Homecoming - Aidan&Samantha

Homecoming

Elle avait pris quelques jours de congé. Après les événements qui s’étaient enchaînés si rapidement, il lui fallait du temps pour réfléchir. Pour intérioriser. Pour se poser les bonnes questions. Trouver les bonnes solutions. Quelques jours… Il lui semblait qu’il lui faudrait des mois, des années pour réussir à se remettre sur pied. Elle avait ressuscité quelqu’un. Elle avait réussi à lancer le sort toute seule, comme une grande, et il avait réussi. Elle n’avait pas eu droit à un zombie ou quoi que ce soit du même genre mais à une jeune femme, belle et bien vivante. Et en plus, celle qu’elle voulait ramener. Ce n’était pas rien. Non. En effet, pas rien du tout. C’était même toute une vie. La magie aurait pu lui demander la sienne en échange. Car toute magie a un prix. Toujours. Il faut toujours payer le prix. Mais au lieu de ça, non, le destin lui avait rit au nez et lui avait volé ses pouvoirs à la place. Quelle ironie. Elle avait eu l’impression de mourir et continuait à succomber toujours un peu plus chaque jour. Elle vivait la magie. Elle se sentait nue, perdue, déchirée en mille morceaux sans elle. Elle aurait peut-être préféré être morte plutôt que de subir ce calvaire. Non. Non. Elle devait rester vivante. Elle avait sa mère à venger. Et puis il y avait eu cet homme qu’on avait envoyé pour la tuer… Les vampires voulaient la tuer… elle ne comprenait pas pourquoi… Elle ne représentait pas tant une menace qu’un espoir de pouvoir marcher à la lumière du jour… Elle s’était sentie si vulnérable, si fragile. Si… facilement cassable. Elle ne s’en était réchappée que parce qu’elle avait avoué sa nature au mercenaire et qu’il l’avait laissée filer, n’attendant que la bonne occasion pour lui demander un service équivalent… et équivalent à ce que les vampires voulaient : être affranchi de l’astre lunaire. Elle en tremblait encore la nuit, quand elle savait que Joe était sortie. Elle tremblait, elle pleurait, resserrée en position fœtale sur son lit. Le monde avait tellement basculé en quelques jours. Quelle mouche l’avait donc piquée quand elle avait décidé de ramener Joe d’entre les morts ? Chaque jour, chaque minute, alors que son esprit dérivait, la question la hantait.

Depuis quelques jours, elle évitait soigneusement Johanna. Elle ne voulait pas la croiser. Elle ne voulait pas affronter son regard scrutateur, juge. Elle ne supportait de paraître si faible alors qu’elle avait toujours été une force de la nature, incapable de rester en place, incapable de se poser pour autre chose que lire un livre. Ce jour-ci, elle avait décidé de sortir. Elle avait évité de quitter l’immeuble, se contentant de monter sur le toit quand elle ne voulait voir personne, ou de s’enfermer dans sa chambre sans un mot… Mais quitter la sécurité précaire de l’immeuble… Non. Elle avait trop peur. Trop peur de tomber sur Salem encore une fois. Trop peur qu’il n’y ait personne aux alentours et qu’il ne prenne l’avantage. Il semblait être patient pour l’instant, attendant qu’elle lui signifie que sa magie était revenue… mais il y aurait bien un moment où il se lasserait d’attendre… Ou jugerait qu’elle le menait en bateau et qu’elle ne pouvait pas avoir besoin d’autant de temps pour récupérer. Mais, diable !, elle avait frôlé la mort… On ne s’en remettait pas comme ça. Elle était sortie, s’enroulant dans un gros pull plutôt que de mettre son blouson. Ses chaussures à talons avaient claqué sur le bitume jusqu’à ce qu’elle approche du reste de verdure qui subsistait encore dans le Bronx ou même dans la ville. Il n’en restait pas beaucoup… et les parcs étaient sujets à des trafics en tout genre, alors elle ne voulait pas aller par là. C’était bien trop dangereux. Elle qui ne savait pas se défendre sans magie. Maintenant qu’elle n’en avait plus, elle se rendait cruellement compte à quel point elle se reposait dessus pour certaines choses.

Les bras serrés autour d’elle, Samantha zigzagua entre les arbres, laissant son intuition la guider jusqu’au bruit de l’eau. Peu à peu, le sol recouvert de brindilles et de feuilles laissa place à des graviers puis à des galets bien ronds et luisants. Elle resta un instant debout à contempler sans vraiment les voir les remous qui agitaient la surface de la rivière. Qu’est-ce qui pouvait bien se cacher sous ses eaux sombres ? Samantha n’en savait rien et elle ne voulait pas savoir. Avec les radiations, qui savait ce qu’étaient devenus les poissons et autres créatures qui vivaient là avant ? La jeune femme ferma les yeux et respira profondément, les bras toujours resserrés autour de son corps. Un long frisson la parcourut de la tête aux pieds. Elle décida de s’asseoir sur les galets et le bout de ses bottes se faisait lécher par les vaguelettes par intermittence. Ses mâchoires étaient serrées. Son souffle dessinait un petit nuage de vapeur d’eau dans l’air frais. Elle avait ramené ses genoux contre sa poitrine et enroulé ses bras autour, posé son menton dessus. Elle regardait le paysage sans vraiment le voir, savourant la solitude et la tranquillité. Les bruits de la ville étaient estompés ici… et personne ne venait jamais. A part… — … Sam …. C’est toi ? — La jeune femme sursauta et tourna la tête lentement, appuyant sa joue contre son épaule pour regarder par dessus celle-ci. Elle cligna des yeux et son regard remonta le long du corps du jeune homme qui se trouvait un peu plus loin, à peine sorti du couvert des arbres. Ses prunelles glacées se réchauffèrent et s’illuminèrent d’une teinte chaleureuse quand elle reconnut les traits, les yeux, les cheveux de celui qui avait été son meilleur ami… Il lui semblait que des siècles étaient passés depuis qu’ils avaient chacun pris un avion pour des destinations différentes.

Samantha se leva, les yeux pétillant toujours d’une joie à peine dissimulée, et frotta son pantalon même si les galets n’y avaient rien laissé d’autre qu’une trace humide. Les souvenirs défilaient à toute vitesse dans sa tête et ses pas la menèrent naturellement vers Aidan. Il lui avait manqué. A mesure qu’elle avançait, des larmes perlèrent dans ses yeux. Elle qui avait si souvent pleuré ces derniers temps, elle pensait que ses larmes s’étaient taries, mais non. Arrivée près de lui, elle passa ses bras autour de son cou dans une étreinte un peu maladroite. — Aidan… ! Tu m’as manqué ! Comment… ?! Pourquoi tu es là ? — Sa voix est douce et basse, loin de l’hystérie qu’elle pouvait parfois montrer en Angleterre. Puis la jeune femme fronce les sourcils, esquisse une moue boudeuse et s’éloigne un peu du jeune homme, lui donnant un coup — pas trop fort mais quand même — dans les côtes. — Tu avais promis que tu écrirais et tu l’as pas fait ! — Elle place ses mains sur ses hanches, les sourcils toujours froncés. Des larmes ont tracé des sillons humides sur son visage mais ils s’assèchent déjà avec la brise qui circule au bord de l’eau.

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New-York n’était en effet pas une ville paradisiaque. Elle était bien loin de Westbury Field et du reste de l’Angleterre. Mais pour Samantha, c’était là où elle avait grandi, là où elle avait passé toute son enfance. Une enfance trop vite achevée par la disparition de son père et la mort de sa mère. Mais alors qu’elle contemplait les remous sombres de sa propre existence, elle ne pensait pas tellement à ce qu’elle avait laissé derrière elle il y a quelques décennies de cela. Non. Elle pensait à ce qu’elle venait de prendre. Son identité même. Ce qui la définissait. Elle était née avec la magie. Elle l’avait pratiquée depuis qu’elle était assez grande pour parler et allumer des bougies. Et maintenant… Plus rien. Pas même le moindre résidu de tatouage mystique sur sa peau. Plus rien. Même quand elle avait été des plus fatiguées, ils s’enroulaient toujours délicatement autour de son nombril, comme un souvenir, un bijou dont on oublie la présence jusqu’à ce qu’il ne soit plus là. Comme aujourd’hui. Comme hier. Comme tous les jours qui étaient passés depuis cette soirée où elle avait commis ce qui avait peut-être été la plus grosse erreur de sa vie. Ses doigts effleuraient toujours distraitement son ventre, comme si elle essayait perpétuellement de faire renaître la sensation onctueuse de la présence encrée de ses pouvoirs dans sa chair. Les larmes piquaient ses yeux. Elle déglutit. Et sursauta quand elle entendit une voix derrière elle. Mais quand son regard tomba dans celui d’Aidan, le sourire du jeune homme se répandit sur les lèvres de la blondinette.

Quand elle se leva pour le rejoindre, elle se demanda s’il pourrait déceler quelque chose de changer en elle. Si elle avait perdu du poids, ou autre chose. Si dans son regard, il y voyait les fantômes des jours passés. Des jours qui lui avaient dérobé son essence même. Elle était comme un dragon auquel on avait ligoté les ailes, l’empêchant de voler, de goûter à la sensation grisante de courser les nuages. Mais son regard ne le quittait pas et les souvenirs lointains chassèrent les récents. Elle se souvenait de leur rencontre, dans une avalanche de livres. Puis leurs nombreuses balades en forêt. Les premières fois, cela avait été si dur de le faire sortir de ses livres et de son labo… puis il y avait pris goût. Et, apparemment, tellement pris goût qu’il se baladait même lorsqu’elle n’était plus là pour le tirer de ses pensées. Pourtant, elle ne doutait pas qu’il n’était pas sorti souvent de l’université depuis qu’ils s’étaient quittés. Finalement, les larmes qui lui piquaient les yeux auparavant dévalèrent ses joues. Mais ce n’était pas pour la même raison. Cette fois, c’était des larmes de joie. Peut-être même de soulagement. Dans le monde dans lequel ils vivaient, ne plus avoir de nouvelles pouvait parfois signifier le pire. Et Samantha n’aurait pas supporté d’apprendre que son ami avait péri. Qu’il soit loin, qu’il oublie d’envoyer des lettres, c’était une chose qu’elle pouvait supporter. Le savoir de l’autre côté. Non. Une petite voix lui susurra qu’elle avait bien ramené Joe, elle aurait bien pu le ramener lui aussi. Non. Sam fit taire cette voix. Elle n’avait aucun sens. Elle n’avait de toute façon plus de pouvoir. Et ramener les morts à la vie… C’était contre-nature. Elle avait déjà enfreint tellement de règle en ressuscitant Joe.

