Rock You Like a Hurricane [Heathcliff & Bràn]

Il faisait froid, il faisait sombre. Le vent ébouriffait ses cheveux au milieu des arbres gigantesques qui assombrissaient le parc. Le soleil, dissimulé par la toison feuillu des ormes et des charmes, n'atteignait pas la chair opalescente de l'esthète qui admirait les affres du temps depuis un banc en fer forgé. Chose plutôt inhabituelle pour un être de sa condition, Heathcliff nourrissait les volatiles de graines de tournesol, échangeant un regard complice avec une dame âgée qui tricotait non loin de là. Avec sa sombre capuche et ses lunettes fumées qui masquait son regard vairons, Heathcliff jurait avec le paysage calme et pastel du lieu. La nature semblait dominée la ville dans cet écrin de verdure érigé au milieu de l'acier implacable et froid des building newyorkais. Pourtant, même s'il aimait, idolâtrait presque, l'activité intense et immuable des métropoles, il y avait dans les lieux plus bucolique, une âme, une aura, différente et bienfaitrice, qui ressourçait son coeur meurtris par des siècles sans battre.

Mais déjà l'aurore se dissipait et le soleil deviendrait vite plus menaçant ! Il lui fallait s'en aller car bientôt les rayons assassins viendrait lécher sa joue avec un appétit morbide et il devrait alors se cacher, comme toujours à chaque fois que paraissait le jour. Parfois, ce simulacre de ronde infernale lui était insupportable, comme aujourd'hui alors qu'il désirait si ardemment rester où il fut, profiter de la nature humaine qu'il ne recouvrirait jamais. A nouveau, la nostalgie le saisissait à la gorge et le faisait presque suffoquer. Enfin, il se leva en pliant les genoux, jetant un dernier regard alentours sur la vieille dame qui regardait avec tendresse les pigeons et envie le paquet de graine à moitié vide que tenait Heathcliff. D'un pas vif, il se rendit auprès de la vieille dame à qui il offrit avec un sourire immense, le sachet de plastique crissant au creux de sa paume. La gratitude qui apparut à cet instant sur le visage ridé et bienveillant émut beaucoup le vampire qui se détourna, apaisé.

Il s'éloigna un instant avant de se retourner vers l'humaine. Il l'admira un moment, savourant les affres du temps sur sa peau lâche et ridée aux marques de la vie qu'elle avait affronté avec vaillance. Elle semblait si paisible, mue par la seule envie de nourrir ses volatiles, ses vieilles mains tremblantes agrippant les petites graines ovoïdes comme si elle représentait à ses yeux des pépites d'or brut. Ce fut avec dans le coeur une agréable sensation de liberté qu'il quitta la vieille dame, une lueur d'envie dans le regard.

La jovialité itinérante au parc pittoresque dans lequel ses pas le laissaient divaguer n'empêcha pas son moral de devenir morose. Très peu d'humains y transitaient à présent que la tyrannie des Originaux avait envahi la ville et parfois Heathcliff le regrettait. Il avait en adoration le grouillement nonobstant des mortels qui gravitaient comme des millions d'infimes particules autour d'un axe magnétique. Rien ne semblait les soustraire à ce besoin immanent à la race humaine de se rassembler et d'arpenter leur territoire de long en large avec la nonchalance et l'innocence qui caractérisaient si bien leur existence mortel. Sur ce point, il les enviait, car malgré son assurance de vivre jusqu'au jugement dernier, Heathcliff redoutait la mort bien plus que ceux qui avaient la certitude de l'atteindre.

Peu de créatures venaient troubler le repos qu'offrait ce havre au creux de New York, néanmoins au gré de son chemin, Heathcliff pouvait percevoir l'odeur immonde, supplice pour ses sens, des lycans ou des mutants qui traînaient ici. Mais parfois, il était distrait par ses pensées et très peu concentré sur ses perceptions contrairement à la plupart de ses comparses buveurs de sang dont la vigilance mue paranoïa était l'une des caractéristiques principales. Lui était plus volage dans son esprit et dans son corps, et se tenait bien moins sur ses gardes, autant puisqu'il se savait presque invisible au sein des humains, autant parce qu'il était le plus puissant de tous. Mais cette fois, sa distraction fut telle qu'un choc violent le projeta hors du sentier qu'il parcourait à pas lent. La violence du coup avait été beaucoup plus importante que si l'objet avait été un simple humain. Le temps de reprendre ses esprits et Heathcliff renifla sans peine la chair acide et le parfum musqué d'un lycan.

Imperceptiblement, ses crocs sortirent de ses gencives alors que la dureté de ses poings ressemblaient à celle de ses mâchoires dûment contractées. Un grognement presque animal ronronna de sa gorge alors qu'il toisait son percuteur qui se tenait accroupi, en appuis sur ses paumes à quelques mètres à peine de lui. La confrontation semblait inévitable, pourtant, Heathcliff épousseta un instant sa cape pour la déplisser avant de rentrer ses canines sorties par instinct à l'instar d'un rictus aussi méprisant qu'indifférent qui fendit sa bouche vermeil.

