps sans parvenir à te trouver... j'ai cru à ta mort définitive... tu n'as donc aucune pitié pour moi ? Ta présence me manque atrocement... j'en deviens insupportable. »

Il laissa tomber sur le sol sa cigarette à peine consumée et s'approcha d'elle. Une fois à un souffle de distance, ses bras l'enlacèrent affectueusement et il posa un baiser sur sa tête.

« Élizabeth, ne me refait plus jamais une chose pareille... je suis trop vieux pour supporter ces conneries..., souffla-t-il à son oreille.

Ah, mais quel soulagement ! Il avait soudainement l'impression d'être libéré d'un énorme fardeau !

Elle n’avait encore jamais envisagé ne serait-ce que la possibilité de dévorer un animal. Les poils la dégoutaient et l’idée d’en avoir collés aux gencives ne l’enthousiasmait guère. De plus, l’odeur même lui suggérait que ce serait là un bien piètre repas. Mais elle n’avait encore jamais connu une telle faim. Même la demoiselle que le charmant Blake lui avait permis de terminer n’avait pas suffi à la rassasier. Loin de là. Il semblait même que cela n’avait fait que lui ouvrir l’appétit. Manger. C’était tout ce à quoi elle pensait. C’était ce qui l’empêchait de sombrer dans la plus intense panique. Ca et l’espoir de trouver Damian. Elle sentait sa présence. Il était là, quelque part. Mais, désorientée comme elle l’était, elle était bien incapable de savoir comment le retrouver. Il était possible qu’elle ne se soit absolument pas dirigée dans la bonne direction. Elle aurait pu fondre en larmes tant elle était épuisée. Elle avait commis une erreur. Elle n’aurait pas dû quitter Blake, pas tant qu’elle ne s’était pas assurée qu’il ne possédait pas l’information qu’elle désirait. A présent, il était trop tard. A l’instant où elle avait cru sentir la présence de Damian, elle s’était précipitée. Et voilà qu’elle était sur le point de défaillir, bien incapable de courir davantage. Si elle ne se nourrissait pas, elle ne pourrait aller plus loin. Et bien sûr, pas un humain n’avait eu l’idée de s’égarer dans les environs, à sa merci. Elle n’avait peut-être plus de forces, mais peut-être aurait-elle pu utiliser l’hypnose pour obtenir ce qu’elle souhaitait. Sa robe était terriblement lourde, et le corset lui semblait la serrer plus que d’ordinaire.

Quelques mots, prononcés dans la nuit. Quelques mots. Une voix dont la sonorité suffit à la faire frissonner. Elle savait déjà. Elle tourna la tête. C’était bel et bien lui. Toujours le même, la regardant avec un amusement certain tenir cette bête entre les mains. Le fixant, elle en oublia le pauvre animal et le lâcha. Il s’enfuit immédiatement, inconscient du triste destin auquel il venait d’échapper. Enfin le cauchemar était terminé. Il était là, elle n’avait plus rien à craindre.

« Damian... » réussit-elle à articuler.

Elle ne réussit pas à répondre immédiatement. Leur contact la rassura : ce n’était pas une hallucination due au manque de nourriture. C’était bel et bien réel. Elle l’entoura de ses bras et se serra fort contre lui. Elle n’avait pas tant ressenti le manque. Les deux cents années qui s’étaient écoulées n’avaient pour ainsi dire pas existé dans son esprit. Et pourtant, dans cet endroit où tout lui semblait étrange et effrayant, elle n’avait jamais été si heureuse de le revoir. Puis, elle se détacha légèrement de lui et releva la tête, désireuse de s’expliquer.

« Ce n’est pas ma faute ! Cette horrible sorcière et son frère m’ont torturée et m’ont fait... j’ignore quoi. Je ne me souviens de rien, je me suis réveillée dans une sorte de... tombeau, au cimetière. »

Elle leur mettrait la main dessus et leur ferait payer ce qu’ils lui avaient fait. Elle avait beau être épuisé, elle n’avait rien perdu de sa rancune. Ils n’auraient tout simplement pas dû s’en prendre à elle. Elle ignorait qu’ils étaient tous deux morts depuis bien longtemps. Ou plutôt, elle refusait de le voir, de voir que tout avait changé, de voir que le tissu de sa robe était marqué par le temps, le bas couvert de moisissures. Elle ne voulait pas voir les constructions, les vêtements qu’il portait, l’odeur qu’elle respirait, même ici au milieu des arbres. Elle n’avait passé suffisamment de temps avec Blake pour comprendre. Mais elle ne pouvait ignorer ce qu’il se passait plus longtemps. Elle recula de quelques pas, l’air désemparé.

« Damian, que se passe-t-il ? Quel est cet horrible endroit ? J’ai manqué de me faire dévorer en chemin par un monstre sur roues ! Tout est affreux, et étrange... J’aimerais rentrer à la maison. »

Par la maison, elle voulait bien entendu dire Londres. Ou n’importe quelle autre ville de l’Angleterre. Ce qu’elle connaissait. Loin d’ici en tous les cas. Très loin d’ici. Elle avait soigneusement évité de poser la vraie question, celle dont la réponse la terrorisait. Ce n’était pas où ils étaient, mais plutôt quand ils étaient. Elle était prise d’un horrible pressentiment sur lequel elle souhaitait éviter de mettre des mots. Elle ne voulait pas comprendre, ne le pouvait pas. Elle se sentait perdue, déphasée. Il n’y avait que lui, lui qu’elle connaissait, qui constituait son unique pilier dans ce chaos. Et rien de tout cela n’était de sa faute ! Elle n’avait absolument rien fait pour mériter ça ! Etait-ce de sa responsabilité si le fiancé de cette sorcière s’était entiché d’elle ? Et s’il s’était donné la mort par la suite. Bon, peut-être y était-elle pour quelque chose, mais elle l’avait seulement embrassé et à l’époque elle ignorait encore l’effet que cela produirait. Non, elle n’était que la victime d’un épouvantable malentendu, voilà tout. Elle se sentirait bien mieux une fois qu’elle aurait exercé sa vengeance sur ses bourreaux. Mais en attendant, la faim était toujours là, tenace, la faisant souffrir jusque dans ses gencives même. Ses sens étaient bien plus en alerte que d’ordinaire, et, à travers la douce brise qui vint caresser son visage, il lui sembla respirer de délicieuses effluves. Cela suffit pour que des veinules bleutées apparaissent sous ses yeux. Du sang, du sang humain, tirés directement à la source. C’était tout ce à quoi elle était capable de penser.

« J’ai l’impression que je sens de la nourriture... J’ai si faim qu’il semblerait que j’hallucine à présent ! » soupira-t-elle désespérée, avant de le regarder d’un air suppliant. « Je t’en prie, j’ai besoin de manger quelque chose, n’importe quoi. »

Quelque chose qu’il serait forcé d’aller lui chercher. Elle ne croyait pas être capable de faire un pas de plus. Elle ne s’était pas nourrie depuis plus de deux cents longues années et commençait sérieusement à le sentir, bien qu’elle ait eu l’occasion de se sustenter à son réveil.