Elle enroula ses bras autour de son ami, blottissant son visage dans son cou, respirant son parfum. C’était comme si elle était retournée en Angleterre. Cette sensation lui apporta un peu de paix. Les mains d’Aidan dans son dos aussi. Elle avait toujours été la courageuse, la forte tête, mais sa présence tout près, ça la rassurait d’une certaine façon. Ce n’était vraiment que lorsqu’on perdait quelque chose, quelqu’un, qu’on se rendait compte à quel point on en avait besoin, à quel point on l’appréciait. Et puis il n’y avait réellement qu’avec Aidan qu’elle se laissait aller ainsi à autant de débordements d’affection. — À moi aussi tu m’as manqué. J’ai pensé à toi chaque jour. — Moi aussi. — Un faible sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle s’éloignait de quelques pas. — Si je suis là c’est pour … le travail. — Elle hocha la tête. Evidemment, le travail. Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres. Il était toujours autant prévisible. Le boulot, le boulot et toujours le boulot. Elle se ravança un peu, lui donna un coup dans les côtes avant de le disputer et d’esquisser une moue boudeuse. — Aiieeeeee !!! — Un sourire triomphant flotta sur ses lèvres alors qu’il massait la zone douloureuse. Oh, elle n’avait pas voulu lui faire mal, pas vraiment. Juste lui faire ressentir un peu ce qu’avait été son absence à ses yeux. Ça ne donnait qu’une infime idée, mais peu importe. Elle avait attendu chaque jour, attendant impatiemment que le facteur arrive, mais jamais une lettre de Harvard. Elle avait été déçue, triste, en colère. Un cercle vicieux. Il baissa les yeux. Sam laissa retomber ses mains le long de son corps. Elle n’aimait pas le voir comme ça. Certes, il lui avait fait de la peine en ne lui écrivant pas… mais elle n’aimait pas le voir avec cet air de chien battu.

— Je suis vraiment désolé … Tu me connais, j’étais complètement submergé dans mes travaux et puis avec le temps … je me suis dis que tu ne voudrais sans doute plus de moi à cause de tes nouveaux amis. Sans doute par honte … — Samantha ouvrit la bouche pour répondre mais elle resta un instant sans voix. — Honte ? Pourquoi est-ce que j’aurais honte de toi ? — Elle essuya distraitement les restes humides des larmes sur ses joues. — Et je n’ai pas tant d’amis que ça… — Ses derniers mots étaient à peine audibles. C’est vrai… Elle avait Mordred, mais il était assez taciturne dans son genre… Shawn qu’elle embêtait toujours à la bibliothèque avec ses émotions qui partaient dans tous les sens… et Joe… encore que, avec Joe, c’était assez compliqué et conflictuel. Elles cherchaient encore à trouver un terrain d’entente et à concilier leurs deux caractères. Finalement, Aidan releva les yeux vers elle et elle se rapprocha. Elle avait envie de retourner dans ses bras. Elle s’y sentait en sécurité. Loin de tous ses problèmes. — Et toi, tu m’avais pas dit que cette ville était complètement … complètement barjo et dangereuse ! Sinon, je serais venu avec toi ce jour-là ! Pourquoi tu restes toujours ici ? — De nouveau, elle resta sans voix. A cause de ses propos mais aussi à cause du ton de sa voix. C’était la première fois qu’elle le voyait aussi virulent. Elle le regarda un instant. Et détourna les yeux, le rose lui montant aux joues. — J’ai grandi ici, Aidan… et… Il y a quelque chose que je dois faire. — Elle ne pouvait pas lui en dire plus, pas vraiment. Comment pouvait-elle dire à son meilleur ami qu’elle avait comme but de retrouver le vampire qui avait tué sa mère et de lui régler son compte ? Son objectif était quelque peu bouleversé par les événements récents, mais il ne quittait pas son esprit. Lui était parti pour ses études, elle pour des raisons bien moins nobles.

Samantha secoua la tête avant de relever les yeux vers son ami. De nouveau, ses yeux s’étaient embués. Il y avait tellement de choses qu’elle aimerait lui dire, tellement de secrets… A cet instant, ils semblaient peser des tonnes. — Un travail tu as dit ? Quel genre ? Je ne te vois pas vendre des pâtisseries. — C’était à son tour de vouloir changer de sujet. Elle savait que tout raconter à Aidan la soulagerait… mais elle n’était pas encore tout à fait prête pour ça. Quant aux pâtisseries, elle, elle en vendait. Ça le ferait sûrement rire.

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C’était étrange de voir Aidan ici. Dans cette ville. En même temps, elle en était heureuse, car elle avait besoin de sa présence. Elle ne s’en était pas vraiment rendue compte avant qu’il n’arrive, mais c’était un fait qu’elle découvrait maintenant. Mordred était ce qui se rapprochait de plus d’un meilleur ami, ici, à New-York, mais leur relation n’était pas du tout la même que celle qu’elle partageait avec Aidan. Ce n’était pas vraiment comparable. Alors qu’il pense qu’il pourrait lui faire honte, sûrement pas ! Mordred lui-même était un peu bizarre, mais après tout, il pouvait dialoguer avec les appareils électroniques. Alors non, Aidan ne lui ferait pas honte. Joe était une revenante, qui vivait un peu en décalé et ne comprenait pas certaines choses, certains objets. Au final, Aidan était sûrement le plus normal de ses amis. Même si elle n’en avait pas énormément. Pourtant, même si elle semblait assez triste à cette idée, ce n’était pas vraiment le cas. Elle n’avait jamais été une grande bavarde ni très sociable, à part avec Aidan. Il y avait trop de choses dans son passé pour qu’elle puisse discuter librement sans avoir peur de lâcher quelque chose qu’elle regretterait. Encore plus maintenant alors que la menace semblait peser de plus en plus sur elle. Elle accumulait les secrets, vivant dans un monde qu’elle ne voulait partager. Qu’elle ne pouvait pas vraiment expliquer. — Tu en as plus que moi. — Pas beaucoup plus. — Mais son sourire était communicatif et son jumeau se dessina sur ses lèvres un peu trop pâles. — Et puis, ce n’est pas le nombre le plus important, mais l’affection que tu as pour eux tout comme eux à envers toi. — Tu as raison. — Plus que tout, à cet instant, elle aurait aimé retourner se blottir dans ses bras et faire comme s’ils n’avaient jamais quitté l’Angleterre. Retrouver un semblant de sécurité, un semblant d’innocence.

Mais Aidan haussa le ton. Il avait raison, d’une certaine façon. New-York était atroce. Pourtant, elle avait grandi là. Elle savait ce que c’était. Elle n’avait pas oublié alors qu’elle avait traversé l’Atlantique. Comment aurait-elle pu alors que le dernier souvenir qu’elle emportait de cette ville, c’était le corps inerte de sa mère étalé que le bitume ? Elle mordillait sa lèvre inférieure alors qu’elle détournait la tête. Elle comprenait l’instinct de protection dont il faisait preuve pour l’avoir si souvent ressenti alors qu’elle ne recevait pas de nouvelles. Combien de fois avait-elle voulu prendre le bus pour aller jusqu’à Harvard juste pour vérifier qu’il allait bien ? Elle ferma les yeux, refoulant les larmes qui menaçaient de refaire surface. Elle en avait assez de pleurer. Est-ce que ça se finirait un jour ? Parfois, elle se disait qu’elle aurait du rester en Angleterre. Tout aurait été beaucoup plus simple. Mais le souvenir des yeux sans vie, sans émotion, de sa mère… C’était insupportable. Elle avait besoin de réponses, elle avait besoin d’agir. Ce n’était pas si simple que ça, malheureusement. Comment pouvait-elle retrouver un vampire dans tous ceux qui avaient envahi la ville ? D’autant qu’elle ne savait même pas son nom, ne connaissait même pas son visage. C’était encore pire que de chercher une aiguille dans une motte de foin. Samantha releva les yeux vers Aidan. Elle y lut pendant un bref instant des questions multiples mais aucune d’entre elles ne franchit ses lèvres. Il devait comprendre qu’elle n’était pas encore toute à fait prête à tout déballer. Il y en avait tellement à dire. Tellement de souffrance, tellement de rage. Si bien que, parfois, elle ne savait plus faire la différence.

