Ghost - Coraline

Elle était allongée, sur son lit, où elle ne pouvait pas dormir. La journée avait commencé comme toutes les autres, jusqu’au moment où son regard était tombé sur le calendrier affiché dans la cuisine. Elle avait alors pris conscience de la date, de ce qu’elle signifiait. Pour d’autres, il s’agissait de n’importe quel jour de la semaine. Pour elle, c’était celui de son mariage. Ou plutôt, qui aurait dû être celui de son mariage, si elle était encore envie. Elle resta immobile, figée quelques instants, glacée par ce qu’elle venait de comprendre. Elle ne sortit de ses pensées qu’au moment où elle avait entendu des pas dans les escaliers, ceux d’Aleister ou de Salem, peu importait. Elle se volatilisa immédiatement, retournant dans sa chambre. Elle n’avait pas envie de parler. Elle savait qu’ils voudraient la réconforter, et elle n’était pas certaine d’avoir envie de l’être. Il y avait certaines choses qu’elle avait du mal à partager, et Sam en faisait partie, encore plus devant Salem avec qui il avait toujours été un sujet de discorde. Elle n’avait pas envie de retourner le couteau dans la plaie, encore moins entendre quelqu’un dire que c’était mieux ainsi ou dénigrer son ex fiancé d’une manière ou d’une autre. Alors, elle était restée là, toute la journée ou presque, à se demander comment les choses se seraient passées si elle n’était pas morte de manière aussi stupide. Sa vie aurait changé aujourd’hui. Six mois auparavant, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle en serait là. Elle se demanda si sa mère avait reçu sa robe de mariée, et ce qu’elle en avait fait. Elle se demanda si Sam savait quel jour c’était, s’il était malheureux, s’il pensait à elle, ou si au contraire, il s’était déjà consolé dans les bras d’une autre. Cette simple pensée la faisait souffrir, mais elle ne parvenait pas à la laisser de côté, c’était plus fort qu’elle.

Vint un moment où la solitude et l’enfermement devinrent insupportables. Elle disparut, réapparaissant dehors. La nuit était tombée et à en juger par les tenues des passants, il devait faire particulièrement froid, ce qu’elle ne pouvait bien évidemment pas sentir. Il y avait malgré tout quelques avantages à être un fantôme. Elle s’était mise à marcher pour se vider la tête, sans vraiment faire attention au chemin qu’elle empruntait, sans se soucier de la destination. Ce n’était pas vraiment important. Elle aurait voulu pouvoir oublier, laisser de côté ces souvenirs, la peine qu’elle pouvait ressentir. Parfois, elle aurait souhaité éprouver aussi peu d’émotions que de sensations physiques. Au moins, les choses auraient été plus faciles, moins douloureuses. Elle ignorait si ce qui lui manquait le plus était Sam lui-même ou les souvenirs qu’elle partageait avec lui, ceux qu’ils auraient pu construire, cet avenir qu’elle ne connaitrait jamais. Pour le moment elle ressentait seulement un grand manque qu’elle craignait de ne jamais pouvoir combler.

Elle sembla se réveiller soudainement et s’aperçut qu’elle ignorait où elle se trouvait. Elle ne reconnaissait absolument pas l’endroit et était seulement capable de dire qu’elle était dans Manhattan. La rue dans laquelle elle était n’était pas celles qu’elle se serait risquée à fréquenter étant vivante. Elle n’aimait pas trop y trainer non plus maintenant, mais elle commençait peu à peu à s’habituer au fait qu’elle ne pouvait être blessée. Et elle n’était pas seule. Elle entendit des voix, des voix provenant d’un groupe d’hommes qui marchaient de l’autre côté de la rue. Elle les regarda vaguement, avant que son regard ne soit frappé par l’un d’entre eux. Non, c’était impossible. Et pourtant, il lui semblait que c’était bel et bien lui, même si elle ne le voyait que de dos. Sam. Son Sam, ou du moins l’avait-il été. Elle resta immobile, comme hypnotisée, avant que le groupe ne prenne une autre rue. Alors, elle prit la décision de les suivre, marchant afin de ne pas les perdre. Malheureusement, lorsqu’elle rejoignit la rue dans laquelle ils s’étaient engagés, ils avaient disparu. Où avaient-ils pu aller ? Il n’y avait pas grand chose ici, à part deux ou trois bars. Elle alla dans chacun d’entre eux, mais ne les retrouva pas. Puis, elle entra dans le dernier, appelé le Scarlet Lust.