"Passe ton chemin, chien !" murmura-t-il de sa voix vibrante et glacée.

La provocation ouverte du lycan surprit d'abord Heathcliff qui échangea avec lui un regard d'incompréhension mêlé d'étonnement. Puis, il éclata de rire. Son fou rire fut impossible à réprimer et il dut bientôt se plier en deux en se tenant le ventre tant le spasme secouait ses entrailles. Question répartie, on pouvait sans doute trouver mieux, à n'en pas douter, mais la survenue plutôt surprenante de cette réplique ne manquait pas d'amuser l'esthète. Heathcliff se redressa enfin, réajustant ses lunettes en épongeant des sécrétions lacrymales qui coulaient de ses yeux encore plissés par le rire. Il renifla en se détournant du loup, retrouvant le chemin duquel il avait dévié avec le choc de leur confrontation. Là encore, le Lycan le provoqua, lui demandant ce qu'il comptait faire maintenant. Au début, Heathcliff reprit simplement sa route sans se retourner, n'accordant au loup rien d'autre que l'écho de son éclat de rire qui perdurait.

Et puis il repensa un instant à la vieille dame qui donnait à manger aux volatiles. Le Lycan avait l'air particulièrement instable. Il était possible qu'il déverse sa rage sur l'humaine innocente qui n'avait que le malheur de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Non. Il ne pouvait prendre le risque que le loup l'attaque. Heathcliff fit alors volte-face et croisa à nouveau le regard haineux du brun. Que faire ? S'il avouait rester pour protéger la vieille dame, il prenait le risque le Lycan s'en prenne à elle alors qu'il ne l'aurait sans doute pas imaginer par lui même, et dans ce cas, il la mettait en danger. S'il allait dans la provocation, tout à parier que ça finirait dans un bain de sang car en face d'un mec avec une répartie de cette trempe, Heathcliff finirait sans doute par perdre patiente. Non pas qu'il adore étriper les loups hargneux qui croisaient son chemin, mais cette opposition récurrente commençait à l'user.

Alors il fallait prendre le contre pied. Le Lycan venait avec son agressivité, Heathcliff lui répondrait dans le calme, quitte à risquer d'attiser davantage encore sa colère. Mais si le premier geste venait de lui, Heathcliff aurait moins de scrupule à l'étriper, même devant la vieille dame. C'était dans ces moments là qu'il maudissait fortement ses congénères Originaux qui avaient exploités cette race aussi soumise qu'insurgée et en avaient fait des machines à tuer, pétris de haine et de ressentiment. C'était à cause de leur vanité et de leur orgueil qu'Heath se retrouvait dans une telle situation. Ah, des fois, il se disait que le mauvais oeil était sur lui.

Alors comme si de rien n'était, Heathcliff marcha vers le loup. Il le croisa et avec célérité et force, une poigne ne laissant pas possibilité de se débattre sans rentrer dans le conflit ouvert, l'attrapa par les épaules, un sourire malicieux sur les lèvres. Du point de vue de la vieille dame, ils devaient avoir l'air de deux amis marchant bras dessus bras dessous sur un chemin, l'air jovial. Heathcliff le maintenant par la nuque et l'entraîna à sa suite, l'obligeant à marcher à ses côtés malgré ses grognements. Il resta silencieux un moment, le temps qu'il s'éloigne du parc aux pigeons. Bientôt, ils furent dans un coin du parc plus reculés où personne ne traînerait dans leurs pattes. Son objectif premier était atteint, il avait réussi à préserver la vieille dame sans éveiller les soupçons du loup.

Immédiatement, il le lâcha et s'écarta vivement, époussetant ses vêtements pour parvenir à chasser l'odeur atroce que portant le chien. Il était presque écoeuré et dut cesser de respirer un moment pour laisser partir la fragrance âcre de chien mouillé qui lui collait au corps. Il repoussa sa cape qui revenait entre ses cuisses et reprit un peu de sa prestance naturelle en toisant le lycan. Il ne savait pas quoi lui dire, car il refusait d'entrer dans la provocation, mais en même temps, son comportement l'horripilait. Il savait que ce n'était pas sa faute, qu'il n'y pouvait rien, que c'était le tempérament de sa race, mais pour autant, le vampire était le premier à avancer qu'on pouvait très bien agir contre sa nature. Il suffisait d'en avoir envie.

"Vous savez, ce n'est pas contre les gens comme moi qu'il faut diriger votre colère. Ca fait approximativement trente ans que j'ai connaissance de l'existence de votre espèce, alors si vous cherchez un responsable à votre asservissement, allez chercher du côté de ceux qui sont en cause dans cette affaire."

Et avec un rictus, il ajouta :

"Et il parait que je suis l'un des plus beaux de ma race, selon mes victimes qui n'ont pas l'air de partager votre aversion !"