Voyant qu’il n’ajoutait rien, elle décida de changer de sujet, s’éloignant de la douleur et de la colère. Des pâtisseries. Aidan ria. Un sourire s’étira sur ses lèvres au son de son rire. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas entendu quelqu’un rire. Il se rapprocha alors d’elle avant de répondre. — Non non, j’ai mon diplôme de scientifique. Je travaille sur un projet, qui si réussi va changer le monde. Quelqu’un qui vit à New-York à découvert sur quoi je travaillais, Dieu seul c’est comment, et m’a fait don de l’argent pour que je réussisse ce projet. — Changer le monde, hein ? — Un léger sourire flottait toujours sur ses lèvres. — Mon petit doigt me dit que c’est l’un de ses vampires qui gouverne la ville. Peu importe s’il veut m’aider, il va peut-être me donner les ressources dont j’ai besoin. Enfin, j’attends que cette personne se manifeste. Voilà tu sais tout sur ma venue à New-York. — Ses yeux s’écarquillèrent aux mots de son ami. Vampire. Elle fit un pas en arrière. Ses yeux se teintèrent de suspicion et de doute. — Un… vampire ? Un de ces suceurs de sang infâme ? — Ses mots se bloquaient dans sa gorge alors qu’ils voulaient sortir trop vite. Elle voulut reculer encore mais Aidan l’entoura de ses bras, la ramenant contre lui. Cette fois, elle hésita un instant avant de poser ses mains sur le dos de son ami alors qu’il blottissait son visage dans son cou. Elle essayait encore de faire la part des choses. Un vampire. Il était financé par un vampire. Quel projet pouvait-il bien étudier ? La peur s’insinuait doucement dans ses veines alors qu’elle craignait le pire. Son cœur était bloqué dans sa gorge et battait un peu trop vite. Elle ne pouvait pas croire que son meilleur ami ne participe à un projet quelconque en rapport avec les vampires… Elle ne voulait pas le croire. Elle déglutit péniblement.

— Pardonne-moi pour tout à l’heure, je ne voulais pas te parler sur ce ton. C’est juste que … s’il t’arriverait quelque chose, je serais anéanti. Je sais que c’est un peu bête, mais tu es la seule personne qui compte réellement pour moi. — Elle ne dit rien. Même si elle avait voulu dire quelque chose, elle n’était pas sûre qu’elle y serait parvenue. Sa gorge était trop serrée. Il se détacha un peu d’elle, la gardant pourtant tout près et elle mit un instant avant de lever les yeux vers lui. Elle ne voulait pas qu’il lise toute sa crainte dans son regard… mais ne pas le regarder aurait été encore pire. Elle renifla doucement. — Tu sais que tu peux tout me dire, pas vrai ? C’est quoi cette chose si importante que tu as à faire ? Si tu veux, je peux peut-être aider. — Elle prit une grande inspiration, la bloqua un instant, avant de la relâcher lentement. Elle détourna les yeux brièvement avant de les plonger à nouveau dans ceux d’Aidan. — Un vampire… C’est un vampire qui a tué ma mère. — Ça y est. Elle l’avait dit. Elle déglutit péniblement une nouvelle fois, laissant le temps à Aidan d’assimiler la chose. — C’est pour ça que j’ai quitté la ville pour l’Angleterre. Parce que je n’avais plus personne d’autre que les femmes de Westbury Field pour veiller sur moi. — Elle marqua une nouvelle pause. Elle ne lui en avait jamais autant dit. Cette fois, elle détourna les yeux, posa sa joue contre le torse d’Aidan. Pour ce qu’elle avait à dire ensuite, elle ne pouvait soutenir son regard. Elle se laissa aller, écoutant les battements de cœur du garçon pendant un moment. — Et c’est pour cette même raison que je suis revenue ici… — dit-elle tout bas. Ce n’était pas vraiment une réponse… mais elle connaissait suffisamment Aidan pour savoir qu’il n’approuverait pas.

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Samantha savait qu’elle aurait du être heureuse pour Aidan. Il était devenu le scientifique qu’il rêvait d’être alors qu’ils étaient tous les deux en Angleterre. Il avait même un financeur anonyme qui lui permettrait assurément de faire avancer ses recherches plus vite. Oui, elle aurait du être heureuse pour lui. Mais elle n’y parvenait pas. Le mot vampire ne cessait de résonner dans sa tête comme si elle s’était trouvée sous une cloche quand celle-ci s’était mise à sonner. Elle en avait les oreilles qui bourdonnaient et son esprit ne parvenait pas à passer outre. Pour elle, les vampires n’étaient que des êtres infâmes, des parasites, qui en demandaient toujours plus, qui en voulaient toujours plus et n’hésitaient pas à tuer pour obtenir ce qu’ils souhaitaient. La preuve étant qu’ils avaient mené à la mort un bon nombre de sorcières juste pour pouvoir se faire dorer au soleil… et amplifier encore un peu plus leur emprise sur le monde. Ils le contrôlaient déjà alors qu’ils ne sortaient que la nuit… alors s’ils venaient à pouvoir marcher à la lumière du jour, qu’est-ce que leur monde deviendrait ? Oui, Samantha avait peur. Elle craignait les vampires. A cause du mal qu’ils avaient fait à sa « race » mais aussi pour une raison beaucoup plus personnelle. Et c’était cette raison-même qui mêlait la peur à la rage. A la soif de vengeance. Elle savait bien qu’Aidan ne pourrait pas comprendre. Il était bien plus pacifiste qu’elle et il ne lui viendrait même pas à l’idée de vouloir tuer quelqu’un. Oh, ça ne serait pas venu à l’idée de Sam non plus, pas si ce n’était pas de la légitime défense… mais là… C’était de sa mère qu’on parlait, de son univers. Elle avait besoin de cette vengeance. Tout son corps la réclamait. Elle avait l’impression qu’elle ne pourrait trouver la paix avant d’avoir atteint son but.

Elle s’était éloignée d’Aidan. Il répondit juste par un hochement de tête à sa question. Elle voulait s’éloigner encore plus, fermer les yeux, secouer la tête, chasser toutes les images qui se noyaient dans son esprit, dans ses souvenirs. Mais il referma ses bras autour d’elle. Sa réaction première aurait presque pu être de le repousser mais son immobilité figée était déjà bien assez douloureuse pour son ami. Elle le savait. Eux qui avait été si proches… Maintenant qu’elle restait longtemps immobile dans ses bras, il y avait peut-être quelque chose en train de se briser. Samantha était brisée depuis un moment déjà… encore plus depuis quelques temps. Mais elle ne voulait pas briser Aidan. Elle posa maladroitement ses mains dans son dos. Elle avait juste envie de se noyer dans son parfum, dans l’étreinte de ses bras chauds. Il aurait été si simple de tout oublier… Si seulement elle ne faisait pas de cauchemars… si seulement elle n’avait plus ces souvenirs en elle. Sa gorge était serrée. Douloureuse. Elle savait qu’elle devrait une explication à son ami. Elle ne pouvait le laisser comme ça, à la voir si terrifiée, si en colère, sans lui expliquer. Elle pouvait au moins lui expliquer cela. Son autre tourmente, celle qui lui brisait un peu plus le cœur… Peut-être le garderait-elle pour plus tard. La disparition de ses pouvoirs, de sa magie… C’était presque trop. Une idée germait peu à peu dans son esprit mais elle refusait d’y songer plus en avant. Elle avait ramené Joe à la vie parce ses pouvoirs se détraquaient. Parce que cette boule de magie à l’intérieur d’elle, d’habitude si lumineuse, si pure, dorée, presque blanche, s’était teintée d’un rouge infâme. Et c’était lié à ses pouvoirs qui ne lui obéissaient plus. Elle ne voulait pas creuser plus en avant mais une petite voix se faisait de plus en plus forte. Et si c’était cette soif de vengeance qui souillait ton essence ?

Aidan la regardait, choqué, de la tristesse dans les yeux. Elle aussi… ses yeux la piquaient, prêts à déverser de nouveau un torrent de larmes. Elle n’avait pas parlé de sa mère depuis si longtemps. Elle n’en avait même jamais parlé à quiconque. Les sorcières qui étaient venues la chercher pour l’emmener avec elles en Angleterre avaient vu le corps inerte de sa mère. Il n’y avait rien à raconter. Ses compagnes de chambre dans le sanctuaire n’avaient pas besoin de savoir non plus. Elle avait seulement hurlé si souvent sa détresse sous le couvert des arbres. Elle avait hurlé si fort qu’elle en restait parfois sans voix. Elle aurait pu le dire à Aidan quand ils étaient devenus proches… mais à ce moment-là, elle avait déjà enterré sa peine profondément. Mais peut-être moins loin qu’elle ne le pensait… Finalement, elle se blottit contre lui, cherchant sa chaleur, son réconfort. Il lui caressa doucement le dos et son corps fut secoué d’un frisson. Les sanglots menaçaient de revenir. Elle en avait assez de pleurer. Elle était sensée être forte et courageuse. Pas une épave qui ne faisait que pleurer et se cacher. — Je suis vraiment désolé … Je te mentirais si je te disais que je comprends ce que tu ressens, mais sache que je suis toujours là pour toi désormais. — Il déposa un baiser sur ses cheveux et elle frotta sa joue contre son torse, le serrant un peu plus fort. C’était comme s’il était son ancre dans une mer déchaînée. Si elle le lâchait, elle avait peur de se perdre… de le perdre. — Pourquoi tu m’as jamais dit tout ça ? — Peut-être parce que je n’ai jamais su trouver le bon moment… —

