(solo) ☞ if you ride like lightning, you're gonna crash like thunder.

☞ no god to pray.

Non.
Non.
C’était impossible.
Impensable, et impossible.

Les mains pleines de cambouis, tu te redresses. Sourcils froncés, et l’œil capté par ce que tu entends approcher. Ton don se déclenche, au quart de tour, et instantanément, tes sens sont décuplés. Tu entends les bruits caractéristiques des hommes pénétrant dans la boutique. Ça, c’est ce que te dit ton ouïe. Mais ton odorat, lui, te dit que ce ne sont pas des hommes. Et si tes oreilles te disent qu’ils sont six, ton nez, lui, te hurle que quelque chose ne va pas. Pourquoi six lycanthropes viendraient-ils faire réparer une voiture ?

Quelque chose qui va de travers. Et ton cœur le suit, inconsciemment. Ton pauvre cœur qui battait alors comme si sa dernière heure était arrivée. Tu poses immédiatement le chiffon avec lequel tu essuyais ta main humaine. Il n’y a, à cet instant précis, aucune pudeur dans tes gestes. Et tu ne penses pas à ce bras bionique, entièrement dévoilé par ton débardeur noir. Tu ne penses pas aux cicatrices de ton visage que l’on peut apercevoir. Tu ne penses plus à rien. Si ce n’est à Mads, qui se trouve plus près de l’entrée que tu ne l’es. Mads, que tu pressens en danger. On a toujours dit que ton don te servait à t’adapter pour survivre, non ?
Alors, survis.
Va le chercher.
Et assure-toi qu’il ne lui arrive rien.

Tu marchais vite, Jaime. Très vite, sans pour autant courir ; il ne fallait pas que tu paniques. Si ça se trouve, ce n’était rien. Si ça se trouve, ils venaient simplement demander des renseignements. Ils voulaient une voiture, ou une connerie du genre. Ils amenaient la leur pour une révision. Oui, c’était une option. Une option qui te donnait pourtant la nausée, tant tu la savais impossible et inenvisageable. Et tu compris bien que quelque chose ne tournait pas rond au moment où des bruits fracassants de métal éparpillé au sol te parvinrent. Aussitôt, tu cessas de marcher et te mis à courir, déboulant dans la pièce où tu avais le souvenir que Mads était. Et il y était bien. Projeté à bas de son fauteuil, essayant tant bien que mal de protéger son visage de tous les outils que l’on commençait à lui foutre sur la gueule.
Non.
Par pitié.
Non.

« CASSEZ-VOUS BANDE DE CONNARDS. » Tu ne réfléchissais plus. Tes neurones s’étaient mises d’elles-même en mode veille, et voilà que tu te précipitais sur eux, clairement et simplement. Tu sautas sur le dos du lycanthrope le plus proche, le faisant tomber au sol, éclatant ton poing métallique sur son visage. Il tenta tout d’abord de te repousser, avant de s’immobiliser, sonné. Mais tu n’eus pas le temps de te relever qu’on t’attrapa par le col, et qu’on te plaqua contre le mur le plus proche. Les pieds à une trentaine de centimètres du sol. Tu n’arrivais plus à respirer, tu n’arrivais plus à bouger. Tes mains agrippaient les poignets de ton agresseur, et ton visage devenait rouge, à vue d’œil.
Et, à cet instant, tu le sentis.
Ton regard clair tomba sur Mads. Et tu sus, à son expression horrifiée, qu’il n’avait pu se retenir. Et, qu’une fois encore, il sentait la même chose que toi. Foutu don, foutue mutation.
Sors de ma tête, Mads, je t’en supplie. Tu veux pas subir ça. Arrête. Arrête ça. Sors de là.

Autour de toi, alors que tu étouffais, rapidement et sûrement, tout ce que les lycans pouvaient trouver, ils le balançaient au sol. Tu voyais ton monde s’écrouler, aussi impuissant que si tu n’avais été qu’une poupée de coton. Un putain d’handicapé alité, qui regarderait son propre frère se prendre des clés à molette et des tournevis sur la gueule. Tu t’agitais. Mais tu t’asphyxiais. « Alors petit con. Tu fais moins le malin, là, hein ? » Tu posas sur lui ton regard horrifié. Non. Ça ne pouvait pas être de ta faute. Mads ne pouvait pas avoir d’ennuis à cause de toi. Foutaises. « Fallait pas être si con. Faut pas se battre contre plus fort que soi. Mais ça, t’as l’air d’être trop attardé pour t’en rendre compte. Hein ? » Il te gifle, de sa main libre. C’est effrayant, la facilité avec laquelle il parvient à te laisser suspendu au-dessus du sol, sans une once de pitié. « Alors maintenant, regarde-le morfler. Dis-toi que c’est de ta faute. Regarde-le perdre tout ce qu’il a. Et dis-toi que c’est à cause de toi. »

Tu heurtes le sol. Tu n’es pas loin de Mads, mais tu n’as pas la force de ramper jusqu’à lui. Tu te contentes de tendre un bras. Ton bras. Et on écrase ta main contre le béton, appuyant sur tes doigts jusqu’à ce que tu hurles, bien malgré ton asphyxie encore fraîche. Tu vois un coup de pied t’éloigner de Mads, et ton nez se met aussitôt à saigner. Tu gémis et te recroquevilles sur toi-même. Pauvre petite chose martyrisée. Tu sais que ton frère ressent ta souffrance. Qu’il est en train d’en devenir fou, à quelques mètres de toi. Les yeux exorbités. « J… Jaime… » À mi-chemin entre le cri et le gémissement. Tu veux le regarder, mais un nouveau coup de pied t’oblige à fermer les yeux. Tu l’as pris dans l’œil, et voilà que tu essaies de crier. Mais lorsqu’un autre coup te cueille dans le creux de l’estomac, tu n’arrives plus à rien dire, ni à rien faire. C’est terminé.

