This is the End [Coraline & Heathcliff]

L'aurore supplantait d'un élégant coup de poignard la douceur céleste de la nuit, chassant des rayons pernicieux de l'astre du jour qui apparaissait à travers le ciel avec lenteur, la pâleur opalescente de la lune étincelante dans sa robe nocturne. Heathcliff sentait dans son dos, le frisson léger, caressant, d'une énième convulsion, une étreinte tellement désespérée qu'elle s'éteignait dans la mort. Entre ses bras, le corps fin et glabre d'un homme aux cheveux roux tressautait dans une agonie douceâtre. Ses derniers instants sur terre, auront mêlé l'orgasme le plus pur et le plus absolu, à la douleur ultime du nectar de la vie qui s'échappait par sa gorge, aspiré tel le suc d'une viande tendre, entre les lèvres charnues du vampire. Heathcliff leva un instant la main, accompagnant le départ de son âme d'une caresse aérienne sur sa joue. De sa bouche gourmande, coulait encore les gouttes vermeil de son délectable repas.

Mais bientôt l'urgence de l'heure qui passait, le temps s'écoulant sur l'horloge bien différent d'à l'intérieur de sa tête, Heathcliff dut s'extirper avec paresse de sa couche humide de l'étreinte torride du jeune jouvenceau dont le corps gisait encore là, les yeux mis-clos, la bouche entrouverte dans un dernier râle muet d'extase. Son corps courbaturé faisait sentir au vampire la pesanteur de l'immortalité, et sa nudité enrobée de l'aura charismatique, presque magnétique qu'il dégageait, était presque aussi délectable à regarder que la dépouille de celui qui respirait encore quelques secondes auparavant au creux de sa nuque, se repaissant sans tarir des qualités de son amant en articulant à peine chaque syllabes de son nom comme il aurait souffler une bougie à la flamme délicate. Les paupières lourdes, Heathcliff aurait aimé s'oublier dans un sommeil réparateur, mais sa condition l'empêchait de trouver le repos. Pourtant, la fatigue qu'il n'aurait pas du ressentir pesait sur ses épaules et ses reins, comme un coup de fouet vif et implacable.

Dans moins de trente minutes, Miss Price allait arriver. C'était une humaine qu'Heathcliff avait accepté de rencontrer à la demande de l'une de ses comparses, Alice, une vampire des souterrains. Elle éprouvait apparemment une certaine tendresse pour cette mortelle que Heathcliff comprenait que trop bien, lui même s'attachant avec l'âge, de plus en plus aux spécimens étonnants de cette race pleine de surprise. Mais Miss Price était bien différente des autres humaines, car elle était revenue, grâce à l'immortel, d'entre les morts, sous la forme de ce que l'on pourrait appeler, un spectre. C'était en apprenant ce détail qu'Heathcliff avait accepté de la rencontrer avec un rictus circonspect mais indubitablement intéressé. Mais avant qu'elle n'arrive dans sa demeure, l'esthète avait comme qui dirait un peu de ménage à faire. Les rayons du soleil arrivaient déjà à sa fenêtre quand il s'y pencha pour tirer les rideaux d'un geste brusque.

Comme toujours lorsqu'il venait de se nourrir, s'adonnant à la concupiscence de sa nature épicurienne, il devait se débarrasser du corps purgé de son fluide vital, puis brûler les draps de satin noirs de son lit pour oublier l'odeur tentatrice et âcre du sang coagulé. Ces instants étaient de ceux où Heathcliff s'autorisait à oublier la lenteur propre aux humains qu'il se plaisait tant à imiter au quotidien, pour laisser libre champs à ses capacités vampiriques. Sa célérité était telle qu'il ne mit qu'une dizaine de minutes à parcourir le chemin le séparant de l'East River avec le cadavre sur son dos, avant de le jeter du haut du pont en s'assurant que sa silhouette encapuchonnée était passée inaperçue. Puis le nettoyage du baldaquin avec le changement de literie ne fut qu'une bagatelle.

S'engouffrant dans son dressing, Heathcliff prit un soin particulier à choisir une tenue qui le mettrait en valeur aux yeux de Miss Price. Son besoin de plaire était si grand que même s'il n'y avait pour lui aucune chance que la rencontre tourne au casse-croûte, il tenait à être à son avantage. Un costume italien trônait sur son cintre, appelant presque Heathcliff pour qu'il s'en saisisse et le revêtisse. Ce qu'il fut avec plaisir tant le contact du coton égyptien qui composait la chemise pourpre était agréable sur sa peau nue, son corps se moulant parfaitement dans le tissu qui soulignait ses cuisses fuselées et la cambrure de son dos. Une paire de bottes en cuirs vinrent compléter la tenue, ainsi que ses habituelles lunettes fumées qu'il avait pris l'habitude de porter même à l'intérieur.

Il referma les pans de ses commodes, tira les rideaux de chacune des pièces et alluma en faisant léviter de légères et aériennes flammèches, les candélabres qui éclairaient le séjour. Du haut de l'escalier qui menait à la chambre, Heathcliff entendit des pas dans le couloir à l'extérieur de chez lui. L'un était furtif, presque indétectable malgré l'ouïe fine du vampire, et l'autre, lent et lourd devait sans nul doute appartenir à Miss Price. Alice, comme Heathcliff l'avait prévu, avait du accompagner son humaine jusqu'à la porte avant de se dissimuler quelque part où elle pourrait observer leur entretien. Heath enjamba la rambarde et se laissa tomber avec volupté sur le tapis moelleux du salon, le long pardessus qui servait de veste à son costume caressant ses flancs et ses mollets lorsqu'il atterrit dans un soupire. Il reprit un pas chaloupé bien plus humain pour aller ouvrir la porte.

En apercevant la silhouette de celle qui était en réalité un spectre, Heathcliff lui lança un sourire charmeur en saisissant avec déférence son poignet délicat. Intéressant, elle était étrangement palpable pour un ectoplasme ... Dans un geste sensuel, il se courba pour baiser le dos de sa main, ses lèvres effleurant à peine ce qui ressemblait à si méprendre avec de la chair humaine, bien que ni l'odeur, ni la vibration pulsatile du sang dans ses artères, n'éveille sa faim.

"Mademoiselle Price, je suis Heathcliff Lovecravt. Bienvenue dans mon humble demeure. Je vous en pris, entrez ..."