Les mains d’Aidan se figèrent dans son dos quand Samantha lui avoua la raison de son retour à New-York. Oui, elle avait dans l’idée d’accomplir sa vengeance. Elle savait que son ami ne serait pas d’accord. C’est pourquoi elle avait hésité avant de prononcer ces quelques mots. Elle avait toujours cette idée en tête… mais pourtant, maintenant qu’elle n’avait plus ses pouvoirs, elle se voyait mal continuer sa chasse au vampire. Comment pourrait-elle en venir à bout sans magie ? Comment le retrouver sans magie ? Déjà avec, elle ne l’avait pas encore retrouvé… Alors sans ? Comment faire ? Ça semblait être une quête sans fin, sans indice, sans aide. — Tu vas peut-être être en colère avec ce que je vais te dire mais, la vengeance n’est pas une solution. Ça ne va pas te ramener ta mère malheureusement. Si tu fais ça, tu vas réussir juste à te faire encore plus mal. — Un nouveau sanglot secoua son corps. Elle avait l’impression d’être si fragile, si frêle. Aussi fragile que du verre. Elle avait envie d’en vouloir à Aidan pour ses paroles. Elle savait pourtant qu’il avait raison. Elle n’en tirerait rien de bon. Elle aurait tué quelqu’un — même si elle avait du mal à comparer un vampire à une personne — et puis quoi ? Rien. Juste le vide qui régnait déjà dans son cœur. Elle avait envie de se séparer de cette étreinte, pourtant elle le serra encore un peu plus fort. Les larmes glissèrent presque silencieusement sur ses joues. — J’ai besoin… de quelque chose… de réponses… de… Pour pouvoir passer à autre chose… Pour pouvoir tourner la page… Pour combler ce vide immense dans mon cœur… Ça fait si mal… si tu savais… si mal… — Elle n’osait pas s’éloigner juste assez pour le regarder. Elle avait l’impression de ne plus être celle qu’il avait connu, drôle, forte, courageuse, perpétuellement excitée et en train de sauter partout, de rire, de sourire. Peut-être ne l’était-elle plus. Peut-être que cette rage l’avait changée. Peut-être que la perte de ses pouvoirs l’avait changée. Mais ça, c’était autre chose à avouer. Ils n’avaient jamais parlé de leur passé… et encore moins de leurs capacités particulières. Elle ne savait pas si Aidan possédait des dons lui aussi. Et il ne savait pas qu’elle appartenait aux sorcières… Race en voie de disparition. Tuées, les unes après les autres, à cause de la soif de pouvoir des vampires.

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Elle avait tellement souffert. Elle avait pensé avoir réussi à enterrer la douleur profondément, loin de la surface, mais elle se rendait compte que ce n’était pas le cas. Elle avait réussi à l’éviter pendant presque 10 ans, alors qu’elle vivait en Angleterre et qu’elle apprenait la magie, qu’elle était avec Aidan, mais ce n’était qu’une façade, qu’une illusion. Sa souffrance ne l’avait jamais quittée. Et quand elle avait eu assez de courage, assez de pouvoirs pour l’affronter, elle s’était changée en rage et en soif de vengeance. Elle avait transformé son âme, sa façon d’être. Elle était retournée à New-York, elle avait tenté de se mêler parmi les mutants. Ça avait fonctionné, plus ou moins. Jusqu’à ce qu’elle ressuscite Joe, jusqu’à ce qu’elle perde ses pouvoirs et que les vampires envoient quelqu’un pour la tuer. C’était étrange de savoir que c’était au moment où sa magie la quittait qu’on venait la réclamer. Qu’elle était alors en plus grand danger qu’auparavant alors que le moindre suceur de sang pouvait traquer une sorcière pour aller se faire bronzer. Elle se sentait faible. C’était à peine si elle tenait sur ses jambes. Elle avait envie de s’effondrer, comme elle le faisait si souvent. Dans son lit, sous la douche. Là où personne ne pouvait la voir. Là où personne ne pouvait l’entendre. Elle s’accrochait à Aidan. Elle s’en voulait de craquer devant quelqu’un, elle qui avait toujours été si forte, mais c’était comme si le revoir, se rappeler tous les moments qu’ils avaient vécu ensemble, ouvrait les vannes de sa douleur. Lui rappelant tout ce qu’elle avait perdu, tout ce qu’elle aurait pu avoir. Mais ça lui faisait du bien de se laisser aller, de savoir qu’elle pouvait se reposer sur quelqu’un. Elle s’était sentie si seule, perdue. Mordred était son ami, mais il était toujours un peu ailleurs. Et Joe… Et bien c’était toujours dur de savoir sur quelle facette de sa personnalité elle allait tomber. Elle était toujours sur ses gardes avec cette jeune femme. Elle ne pouvait se permettre de se laisser aller ainsi.

Samantha s’était accrochée au vêtement de son ami, sa joue frottant son torse, les larmes roulant sur ses joues alors que des sanglots la secouaient par intermittence. Elle avait l’impression qu’elle n’avait jamais cessé de pleurer depuis la mort de sa mère… A part quand elle était tellement plongée dans l’étude de la magie, à part quand elle partait se balader avec Aidan. C’était comme si son corps, son cœur, était une immense plaie béante qui ne voulait cicatriser. Il avait raison. Oui, comme la plupart du temps. Tuer le vampire qui avait tué sa mère ne lui apporterait rien. Peut-être tout au plus un soulagement temporaire avant de se rendre compte qu’elle était devenue une meurtrière. Mais cet instant ne pouvait plus survenir maintenant. Pas tant qu’elle n’aurait pas récupérer ses pouvoirs. Elle ne pouvait pas affronter sa Némésis sans pouvoir. Elle était si faible, si fragile. Elle voulait rester dans l’écrin doux et protecteur des bras d’Aidan. Elle voulait rester là, oublier le monde. Ne plus penser. Ne plus souffrir. C’était trop dur. Elle avait retenu sa souffrance pendant trop longtemps. Elle l’avait transformé en rage mais la rage n’était pas suffisante non plus. Elle détruisait tout sur son passage, ne laissant qu’une coquille vide et épuisée. Elle marmonnait contre le torse de son ami sans être sûre qu’il comprenne le sens de ses mots. Depuis qu’elle avait ramené Joe, ça lui arrivait souvent de parler sans que ses paroles n’aient vraiment un sens quelconque. Le sortilège, en la privant de ses pouvoirs, avait brisé le rempart qui la protégeait de la tristesse.

— Te venger va te faire encore plus mal … — Elle resserra un peu son étreinte alors qu’il faisait de même. Elle serra si fort son vêtement entre ses doigts qu’elle pourrait presque en déchirer le tissu. Presque. Elle le savait. Au fond d’elle, elle le savait. C’était cette même petite voix qui se faisait plus insistante dans sa tête. Celle qui lui disait que c’était cette rage qui avait perverti son pouvoir, qui l’avait teinté du rouge même qu’elle haïssait tant parce qu’il représentait le nectar de vie des vampires. Sa magie avait perdu sa pureté sous le coup de la colère, de la vengeance. Mais maintenant, il n’y avait plus rien. Le vide. Rien du tout. Elle était comme une coquille vide qui résonne vaguement pour essayer d’imiter le monde. Pour continuer à vivre. A survivre. — Je sais… Je sais… Mais je… je… je sais pas… Je ne sais pas comment… comment faire disparaître la douleur… Ça fait si mal… tellement mal… — Sa langue passa sur ses lèvres sèches et goûta à ses larmes salées. Elle n’avait jamais vraiment réussi à faire le deuil de sa mère. Parce qu’elle trouvait tout ça injuste. Parce qu’elle n’était pas d’accord avec le destin. Ce n’était pas normal qu’on enlève à une enfant sa mère. Pas alors qu’elle était encore si jeune. Pas alors qu’elle avait encore tant besoin d’elle. Samantha sentit les doigts d’Aidan sur sa joue et elle sursauta légèrement. Pas parce qu’elle ne voulait pas du contact, mais parce qu’elle avait été surprise. Elle ne s’y attendait pas. Il essuya doucement les traînées humides qui maculaient sa peau. Elle avait envie de rester comme ça éternellement. Peut-être qu’à force il chasserait la douleur.

— Peu importe ce que tu vas faire, je serais toujours là pour toi et je vais te soutenir. Je suis prêt à faire n’importe quoi pour toi. — Elle décolla légèrement sa tête du torse du jeune homme pour le regarder, mais lentement, afin que sa main reste sur sa joue. Ses yeux étaient brillants de larmes et son nez rougit par le chagrin. Elle avait l’impression d’être lessivée, complètement perdue. Encore quelques minutes auparavant, elle lui disait qu’elle ne pouvait pas tuer le vampire. Que ça ne lui apporterait rien. Elle dénoua une de ses mains du vêtement d’Aidan et entremêla ses doigts aux siens, sur sa joue. Elle esquissa un faible sourire. — Je ne peux rien faire… Je ne peux plus rien faire Aidan… — Encore des mots dont il ne pourrait pas vraiment saisir le sens, vu qu’il ne connaissait pas sa nature de sorcière. Son sourire était triste, mais elle était pourtant tellement heureuse qu’il soit là. — Et toi non plus… Je ne supporterais pas… Tu ne peux pas faire ça… Ça te changerait pour toujours… — Elle se dressa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser — un peu humide de ses larmes — sur la joue de son ami, puis elle se laissa aller contre lui dans la position qu’elle avait avant. — Il ne faut pas que tu changes… Tu es la seule chose de bien dans ma vie… — Elle était tellement fatiguée. Comme à chaque fois qu’elle pleurait, elle en sortait exténuée.

