❝ personal responsibility ❞ - ADDAMS FAMILY

Les sourcils rapprochés, l'air songeur, mes yeux parcourent ces bouts de papiers, mon cerveau tentant de mettre un sens à tout ce charabia. Quelque chose manque. Un morceau du casse-tête m'échappe et je ne parviens pas à mettre le doigt dessus. Mes doigts entremêlés entre mes mèches folles, cette pauvre tignasse que je ne prends plus le temps d'entretenir à sa juste valeur, je m'acharne à contempler ces informations que j'ai pris des semaines à rassembler. La table basse du salon est recouverte de ces papiers ainsi que de mon carnet de notes beaucoup trop précieux pour sa valeur réelle. J'ai les fesses posées sur ce sofa depuis... depuis combien de temps déjà? Je ne peux dire avec certitude. Mais elles commencent à s'engourdir par la pression exercée sur elles et je n'écoute pas mon corps qui me supplie de faire une pause et de m'étendre un moment. À quand remonte ma dernière nuit de sommeil complète? Deux, trois heures. C'est bien le nombre d'heures maximum que je parviens à fermer l'oeil de manière consécutive. Je me réveille toujours en sursaut, le front couvert d'une sueur froide et le coeur battant la chamade. Je dois me lever et observer les lieux, consulter mon téléphone, sortir le nez à l'extérieur. On ne sait jamais. J'avais toujours cette impression fausse qu'il reviendrait. Sa présence est si profondément imprégnée dans les murs de mes quartiers que je le sens près, mais tellement loin. Un vide plane en ces lieux et ma tête tente de trouver un sens à ce néant, incapable de concevoir qu'il n'y est plus. Je ne peux dormir avec la pensée qu'il souffre. Je ne peux me reposer avec la certitude qu'il a besoin de sa famille. Alors je reprends le travail. Mon appartement est devenu un véritable champ de bataille... On ne perçoit plus la couleur des murs, complètement recouverts de papiers de toutes sortes, des bouts de journaux déchirés, des photos imprimées avec des indications écrites à l'encre noire... Des fils de laine de toutes les couleurs, vert, bleu, rouge, s'entrecroisent et parcourent un chemin bien défini. Il y a un sens à tout ça. Un sens que seule moi et ma cervelle pouvions comprendre. J'y parviendrai. Avec les efforts nécessaires, j'y parviendrai.

Mes yeux ne parviennent plus à enregistrer les mots que je tente de lire. Ma vision devient embrouillée par la fatigue, mais je m'acharne à vouloir décortiquer l'information que ce dossier confidentiel peut m'apporter. Je n'ai jamais eu autant de contact dans le monde de l'escroquerie que j'en ai maintenant. On m'a dirigé vers ce mec étrange et nerveux qui m'a aidé avec une joie qui s'apparentait à de la folie à me procurer le dossier criminel de ce mafioso. Cet italien de souche qui était parvenu d'une manière exemplaire à s'échapper aux horreurs du Devil's Path. Il n'est plus dans les environs, je sais bien, mais peut-être qu'en fouillant bien, peut-être qu'en retraçant son parcours... Ouais, peut-être que je suis sur la bonne piste! La vibration de mon téléphone me sort de ma transe et me permet enfin de détourner les yeux de mon dossier dont je n'ai absolument rien retenu de l'information que j'ai lu. Je me passe une main devant le visage afin d'y balayer la fatigue. Je me laisse tomber vers l'arrière, mon dos venant s'enfoncer dans le coussin moelleux du fauteuil, pendant que ma main saisi l'appareil qui vibre à mes côtés. Je jette un oeil à l'écran, découvrant un message d'Exekiel. Il se demande où je suis. Merde. Bientôt 19h. Ariana et Coraline vont me tuer si je ne me présente pas à ce dîner traditionnel. Je laisse échapper un soupir et répond brièvement au mutant que je suis en chemin. Je me lève aussitôt de mon siège, mes fesses me remerciant de les épargner de cette pression une minute de plus, et je m'empresse de saisir mon trousseau de clés avant de quitter mon appartement, laissant derrière le désordre de ma vie.

J'arrive au studio de ma famille, le coeur aussi gros qu'un pamplemousse. Revenir ici, à chaque fois, ça me procure un pincement désagréable. Trop de souvenirs, trop de douleur, trop d'eux... J'entre dans la demeure avec mon malaise, retrouvant les trois personnes restantes qui importent le plus dans ma vie. « Hey... Désolé du retard... » que je marmonne de ma voix faible et fatiguée. Ils sont déjà prêts à se mettre à table, un bon repas préparé pour nous réchauffer le coeur. Je n'ai rien contre ces petits moments en famille, au contraire, c'est tout à fait logique de s'accrocher à ceux qui sont prêts de nous. Mais ne suis-je pas la seule à qualifier ce temps de perdu? Nous pourrions faire tellement plus que de se regarder avec nos airs tristes et coupables, se mettre à l'action et poursuivre nos recherches! Mais je ne dis rien. Parce que peut-être au fond j'ai besoin de ces instants de répits pour éviter de rencontrer la folie...

Je m'assois à ma place habituelle et décapsule instinctivement la bière qui est déposée devant mon assiette. Je prends un moment pour déguster le liquide qui descend aisément le long de mon gosier avant d'entamer ce repas - dont je ne mangerai que quelques bouchées, c'est à prévoir. Je jette un oeil aux gens autour de la table et hésite. Mais je ne peux retenir les mots de sortir de ma bouche. « Je crois être sur une piste. Vous vous souvenez de cet italien qui s'est échappé des lieux et qui a disparu de la map? J'ai son dossier et je crois pouvoir retracer certaines personnes dans son entourage... Si je prends contact avec eux, peut-être qu'ils sauront nous dire comment le sortir de là... Je peux m'en occuper. J'ai déjà des contacts dans ces gangs. Giani pourrait me mettre en contact aussi. Ouais, avec un peu de pression, il acceptera sûrement de me donner un coup de main... Il m'en doit une avec la dernière fois. » Je parle plus pour moi-même que pour les autres. Je réfléchis à voix haute alors que je planifie la suite de mon plan. Et je souhaite faire tout, toute seule. Je sens cette responsabilité sur les épaules, comme si je veux éviter de m'être quiconque d'autres d'importants en danger. Je leur cache des choses... Je ne leur dis pas tout, alors que je devrais. Ils ont autant le désir de le sortir de cet enfer que moi, non? Et je m'obstine à les éloigner, parce que je ne pourrais supporter de les voir se faire prendre à leur tour. Non, hors de question de les mettre dans une position aussi délicate. Je dois les protéger. Le regard absent, je fixe le plat devant moi, mes ongles jouant avec l'étiquette de ma bouteille de bière. Je n'attends pas de réponse, car je divague déjà dans mes plans interminables de trouver un moyen de sauver Salem.