L’avantage quand on est un fantôme, c’est que l’on peut entrer partout sans invitation, ce qu’elle fit. Et il ne lui fallut que peu de temps avant de comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un bar, même si la salle principale en contenait un. Les femmes étaient très légèrement vêtues et en compagnie d’hommes ayant visiblement les moyens de s’offrir leurs services. Elle fut soulagée que personne ne puisse la voir, parce qu’elle n’aurait vraiment pas su comment expliquer sa présence dans un endroit pareil. Les gens lui passaient parfois au travers, totalement inconscients de sa présence.
A présent, il lui fallait retrouver Samuel, ou du moins l’homme qui lui ressemblait. Voyant qu’il n’était pas dans la salle principale, elle s’aventura à l’étage. Plus les minutes passaient, plus elle se disait qu’elle s’était peut-être, et même probablement trompée. Comment aurait-il pu se rendre dans un endroit pareil ? Elle le connaissait, ce n’était pas du tout son genre. Ou alors il y avait une très bonne explication à laquelle elle n’avait pas songé. Mais pour le moment, elle voulait avant tout le retrouver, pour le reste elle verrait plus tard. Seulement, après s’être aventurée dans une ou deux pièces, l’idée de l’exploration ne lui sembla plus du tout tentante, et si elle connaissait les activités d’une maison close, elle n’avait pas la plus petite envie d’en être spectatrice. Elle décida alors de réapparaître dans le salon principal, et d’attendre là.

L’attente fut d’ailleurs loin d’être agréable. Elle avait beau essayer de trouver un coin isolé, il y avait toujours des gens pour s’approcher, ou pire, s’asseoir à travers elle. Elle était en train de désespérer de voir l’homme qu’elle aimait, quand soudain, il apparut, enfin, avec le même groupe d’hommes. Elle se leva et s’approcha de lui. C’était bien lui ! Elle faillit fondre en larmes en détaillant ses yeux, ses lèvres, les traits de son visage qu’elle connaissait par coeur. « Sam ! » Ce nom sortit de sa bouche comme un trésor tant chéri tandis qu’elle tendait la main vers lui, main qui passa au travers de son vêtement, puis de son épaule. D’un coup, le sourire retomba. Ses efforts étaient inutiles, il ne pouvait pas la voir. Et voilà qu’il s’en allait, vers une toute autre pièce. Coraline regarda autour d’elle, désemparée, à la recherche de n’importe quelle solution qui s’offrirait à elle.
C’est alors qu’elle la vie. Une jeune femme appartenant à ce décor, guère différente des autres, à une exception près : elle la voyait. Elle avait les yeux posés sur elle. D’un coup, la fantôme eut une inspiration : on lui avait dit que les revenants avaient la possibilité de posséder les êtres faits de chair et de sang. Elle allait pouvoir le vérifier. Elle ne réfléchit pas et s’avança d’un pas décidé vers la belle brune. « Je suis vraiment désolée. » Elle n’était pas certaine de savoir comment faire et décida d’écouter son instinct, fonçant droit vers l’inconnu. Au lieu de lui passer au travers, elle se retrouva à l’intérieur. C’était de loin la sensation la plus étrange qu’elle ait jamais éprouvé. Malheureusement, sans la moindre pratique ce n’était pas si facile et le moins que l’on puisse dire, c’est que la demoiselle se débattait. « S’il vous plait, restez tranquille. » murmura-t-elle entre ses dents à son attention. Enfin, elle sembla prendre le dessus, du moins temporairement, et put se diriger vers la pièce, dont elle ouvrit la porte. Elle s’avança et ne tarda pas à apercevoir Sam. En le voyant, elle ne put s’empêcher de sourire, un sourire qui n’était pas celui de quelqu’un cherchant à séduire, mais celui d’une femme amoureuse. Elle s’approcha de lui alors qu’il était assis sur un fauteuil. « Bonsoir. » Elle aurait voulu paraître sûre d’elle, mais malheureusement sa voix tremblait sous l’émotion. Heureusement, il ne sembla pas s’en rendre compte et lui adressa un sourire charmeur, ce sourire qui l’avait si souvent fait craquer. Elle n’entendit en revanche pas ce qu’il lui répondit, parce qu’à l’intérieur, la propriétaire de ce corps commençait à devenir difficile à contenir.