Homecoming

Si Aidan n’avait pas l’habitude de réconforter les gens, Samantha, elle, n’avait pas l’habitude de se laisser aller ainsi. Devant personne. Jamais. Toute seule, quand personne ne pouvait la voir, oui, pas devant quelqu’un. Pourtant, ça lui faisait du bien d’en parler, de décharger sa souffrance sur quelqu’un d’autre. Elle savait que ce n’était pas forcément très sympathique de se comporter ainsi alors qu’elle venait de retrouver son meilleur ami après quatre ans. On aurait pu rêver de retrouvailles plus gaies. Mais c’était à croire que ce monde avait avalé toute joie pour la remplacer par le vide et la tristesse. Samantha sanglotait contre Aidan, son corps secoué par hoquets qu’elle contenait à peine. Elle ne s’était jamais sentie aussi mal. Elle n’avait jamais tant ressenti le vide qui l’avait envahie depuis ces dernières années. Il resta silencieux un moment, comme s’il ne savait pas comment lui répondre. Samantha n’en attendait pas vraiment. Elle savait que tout ne s’arrangerait pas d’un claquement de doigts, ni même dans les prochaines années. Après tout, si le temps apaisait la douleur, au bout de quinze ans, la souffrance aurait du s’apaiser au lieu de venir la frapper en pleine cœur. — Cette douleur … elle … ne va jamais disparaître, pas totalement en tout cas. — Ses larmes roulèrent un peu plus ses joues à l’entendre confirmer ce qu’elle pensait. Elle resterait là, toujours. Comme un fantôme, comme une ombre la suivant jusqu’à la fin de ses jours. — Mais … je pense que si tu t’accroche à ton avenir, à tes rêves, à ce qui te donne le sourire, à ce qui te rend heureuse … cette douleur va être moins pesante, moins insupportable à vivre. — Elle avait envie de rire d’un rire amer et sans joie. Elle renifla presque de dépit alors qu’un nouveau sanglot la secouait. — Quels rêves ? Quel avenir ? Je n’ai pas vraiment suivi une éducation conventionnelle… Je n’ai pas de grands projets… Je ne pourrais pas changer le monde. Le seul avenir que j’ai est de continuer à vendre des petits pains jusqu’à la fin de mes jours… — Quand à ce qui la rendait heureuse… Pour l’instant, c’était la présence d’Aidan à ses côtés, rien d’autre. Elle se contentait de survivre quand il n’était pas là.

Pourtant, elle entremêla ses doigts aux siens et esquissa un léger sourire qu’il lui rendit. Son cœur lui faisait si mal et pourtant il était si heureux de revoir Aidan. Elle lut l’incompréhension dans ses yeux. Comment aurait-il pu comprendre ? Il ne savait pas qu’elle était sorcière. Il savait encore moins qu’elle avait perdu ses pouvoirs. C’était un secret qu’elle avait toujours gardé précieusement, ne le divulguant pas à n’importe qui. Aidan n’était pas n’importe qui. C’était son meilleur ami… mais c’était à croire qu’elle n’avait jamais trouvé le temps de lui en parler. Ni le meilleur moment non plus. Il n’avait jamais vraiment parlé de leurs natures respectives. Elle-même ne savait pas si Aidan était plus qu’humain. Peut-être pas. Peut-être que si. Elle frotta doucement sa joue contre leurs doigts entremêlés. Elle aimait son contact et elle aurait aimé ne jamais le rompre. Il semblait encore un peu plus perdu quand elle continua à parler, évidemment. Elle ferma un instant les yeux, ne voulant savourer que son contact et rien d’autre. Il faudrait évidemment qu’elle s’explique. Qu’elle lui explique tout. Pourquoi sa mère était morte. Le fait qu’elle était sorcière. Que par sa nature, elle avait beaucoup de chances de finir comme sa mère… peut-être même pire encore. On avait envoyé quelqu’un la tuer. Elle n’avait plus de pouvoirs. Depuis qu’elle était revenue à New-York, tout sa vie partait en vrille.

Samantha rouvrit les yeux quand Aidan reprit la parole. — Je préfère de loin changer que de te voir changer. — Elle secoue la tête. C’était hors de question. Elle ne le laisserait pas faire. S’il le fallait… s’il le fallait, elle abandonnerait sa soif de vengeance pour qu’il ne change pas. Oh, elle pouvait encore essayer de trouver un moyen pour qu’il ne sache pas quand elle arrivera à trouver le vampire… mais elle n’avait pas envie de lui cacher plus que ce qu’elle lui avait déjà omis. L’honnêteté était quelque chose de tellement important dans leur amitié, même s’ils ne s’étaient jamais vraiment tout dit, laissant des pans de passé dans l’ignorance. Au moment où ils avaient été ensemble, le passé ne comptait pas vraiment. Maintenant, celui de Samantha lui revenait en pleine figure. Elle se dressa alors sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue. Il eut un mouvement de recul, mais elle ne s’en formalisa pas. Samantha savait que, comme elle, il n’était guère habitué aux démonstrations physiques d’affection. Elle se contenta de s’avancer un peu plus pour attendre sa peau. Elle avait un besoin presque viscéral de son contact, comme si c’était la seule chose qui lui permettait de ne pas sombrer complètement.

Une couleur rosée se répandit sur les joues du jeune homme et Samantha esquissa un léger sourire avant de lui avouer qu’il était la seule chose de bien dans sa vie, un peu comme si elle répondait encore une fois à sa remarque la conseillant de suivre ses rêves et de s’accrocher à ce que la rendait heureuse. Il la fixa un instant avant de secouer la tête, comme s’il pensait à autre chose. Elle pencha légèrement la tête sur le côté et fronça à peine les sourcils. Mais elle décida de ne pas poser la question qui lui brûlait les lèvres. Elle aurait bien aimé lui demander à quoi il pensait… mais ce n’était pas vraiment le bon moment. — Je ne compte plus sortir de ta vie … et tu es la seule personne qui me rend si heureux. Alors toi non plus tu ne dois pas changer. — Un sourire plus grand, plus resplendissant se dessina sur son visage. S’il savait à quel point il comptait pour elle aussi. Elle avait envie de se blottir encore une fois contre lui, encore plus quand sa main lui caressa de nouveau le dos. — Tu sais … on devrait peut-être faire une balade ou bien … aller manger un morceau, tu ne crois pas ? — Oui, oui… Si tu veux. — Elle se détacha un peu de lui, gardant pourtant ses doigts enroulés autour des siens. S’ils allaient se balader, elle voulait au moins garder sa main dans la sienne. Car à l’endroit où leurs corps se touchaient un peu plus tôt, elle avait l’impression d’être gelée. Peut-être était-ce simplement le fait qu’ils ne partageaient plus leur chaleur corporelle. Peut-être autre chose.

Ils marchèrent un moment, le long de la rivière, sans un mot. Samantha regardait ses pieds avant de relever les yeux vers Aidan. Elle se sentait encore un peu faible, mais elle était toujours dans cet état après avoir pleuré. — Tu sais… Je… Je ne crains pas les vampires juste à cause… — Une boule se forma dans sa gorge à nouveau, mais elle passa un peu. Comme si en parler à quelqu’un, à Aidan, lui avait fait du bien. — … à cause de ce qui est arrivé à ma mère… mais ce n’était pas un accident… Pas comme si un… vampire… n’avait pas su s’arrêter de se nourrir… — Elle chercha un instant son regard avant d’observer les alentours, mais il y avait toujours personne. Ou peut-être était-ce juste une excuse pour lui avouer le nouveau secret qu’elle gardait dans son cœur. — Si je n’ai pas suivi une éducation conventionnelle, si je n’ai jamais vraiment été à l’école… C’est que je suis comme elle… Et c’est la raison pour laquelle elle est morte… Pour laquelle je n’ai jamais rien dit… Pour laquelle on a envoyé… — Non, elle n’allait pas avouer cette dernière chose… Elle ne voulait pas lui faire plus peur qu’elle ne l’avait déjà fait. Elle releva les yeux vers lui. — Ma mère et moi… je… Je suis une sorcière… — Elle finit par lâcher ce secret. Pour beaucoup, les sorcières n’étaient plus qu’un mythe, une légende urbaine. Parce qu’elles avaient été pourchassées par les vampires et les loup-garous pour rompre l’influence du soleil et de la lune respectivement. Elle espérait seulement qu’Aidan allait la croire…

Homecoming

L’amour… Oui, c’était quelque chose de particulier. De dur à trouver même. Très dur. Sauf quand il vous tombait dessus comme ça. Mais Samantha ne croyait pas au coup de foudre. Elle croyait aux relations bâties, construites, petit à petit, sans précipitation. Une relation où l’on apprend à connaître l’autre, à explorer, à profiter avant que ça ne devienne trop sérieux et que l’on finisse dans le même lit. Elle aimait prendre son temps. L’amour n’était pas tellement une chose qui se pensait, qui se réfléchissait, mais Sam aimait que ça aille lentement. Oh, non pas qu’elle n’aimait pas être subjuguée par des sentiments… mais la précipitation, ça ne menait à rien de bien généralement. Bref. Oui, il y avait sûrement des hommes qui se retournaient sur son passage. Elle ne les remarquait pas vraiment. Il lui arrivait que certains lui parlent un peu plus longtemps quand ils venaient chercher leur pain, mais sans plus. Ça n’allait jamais plus loin. Quelque part en elle-même, elle savait que certains la désiraient… Mais si c’était juste pour son corps et son beau sourire, ça ne l’intéressait pas. Mieux valait être seule que mal accompagnée, comme disait le dicton. De plus, elle était quelqu’un d’assez solitaire et renfermé quand elle n’était pas avec ses amis (pour le peu qu’elle en avait). En Angleterre, elle traînait avec Aidan, en forêt ou à la bibliothèque… Ce n’était qu’en revenant à New-York que Mordred l’avait fait un peu plus sortir, mais elle n’aimait pas voir tout ces jeunes boire plus que de raison et s’écrouler dans le caniveau pour vomir tripes et boyaux. Elle préférait encore rester chez elle et lire pour la millième fois ou presque Orgueil et Préjugés…

Puis ils s’étaient mis à marcher. Elle serrait la main d’Aidan dans la sienne. Elle ne voulait pas le lâcher. Elle repensait encore à la réaction qu’il avait eu quand elle lui avait déposé un baiser sur la joue. A quoi avait-il bien pu penser à cet instant ? Quelle idée lui était passée par la tête ? Mais elle ne posa pas la question. Si Aidan voulait lui en parler, il lui en parlerait. Ils avaient toujours été honnêtes l’un envers l’autre… parfois un peu en retard, comme aujourd’hui, mais ils ne s’étaient jamais menti. D’ailleurs, Samantha avait décidé que c’était le jour où elle pouvait enfin lui révéler tout ce pan de sa vie qu’elle avait toujours maintenu secret… C’était un grand pas pour elle, un pas de géant. Elle n’en avait jamais parlé à personne. Elle avait peut-être eu tord. Mais elle n’avait jamais trouvé la bonne personne pour l’écouter ou le bon moment. Et aujourd’hui, alors qu’Aidan avait découvert sa peur et sa rage contre les vampires, ça semblait logique de lui expliquer le reste. Elle hésitait, buttait sur les mots. Elle n’avait pas peur qu’il la rejette, non, jusqu’il ne la croit pas. La plupart des gens aiment à penser que les sorcières sont juste des créatures dans les contes pour enfants. Des créatures depuis longtemps éteintes si elles ont jamais existé. Un souvenir. Mais certaines étaient encore bien vivantes. D’ailleurs, Samantha avait grandi dans un cercle de sorcières, à Westbury Field. Elles l’avaient protégées, lui avaient appris à maîtriser les dons qu’elle possédait depuis la naissance, hérités par sa mère. Et aujourd’hui, elle les avait perdus, tout ça parce qu’elle avait voulu ressusciter quelqu’un. Parce qu’elle avait fait la bêtise de jouer avec les forces de la Nature, des forces bien trop importantes pour elle… même si finalement le sortilège avait fonctionné, elle en avait durement payé le prix… Elle avait même failli y rester.