Et tu te replies sur toi-même, pauvre animal apeuré. Tu ne vois pas ton frère tenter de se lever et de s’approcher de toi. Ni le lycan qui lui donne un coup de pied pour le remettre au tapis. Tout ce que tu sens, ce sont les poings qui pleuvent, les chaussures à semelles trop épaisses pour ta peau qui s’acharnent sur ta pauvre carcasse. Tu es impuissant. Condamné à rester là, et à souffrir.

Tes côtes craquent, et ils s’en foutent.
Ou peut-être qu’ils ne s’en foutent pas, mais qu’ils en sont heureux.
Ton visage est déformé. Lèvres fendues, yeux de plus en plus bleutés, gonflés, et gorgés de sang, à mesure qu’ils les martyrisent, et qu’ils cognent trop près.
Tu n’en pouvais plus. Et tu ne bougeais plus. Aux portes d’un monde brumeux et sombre, à cet instant si alléchant…

Un mince filet de sang perlait d’entre tes lèvres, en continu. Si tu avais souri, tes dents auraient été rouges, et le goût dégueulasse qui t’envahissait la bouche en témoignait allègrement. Mais tu n’avais ni la force de sourire, ni même celle de manifester ton dégoût pour cette saveur de ferraille.
À vrai dire, tu n’avais plus la force de rien.

Pauvre Jaime. Ils te ruaient encore de coups, sans la moindre pitié. Et tu ne tressautais plus que parce que leur force te le faisait faire. Et tu ne manifestais plus la moindre réaction, laissant à chaque fois une nouvelle salve de gouttelettes écarlates s’écraser sur le sol gris, si dur et si froid. Voulaient-ils te tuer ? Si ç’avait été le cas, ils auraient eu plus rapidement fait de te coller une balle dans la tête, non ? Non ?

Autour de vous, les lycanthropes ont saccagé tout ce qu’il pouvait rester de la boutique. De ce petit garage que Mads avait monté à la force de ses bras, à la sueur de son front. Que vous teniez depuis quelques temps déjà. Et qui, aujourd’hui, disparaissait à cause de toi.

Qu’avait-il fait pour mériter d’avoir un frère comme toi ? Tu avais ruiné sa vie. Jusqu’au bout, tu l’avais empoisonné. Et voilà qu’aujourd’hui, il risquait de la perdre, à cause de toi.

Soudainement, tout s’arrête. Tu restes là, gisant au sol, incapable de faire le moindre geste. Tu n’ouvres même pas les yeux. C’est au-dessus de tes forces. Tu le sens. Tu le sais. Tu voudrais pleurer la moindre des larmes de ton corps, mais tu n’y arrives pas. Tu n’as rien d’autre que du sang dans les yeux. Et tu t’enfonces, progressivement, loin de ce monde. Loin de toute cette horreur, de cette planète de miséricorde et de cette humanité que tu détestes tant. Tu t’enfonces si loin que ce n’est, semble-t-il, plus possible d’espérer t’en sortir. Autour de toi, le silence s’est fait. À moins que ce ne soit tes oreilles qui refusent désormais de te faire parvenir les sons qui t’entourent. Non. Il y a du bruit. Et tu l’entends. Des mots jetés. Une voix que tu reconnais. Réconfortante. La seule, peut-être qu’il te reste, en ce bas-monde.

« Jaime… Je… » Tu parviens finalement à ouvrir les yeux. Juste un peu. Juste ce qu’il faut. Juste assez pour le voir, au milieu de ce brouillard vermillon. « Désolé, Jaime… Désolé de ne pas être ton survivant… »

Tu écarquilles les yeux.

Tu entrouvres les lèvres, quand bien même la douleur est insupportable.

Non.

Non.

NON.

BANG.

Tu hoquètes. Craches du sang. Un spasme violent t’agite, alors que tu essaies de bouger. Mais tes muscles ne répondent pas. Plus rien ne répond.

Pas même tes glandes lacrymales, en voyant le corps de Mads s’affaisser à un mètre de là.

Pas même tes cordes vocales, tandis que tu fixes ses yeux vides et la mare de sang qui s’étend autour de sa tête.

Petit à petit, ton cerveau se vide. Tu voudrais croire que tu nages en plein délire. Que tout ceci n’est qu’un cauchemar.

Mais tes yeux ne mentent pas. Et ce trou dans la tête blonde de ton frère non plus.

Ton esprit s’embrume, s’embrouille.
Autour de toi, tout disparaît petit à petit.
Ta douleur surréaliste y compris.
Ne reste plus alors que ton frère.
Ton frère et ses yeux vides.
Puis, plus que ses yeux.
Et finalement, le brouillard les recouvre, eux aussi.

Ta tête retombe mollement sur le sol.
Tes yeux se révulsent.

Et quitter ce monde ne t’a alors jamais paru aussi censé.

Au revoir, Mads.