L'amour dans le mauvais temps — Bethysius

Ce que le monde était devenu, il lui était difficile de le comprendre. Deux cents années s’étaient écoulées, et elle avait peu à peu découvert ce qu’il s’y était produit, que ce soit les guerres, les évolutions sociales et techniques, ou encore en matière de politique. Il lui était encore extrêmement difficile d’y faire face sans avoir le sentiment de se noyer sous de multiples informations. Rattraper autant de temps d’histoire n’était pas une mince affaire, et à vrai dire, s’en souciait-elle réellement ? Oui, elle avait bel et bien la nostalgie de son temps, et surtout de son pays. S’il n’y avait pas eu Damian, elle se serait très probablement embarquée dans le premier bateau en partance pour l’Angleterre. Ou le premier avion, plutôt. Mais il était à présent son unique point d’ancrage au sein d’un monde qu’elle ne parvenait pas encore à bien comprendre. Elle comprenait cependant que le secret avait été dévoilé. Il ne lui était pas nécessaire de se cacher si elle souhaitait ses nourrir et ses relations avec l’un des Originels lui permettaient de bénéficier d’une autre forme d’immunité. Et après avoir été privée de nourriture durant près de deux cents longues années, nul doute qu’elle était bien plus vorace qu’auparavant. La peur de manquer de nouveau, sans doute. La chasse était aussi amusante que dans ses souvenirs, malgré le fait que bien des humains aient la prudence de rester chez eux une fois la nuit tombée. Il n’était cependant pas rare de croiser quelque âme perdue, comme ces adolescents décidés à montrer qu’ils n’avaient peur de rien. Grand mal leur en avait pris, puisque la vampire après avoir joué avec eux un moment avait jeté son dévolu sur l’un d’entre eux, qu’elle avait vidé de son sang.

C’était décidément une excellente soirée. Le froid était mordant, mais revigorant. Il avait apparemment plu et l’humidité se faisait encore sentir. Qu’il était agréable de ne pas craindre d’être malade ! Elle avait de plus fait un excellent repas. L’adage avait beau dire qu’il ne fallait pas jouer avec la nourriture, elle ne connaissait à vrai dire pas meilleure façon de se restaurer. Non seulement elle avait le droit de s’amuser, mais en plus elle avait de quoi croquer quelque chose de correct. Peut-être n’était-ce qu’une impression, mais elle avait comme la sensation que le goût du sang des humains avait changé. Avec cette nourriture industrielle et l’alcool qu’ils ingurgitaient, ce n’était guère étonnant. Décidément, les temps avaient changé, affectant absolument tous les aspects de ce monde. Mais elle ne s’en préoccupa guère plus longtemps et se rendit jusque dans le parc le plus proche. C’était l’un des bons côtés de cette ville : ces lieux lui rappelaient sa jeunesse passée dans ce petit village de la campagne anglaise, avec son père et ses soeurs. Soudainement prise d’un élan de nostalgie, elle trouva une souche d’arbre sur laquelle elle s’assit, songeuse. Cette fois-ci au moins elle n’était pas interrompue par les divers tumultes de l’existence new-yorkaise. On eut dit que le repos n’existait pas dans cette ville. Mais le silence n’était pas total. Bientôt, au-delà des sons de la nuit, elle entendit quelque chose, une présence. Un son, une respiration. Ce n’était pas humain cependant, mais plutôt... animal. Quelque chose qui en tout cas paraissait se diriger dans sa direction. Elle esquissa un sourire. Peut-être allait-elle avoir une toute nouvelle distraction ce soir. « Oh oh, mais qui voilà... » murmura-t-elle entre ses dents. Elle n’avait pas peur le moins du monde. Elle adorait les surprises.

Mais pas toutes les surprises. Bientôt, le bruit changea, le pas de transforma pour devenir cette fois plus humain. Loup garou ? Mutant métamorphe ? Ou autre chose encore dont elle n’aurait pas entendu parler ? Elle ne tarderait sans doute pas à le savoir, puisque l’être en question s’approchait. Elle pouvait apercevoir sa silhouette qui se rapprochait. Ce n’est que lorsqu’elle put mieux le voir grâce à l’éclat de la lune qu’elle eut la surprise de constater qu’il était complètement nu. « Oh mon Dieu ! » cria-t-elle avant de se détourner, rougissante. Décidément, elle n’aurait pas cru que les moeurs eut été aussi libérées, même à cette époque que l’on qualifiait de moderne. Se souciant bien peu de son salut et de ses politesses, elle rétorqua d’un ton perturbé et autoritaire. « Auriez-vous l’amabilité de vous rhabiller je vous prie ? Je n’ose imaginer ce que vous faisiez et je ne veux pas le savoir ! » Elle se trouvait dans une situation des plus inconfortables. Elle qui d’habitude n’était pas impressionnable et même s’amusait des autres était aujourd’hui celle prête à s’enfuir en courant. Elle n’avait plus qu’à espérer que ce jeune homme avait un minimum de décence et accepterait de se conduire de manière correcte en se rhabillant devant une jeune femme.