Samantha étudiait le fil des réactions sur le visage d’Aidan à mesure qu’elle lui avouait tout. Il y avait beaucoup d’étonnement, de surprise, de peur aussi. Pas une peur d’elle, mais une peur pour elle. — Alors … les sorcières existent ? C’est … Wow! Les vampires traquent les sorcières, pas vrai ? Et ils ont découvrent qui tu étais réellement et ils en ont envoyés un à ta poursuite, c’est ça ? Ne me mens surtout pas Sam … — Samantha hocha la tête. — Oui, elles existent… Ils nous traquent dans l’espoir de pouvoir marcher à la lumière du soleil, pour pouvoir augmenter encore un peu leur emprise sur le monde, avoir plus de pouvoir, toujours plus… Je ne sais pas réellement pourquoi ils ont envoyé quelqu’un après moi… Il avait… — Elle secoua la tête. Les mauvais souvenirs de sa rencontre avec Salem se bousculaient dans sa tête. Elle frissonna, se rappelant de sa faiblesse alors qu’elle ne pouvait pas se défendre, rien faire. Elle était faible et sans défense. Inutile. — Il avait… pour ordre… de me… tuer… Je ne sais pas pourquoi… Je leur suis plus utile vivante… — Sauf s’ils avaient appris qu’elle ne possédait plus ses pouvoirs. Sauf s’ils avaient appris son histoire, que sa mère était morte à cause d’eux… et qu’ils craignaient sa vengeance… Ou alors peut-être parce qu’elle avait ramené Joe ? Au final, Samantha ne savait rien de son passé, rien de plus que ce qui était écrit dans le journal de son aïeule… Tout était devenu tellement compliqué depuis qu’elle était revenue à New-York…

— ... Je te protégerais … je suis assez fort pour le faire … Après tout, je suis monstre moi aussi comme ces vampires … — Sam fronça les sourcils un instant face à ses propos. Comme ces vampires. Mais son esprit la rappela vite à l’ordre. Il ne pouvait en être un. Il était là, dehors, avec elle, sous le soleil certes timide, mais il faisait jour. Elle devenait trop paranoïaque. Elle ferma les yeux et inspira une grande bouffée d’air frais. Quand elle les rouvrit, elle serrait elle aussi un peu plus fort la main d’Aidan avant de lever sa main libre vers sa joue pour la poser délicatement sur la peau de son ami alors qu’il baissait les yeux vers le sol. — Tu n’es pas un monstre. Nous ne sommes pas des monstres. Ce sont eux, les monstres. Ce sont eux qui prennent des vies et qui privent des enfants de leurs parents. Qui privent des familles de ceux qui leur sont chers… — Elle lui adressa un petit sourire presque timide. — Je ne sais pas exactement à quelle… race… tu appartiens, mais tu n’as jamais été un monstre. Tu n’as pas à avoir honte d’être ce que tu es… qui tu es… Après tout, tu es la meilleure chose qui me soit arrivé, non ? — Samantha avait de nouveau envie d’aller poser un baiser sur sa joue, mais elle se souvenait encore de la réaction qu’il avait eu la première fois. Peut-être était-ce juste du au fait qu’il n’était guère habitué à ce genre d’affection… et dans ce cas-là, une seconde fois en l’espace de quelques minutes, ça n’était peut-être pas judicieux. Tout son corps avait pourtant envie de retrouver la chaleur de celui d’Aidan. Elle aurait aimé pouvoir lui montrer les jolies choses qu’elle savait faire avec sa magie… Elle aurait vraiment aimé. Pouvoir faire pousser une petite fleur sur ce sol presque gelé. Et tellement d’autres choses. Mais elle avait toujours été beaucoup plus liée à la terre qu’à n’importe quel autre élément. C’était à cause de son père. Elle ne se souvenait pas de grand chose à son égard, mais elle savait qu’il avait été un mutant qui maîtrisait la terre. Elle se souvenait de ses éclats de rire alors qu’il faisait pousser des fleurs ou qu’il secouait la terre en dessous d’elle. C’était un talent si puissant, si dangereux… puis il avait disparu. Comme sa mère… Elle avait tout perdu en si peu de temps. Et, quand elle regardait Aidan, elle se disait qu’elle ne voulait plus perdre quiconque.

Homecoming

Petit à petit, les choses reprenaient leur cours. Samantha et Aidan reprenaient leurs « rôles ». Samantha celle de la forte, de la courageuse, de la brave. Aidan celui du garçon maladroit qui se laissait guider par l’impétuosité de son amie. Samantha se rendait compte que ça lui faisait énormément de bien de parler de tout ça à quelqu’un. Comme si en parler permettait de soulager une partie du poids qu’elle portait sur ses épaules depuis des années. C’était toujours aussi douloureux… mais, c’était comme si elle avait commencé à tourner la page. Comme si prononcer les mots, permettait d’accepter la chose, d’avouer qu’elle s’était bien produite. Le premier pas de la rémission. Passer le déni, accepter le passé. Oh, ce n’était pas encore tout à fait le cas. Elle n’aurait accepté le passé que lorsqu’elle aurait décidé de ne pas accomplir sa vengeance. Mais ça, c’était quelque chose qu’elle refusait de voir pour l’instant. Elle voulait avancer pas à pas, lentement, assurément, pour ne pas tomber dans un gouffre parce qu’elle se serait précipitée dans le noir. Pour l’instant, elle était d’accord pour oublier ses envies de vengeance tant qu’elle était avec Aidan… Elle savait que tôt ou tard, elle allait y resonger, poursuivre ses recherches… mais en ce moment-même, elle ne voulait plus y penser.

Elle savait qu’il y avait encore des choses qui échappaient à Aidan. Des choses qui lui échappaient encore à elle-même… Elle avait toujours pensé que les vampires pourraient marcher au soleil grâce à un sortilège ou quelque chose de ce genre… mais si c’était effectivement en buvant le sang des sorcières ? Elle n’en savait rien. Sa mère n’était pas morte ainsi en tout cas. Mais, après tout, si aucun vampire ne sortait à la lumière du jour, c’est qu’ils n’avaient pas non plus trouvé le moyen… Si tant est qu’il y en ai un réellement. Ce n’était peut-être qu’une utopie de leur part. Comme ce vain espoir qu’ils offraient aux humains. Un semblant de vie tranquille dans une cage dorée. Juste bons à servir de bétail. A nourrir leurs seigneurs et maîtres dès qu’ils avaient un petit creux. Ce monde donnait envie de vomir à Samantha. Elle avait entendu parlé d’une Révolution mutante. Après tout, habitant dans le Bronx, elle avait souvent à faire avec la communauté mutante… et elle entendait beaucoup de choses. Ils complotaient pour essayer de faire chuter les vampires… et parfois elle se disait qu’elle les rejoindrait bien. Mais ça, c’était une autre histoire. Quand elle avoua la mission de Salem à Aidan, elle lut de la colère dans ses yeux. Il ne verrait sûrement plus son généreux donateur de la même façon. Elle en était désolée. Elle venait sûrement de détruire un morceau de son existence… Lui qui rêvait de révolutionner le monde… Elle mordilla sa lèvre inférieure, un peu gênée.

C’était à ce moment-là que Samantha et Aidan reprirent vraiment « leur place ». Le jeune homme détourna les yeux après ses confidences. Pourtant, pour Sam, s’il n’était pas un vampire, il n’avait rien à se reprocher. Elle était peut-être un peu obtuse sur son avis sur les suceurs de sang, mais elle était en revanche très ouverte pour les autres races. En entendant les mots qu’il prononçait, Samantha posa sa main sur sa joue. L’entendre parler ainsi lui brisait le cœur. Lui qui avait toujours été bon, généreux, attentionné, toujours là à subir ses folies. Il ferma les yeux mais elle ne pouvait détacher les siens de son visage alors qu’elle lui assurait qu’il était tout sauf un monstre. Quand il rouvrit finalement les yeux, elle lui adressa un léger sourire pour le rassurer. Elle n’allait pas se sauver en courant. Elle-même n’était pas humaine, pas tout à fait… Qui était-elle pour le juger ? Lui qui était bien meilleur qu’elle ? Un sourire se dessina sur les lèvres de son ami et Samantha ne put que le reproduire. Elle préférait le voir comme ça. Heureux. Pas gêné, honteux, triste. Il y avait bien trop de tristesse dans le monde… Peut-être même bien trop rien qu’en eux deux. — Je suis un mutant.. — L’expression de Samantha ne changea pas d’un iota. Elle gardait son sourire aux lèvres. Ça ne changeait rien pour elle. Mais elle était heureuse qu’il lui ai avoué cette partie de lui. Elle pencha légèrement la tête sur le côté, ses cheveux tombant légèrement devant son visage en mèches doucement ondulées.

Alors que le silence s’étalait quelque peu, Aidan finit par se pencher en avant. Le cœur de Samantha loupa un battement avant de se remettre à battre un peu plus frénétiquement. C’était étrange comme elle n’avait jamais ressenti ce genre de choses auparavant avec Aidan. Finalement, il déposa un baiser sur sa joue. La même teinte rosée envahit leurs deux visages mais Samantha ne détourna pas les yeux alors qu’Aidan si. — Désolé … je … je n’ai pas pu résister. J’en avais … très envie. — Un léger rire s’échappa d’entre les lèvres de Samantha. Il lui semblait qu’elle n’avait pas ri depuis des années… Depuis quatre ans sûrement. Il secoua la tête et elle écarta sa main de sa joue un instant. Avant de la reposer quand il eut fini. Son cœur cognait toujours rageusement contre sa poitrine, comme s’il voulait s’échapper. Son rire mourut doucement sur ses lèvres sèches alors qu’elle passait sa langue dessus pour les humidifier. Elle se dressa de nouveau sur la pointe des pieds, glissant son visage en dessous de celui d’Aidan pour qu’il la regarde à nouveau. Puis, prise d’une soudaine impulsion, elle se redressa encore un peu et déposa délicatement ses lèvres sur celles d’Aidan. Elle resta ainsi un moment, prenant appui sur le corps du jeune homme pour ne pas perdre l’équilibre. Après tout, il était plus grand qu’elle de nombreux centimètres.

C’était étrange comme sensation. C’était son premier baiser. Elle n’avait jamais embrassé quiconque avant cela. Avant Aidan. Il fallait dire qu’elle ne s’était jamais vraiment intéressée à ce genre de choses non plus… Il y avait eu la disparition de son père, la mort de sa mère, son apprentissage de la magie… sa rencontre avec Aidan… Son départ pour New-York, cette rage qui l’envahissait, ses pouvoirs qui ne fonctionnaient plus normalement, la résurrection de Joe… et la perte de ses pouvoirs. Elle n’avait jamais vraiment eu le temps de s’attarder sur ce genre de « futilité ». Mais alors qu’elle sentait la douceur des lèvres d’Aidan contre les siennes, qu’elle glissait ses doigts dans ses cheveux, qu’elle sentait son corps contre le sien, ce qu’ils venaient de partager, de s’avouer… Ça ne semblait plus futile du tout. C’était réconfortant. Normal. Juste. Agréable. Des qualificatifs qui ne s’accordaient d’habitude pas vraiment avec la vie de Sam. Elle finit par détacher lentement ses lèvres des siennes, mais sans s’éloigner. Leurs nez se touchaient presque encore et elle pouvait sentir son souffle sur sa peau, sur son visage. Elle rouvrit les yeux et chercha le regard d’Aidan. Elle craignait un peu sa réaction. Lui qui avait rougi les deux fois où ils s’étaient embrassés… sur la joue. Elle si spontanée. Lui si réfléchi. Peut-être aurait-elle du réfléchir… mais elle n’en avait pas envie. Elle mordilla de nouveau sa lèvre inférieure. — J’espère que… — Elle espérait que quoi ? Ses doigts revinrent sur sa joue, et elle cherchait son regard, à l’affut du moindre indice qui pourrait lui indiquer ce qu’il ressentait. Mâchouillant sa lèvre, elle avait juste envie de les reposer sur celle d’Aidan. C’était vraiment étrange comme sensation. Elle avait chaud et froid en même temps… Elle se sentait si frêle et si forte à la fois. Son cœur semblait battre si fort qu’il pourrait s’arrêter à tout instant. — Ne sois pas désolé… J’en avais envie aussi… — finit-elle par dire, reprenant les excuses qu’il lui avait faites juste avant.

Homecoming

Si elle avait su que ses retrouvailles avec Aidan se passeraient ainsi, elle n’y aurait jamais cru. Qu’elle craque et avoue son passé était une chose qu’elle comprenait. C’était normal. Il avait toujours été son meilleur ami, son seul ami. Ce qui était le plus étrange, c’était qu’elle ne l’ai pas fait plus tôt. Mais, encore une fois, Samantha n’avait jamais vraiment trouvé le temps de le lui avouer. Ni le bon moment. Aujourd’hui est-il le bon jour ? Elle ne le savait pas vraiment. Ils venaient juste de se retrouver après quatre ans sans nouvelles. Ils auraient pu espérer quelque chose de plus joyeux, c’est sûr. Pourtant, les minutes passèrent et l’ambiance changea. Elle s’allégea quelque peu, même s’il y avait ce courant entre eux. Electrisant. Etrange. Elle n’avait jamais rien connu de tel. La sensation qui s’en rapprochait le plus, c’est quand la jeune femme pratiquait la magie, qu’elle se connectait à la terre, à la Nature. Cette étrange sensation d’être liée à quelque chose, d’appartenir à un tout. Cette sensation électrisante, grisante, mais également dangereuse. Comme lorsqu’on se promène au bord du précipice. C’est grisant, exaltant… mais tellement dangereux. L’adrénaline se mit à courir dans ses veines, diffusant dans tout son organisme. Un rire s’échappa d’entre ses lèvres. Elle avait l’impression d’être cette fille, sur la proue du bateau, dans ce film antédiluvien que sa mère regardait parfois. Elle espérait seulement que son bateau à elle ne coulerait pas. Pas encore. Elle n’était pas prête.

Samantha reposa sa main sur sa joue d’Aidan. Elle pouvait presque sentir ce courant si faible mais si attractif entre leurs deux peaux. La douceur de sa peau, à peine rompue par le début d’une barbe naissante. Elle avait envie de continuer le toucher, à goûter à cette sensation. C’était une autre découverte. Comme lorsqu’elle avait commencé la magie. Qu’elle avait commencé à étendre ses sensations, ses perceptions, pour capter le moindre détail de la nature. A cet instant, elle se servait de ce réflexe qu’elle avait acquis au cours des années pour explorer sa peau, pour trouver le courage, éviter de réfléchir. Juste vivre. Car c’était ce que la Nature apprenait. Il fallait juste vivre. Pas survivre. Vivre. Elle se dressa sur la pointe des pieds et déposa ses lèvres sur celles du jeune homme. Elle était douce et un peu rugueuse à la fois, comme s’il passait son temps à se les mordiller et à en arracher les petites peaux mortes… A moins que ce soit elle qui ne le fasse. Oui, ça devait être ça. Elle ne faisait plus qu’un, ou presque… Elle ne savait plus vraiment différencier ses lèvres de celles d’Aidan… ne savait plus vraiment où était la frontière entre leurs deux corps. Alors qu’elle glissait ses mains dans ses cheveux pour l’attirer encore plus près, il enroula de nouveau ses bras autour d’elle, pour la même raison ou pour l’empêcher de tomber, peu importe. Finalement, elle se détacha très légèrement de lui, rompant le contact de leurs lèvres. Son souffle était un peu court, comme si elle avait couru pendant trop longtemps. Elle sentait celui de son ami sur sa joue. Ils étaient encore tout près l’un de l’autre. Elle ressentait sa présence plus qu’elle ne la sentait vraiment. Oh, certes, elle sentait son corps contre le sien, son visage si proche, leurs souffles qui s’entremêlaient… mais c’était bien plus que ça. Peut-être était-ce du à sa formation magique, mais elle le ressentait d’un point de vue plus… métaphysique. Comme sur un autre plan d’existence.

Ils rouvrirent les yeux et leurs regards se croisèrent. C’était au tour de Samantha d’être gênée. Elle ne regrettait pas son geste, bien au contraire, mais elle avait peur de la réaction de son ami. Ils avaient tous les deux toujours été si… peu démonstratifs d’affection physique. Mais Samantha avait simplement suivi son instinct, son cœur. C’était encore le meilleur moyen de ne pas se tromper… Car si le cœur n’est pas heureux, à quoi cela sert-il de vivre ? Sans cœur heureux, le corps n’est qu’une coquille vide. Et Samantha avait été une coquille vide depuis si longtemps. Aidan mordilla sa lèvre inférieure à son tour. Le regard de la jolie blonde dériva sur cette partie de son visage et son envie de l’embrasser à nouveau ressurgit. Elle avait envie d’aller mordiller aussi cette lèvre. Puis un large sourire se dessina sur le visage du mutant et Sam lui répondit presque timidement. Au moins, il ne se sauvait pas en courant. — J’ai … — Il ne semblait pas trouver quoi dire… mais, en même temps, que pouvait-on bien dire dans un moment comme celui-ci ? Samantha n’en savait pas plus que lui. C’était le pas entre l’amitié et quelque chose de plus profond. Etaient-ils prêts pour ça ? Ils ne s’étaient pas vus depuis quatre ans… Ils avaient sûrement changé… mais, d’un autre côté, cette séparation leur avait peut-être permis de se rendre compte qu’être loin l’un de l’autre était douloureux. Elle leur avait peut-être permis d’ouvrir les yeux sur des choses qu’ils ressentaient auparavant sans avoir eu le courage de se l’avouer… à l’autre mais aussi à soi-même.

— On aurait dû faire cela bien avant … — Samantha hocha la tête et elle eut à peine le temps de prendre une inspiration que Aidan s’était penché vers elle pour l’embrasser à nouveau. Ses mains se posèrent sur ses hanches alors que Sam se retenait à ses épaules, surprise que son ami prenne les devants encore une fois. Mais bien trop vite, il sépara leurs lèvres. Elle emprisonna un instant celle, inférieure, de son ami entre ses dents, pourtant douce et sage, avant de le laisser s’écarter un peu. Ses yeux brillaient doucement, heureuse d’être dans ses bras, de découvrir ce pan de sa vie avec lui et pas avec un autre. — Je t’aime … — finit-il par dire. Le corps de Samantha se tendit comme un arc, l’empêchant de bouger. Elle s’était immobilisée dans la rigueur de ses muscles. Son regard n’avait pas quitté celui d’Aidan, mais elle avait l’impression que la couleur qui avait gagné son visage après tant d’émotions le quittait subitement. Oh, elle ne voulait pas faire croire à Aidan qu’elle ne partageait pas ses sentiments, loin de là. Elle n’avait jamais été autant heureuse depuis des années… Mais ces mots… Ces trois petits mots… Ils avaient quelque chose… de sacrés… d’intouchables. D’inatteignables. Ces mots, elle ne les avait dit qu’à ses parents. Jamais à personne d’autre. Ils étaient à la fois sacrés et… presque maudits dans son esprit. Ses prunelles s’écarquillèrent légèrement. Elle ne savait pas quoi dire. Et même si elle avait su, la boule qui bloquait sa gorge ne l’aurait sûrement jamais laissé parler. Elle ne voulait surtout pas faire de peine à Aidan… mais c’était des mots qu’elle ne pouvait pas prononcer. Ils étaient trop douloureux. Douce ironie, quand on savait si bien ce qu’ils représentaient. Elle le regarda encore un instant dans les yeux avant d’aller poser sa joue contre son torse. Elle ne voulait pas le faire souffrir… C’était encore quelque chose qui était brisé en elle, quelque chose… de malformé… d’anormal. Lié à son passé, à ce vampire qui lui avait volé son enfance, la vie qu’elle aurait peut-être pu vivre… Mais aurait-elle seulement connu Aidan si elle n’avait pas perdu sa mère, si elle n’avait été obligée d’aller en Angleterre ? Comment lui expliquer qu’elle ressentait la même chose pour lui mais qu’elle ne pouvait pas l’exprimer par ces mots-là ? — Je… Je suis désolée… Je ne peux pas… Pas dire… — murmura-t-elle avant de relever son visage vers lui, les yeux brillants maintenant de larmes prêtes à revenir. Elle se redressa un peu, déposant ses lèvres encore une fois sur les siennes, espérant lui faire comprendre que son cœur battait à l’unisson avec le sien mais que ces mots ne pouvaient pas l’accompagner… Pas encore. C’était un chemin qu’elle devrait apprendre à parcourir à nouveau. Le débarrasser des ronces et des mauvaises herbes qui l’encombraient. Elle déposa plusieurs petits baisers sur les lèvres d’Aidan, les mordillant parfois. Les larmes donnèrent un goût salé à leurs baisers mais peu importait. Elle voulait juste lui faire comprendre… C’était si dur… Pourquoi est-ce que le destin lui avait-il joué ce vilain tour ? Elle voulait juste l’aimer comme quelqu’un de normal… mais la douleur du passé l’en empêchait… Ce n’était pourtant que trois petits mots…

Homecoming

Tout semblait différent maintenant. L’herbe presque grise. L’eau qui clapotait doucement un peu plus loin. Les graviers, pâles, reflétant la lumière du ciel d’une pâleur opalescente. Les immeubles, plus hauts que des tours de châteaux, pire que des donjons. C’était là-bas, dans ces tours de verre et d’acier que vivaient la plupart des vampires… Du moins quand ils n’étaient pas sous terre à se terrer loin des rayons du soleil. Celui-ci daigna signifier sa présence et Sam cligna un instant des yeux alors que son reflet sur un des lointains buildings l’éblouissait brièvement. Le temps même semblait s’être arrêté. Figé. Comme si Aidan et elle se trouvaient dans une bulle de protection contre tout ce qui leur était étranger. Etait-ce donc ça ? L’application de ce proverbe auquel elle n’avait jamais cru ? « L’amour est aveugle ». Pas aveugle parce qu’il se fiche de la personne que l’on a en face de soi, mais parce qu’on oublie tout le reste ? Pourtant, Samantha n’oubliait pas ce qu’elle avait depuis toujours sur la conscience. La mort de sa mère. Sa soif de vengeance pour ce vampire dont elle ignorait tout. Sa fragilité, sa peur, alors qu’elle n’avait plus aucune magie pour se défendre. Plus rien… Elle n’était plus rien sans magie. Elle se sentait nue et vide… Pourtant, ce vide était un peu comblé par la présence d’Aidan… Sa nudité masquée par ses bras autour de son corps.

Pourtant, cet aperçu de bonheur simple se couvrit d’une nappe d’ombres passagère. Aidan prononça ces trois mots. Ce n’était pourtant que des mots. De simples mots. Si faciles à prononcer. Si courts. Mais tellement chargés de sens, de souvenirs, qu’elle ne pouvait pas les avouer. Elle ne pouvait pas. Ils restaient bloqués dans sa gorge, l’étouffant presque. Elle était incapable de les prononcer. Elle ne les avait jamais dit qu’à ses parents. Jamais à personne d’autre. Et elle les avait perdu tous les deux. Elle posa sa joue contre le torse du mutant pour y chercher du réconfort, avant de relever les yeux vers lui et de lui avouer qu’elle était incapable de lui dire « Je t’aime ». Elle l’embrasse cependant de nouveau, de nombreuses fois, pour lui prouver qu’elle n’en pensait pas moins. Oui, ça devait être de l’amour. Elle était si bien dans ses bras. Elle avait l’impression qu’elle pourrait y rester des heures, des jours. Elle s’y sentait en sécurité. Apaisée. Même si elle avait peur qu’il ne la rejette, qu’il ne soit déçu par son incapacité à lui rendre ses mots. Mais un sourire apparut sur ses lèvres et le même se dessina sur ses lèvres rougies par les baisers, bien qu’un peu plus hésitant. La présence de ses mains dans ses cheveux lui faisait du bien. Elles la rassuraient un peu. L’ancraient dans ce monde qu’elle avait passé à affronter durant toute sa vie. Elle était faite de batailles et de fuites. Elle n’avait jamais vraiment connu la tranquillité et la sécurité. A part quand elle était encore trop jeune pour savoir que toute sa famille était perpétuellement en danger. Pourtant, les mains, les bras, le corps d’Aidan, semblaient faire rempart à ce danger, à la vie elle-même.

— Hey … ne sois pas désolé — Sam frotta sa joue contre la main qu’il passait contre son visage, fermant les yeux pour savourer ce contact. — Ce n’est rien d’accord ? Ce qui est important, c’est ce qu’on ressent l’un envers l’autre. — Elle voulut répondre. Oui, évidemment. C’était le plus important… mais ne pouvoir dire ces quelques mots, c’était dur pour elle. Ou peut-être était-ce seulement le fait qu’elle ne pouvait les dire, les penser, sans revoir le visage de sa mère… Ou le maigre souvenir qu’elle avait de son père. Il n’était qu’une image floue, une voix… Elle se souvenait le plus de sa voix… et de son odeur. Mais Aidan l’embrassa à nouveau, effaçant toute pensée qui pouvait naviguer dans son esprit comme un navire perdu sur une mer déchaînée. Elle sentit sa langue franchir la barrière de ses lèvres, venir tenter la sienne. Elle répondit au baiser, comme si son corps l’avait toujours fait, comme s’il en avait l’habitude, qu’il savait ce qu’il faisait alors qu’elle partageait ses premiers baisers avec Aidan. Sa douleur était effacée, recouverte d’un drap, comme les meubles d’une maison inhabitée. Pour éviter que le soleil, la lune, la poussière ne les dégradent. C’était la même chose. La douleur, la rage, elles étaient là, à attendre sous le drap, qu’il soit enlevé pour jaillir telles qu’au premier jour, rutilantes et brillantes. Elle était sûre… sûre que si elle avait encore ses pouvoirs, des petites fleurs se seraient mises à pousser un peu partout autour d’eux… mais le sol restait terne et nu. Presque mort. Comme cette partie de son cœur qui réclamait vengeance.

Le baiser s’acheva avec douceur. Un petit sourire fleurit sur ses lèvres. L’ombre portait encore sur son cœur. Elle ne lui avait pas encore tout dit. Pas tout avoué. Il restait un secret. Un secret qui l’avait brisée encore un peu plus. Qui l’avait souillée un peu plus, qui avait noirci son cœur un peu plus que cette rage qui la dévorait. — J’ai déjà fait… quelque chose… de mal… Tu sais… ? De contre-nature… Contre tout ce qu’on m’a appris… — Elle ne savait pas vraiment si ressusciter quelqu’un était mal perçu par Aidan, même s’il en pensait quoique ce soit… Peut-être même pensait-il que ça ne pouvait pas se produire. Il n’avait pas grandi avec la magie… — J’ai… j’ai… — Elle ne l’avait jamais dit à personne. Seuls Mordred et Joe le savaient… Joe, parce qu’elle était la principale intéressée… Mordred parce qu’il avait été là au mauvais moment… Et sûrement ceux qui avaient croisé Joe et qui la connaissait d’avant… même si Samantha ne savait pas du tout quand Joe était morte, si seulement elle pouvait encore connaître quelqu’un dans ce monde. Samantha détourna le regard, ses yeux s’attardant sur un fil qui dépassait du vêtement d’Aidan. — J’ai ramené… quelqu’un… d’entre les morts… — Elle entoura distraitement un doigt autour du fil. — Et la magie a choisi son prix… Toute magie a un prix… — Elle posa sa main à plat sur le torse d’Aidan et leva les yeux vers lui. — J’ai perdu mes pouvoirs, Aidan. — Sa voix se brisa sur son dernier mot. Un sanglot menaçait de l’étrangler. Elle ne voulait pas pleurer, pas encore…