Come & get it || Pv Coraline

Un verre. Il s'était promis de ne boire qu'un verre afin de garder les idées claires. Un verre... Juste un verre. Mais vous savez comment ça se passe? Surtout lorsqu'on était en bonne compagnie. On parle. On boit un verre. Alors on a faim. Donc... On mange les cacahuètes gentiment disposées sur votre table. Et vous avez de nouveau soif... Par conséquent... Vous n'avez d'autres choix que de commander un autre verre. Et ainsi de suite. C'était le cycle de la cacahuète. Et Elkan, bien trop distrait par les beaux yeux de Coraline, il s'était maladroitement laissé happé par ce cycle vil et mesquin.

Alors forcément... au bout du cinquièmes verres... Le barman le regardait étrangement. Comme quelques rares clients qui se trouvaient autour de sa table. Le Phantasialand... Un bar bien sympa, avec une déco ... pas du tout sympa. Un mélange des genres qui était d'un mauvais goût. La porte double battant comme dans les films de western juré avec la déco rétro parsemée ci et là. Mais pourquoi perdre du temps en décoration lorsque la plupart des clients s'avéraient être des gens paumés, sans grandes ambitions? Mais surtout... Pourquoi avait-il emmené une femme aussi délicieuse que Coraline dans un lieu pareil? Probablement parce que c'était le seul lieu à peu près descend qui se trouvait pas trop loin de là où il avait été chercher la fantôme. Un endroit où les genres et les espèces se mélangeaient. Un endroit où il ne ressentait pas trop les regards posés sur lui. Il le savait bien que certains le voyaient comme un fou qui parlait tout seul. Il le savait et il en riait.

- Vous êtes joueuse, Coraline? questionna le sorcier, étirant ses lèvres en une moue espiègle. Ses grands yeux claires fixèrent alors avec malice la jeune femme. Il avait quelque chose derrière la tête et d'une manière ou d'une autre, il obtiendra ce qu'il veut. Elkan obtenait toujours ce qu'il voulait. C'était donc confiant qu'il enchaîna, n'attendant pas de réponse. Posant ses coudes sur la table, il se pencha vers Coraline, comme si il était prêt à lui confier un secret. J'ai un jeu à vous proposer.

Se redressant, nonchalant sur sa chaise, il sorti une pièce de sa veste en cuir. Un jeu de hasard. Un jeu où seul le destin était maître de ce qui pouvait leur arriver. Un jeu où il ne pouvait en connaître l'avenir. Un jeu où nul ne savait d'avances qui allait gagner... à moins que...

- Pile, je gagne... Face... Vous perdez. La surprise étant de ne pas savoir ce que l'autre personne gagne... Vous êtes partante, Coraline?

Comme promis, il l’avait emmenée dans un bar. Elle se demandait bien pourquoi d’ailleurs. S’il voulait discuter avec elle, il valait bien mieux rester dans un endroit où ils avaient la possibilité d’être seuls l’un avec l’autre et de parler ouvertement sans être importunés. Ici, c’était déjà plus difficile, surtout au vu de l’endroit. Si elle avait encore été en vie, ce n’était certainement pas le genre de lieu qu’elle aurait aimé fréquenter. Morte non plus d’ailleurs. Mais c’était toujours mieux que l’endroit où elle travaillait et où elle était connue, du moins pour ceux qui avaient la possibilité de la voir. Elle avait cependant accepté de le suivre, souhaitant mettre fin à cette satanée gêne qu’elle ressentait en sa présence. Mais voilà qu’à présent, elle regrettait amèrement cette décision. Elle qui avait pensé qu’ils étaient là afin de parler d’elle, qu’il puisse l’aider, avait rapidement compris que les choses ne se passeraient pas vraiment comme elle l’avait imaginé. Elle était accoudée à la table, le regardant depuis un temps infini enchaîner les verres tandis qu’elle ne pouvait même pas avaler une goutte. Il n’y avait décidément rien de plus désagréable que regarder quelqu’un se saouler sans pouvoir le faire soi-même.

C’était lui qui avait l’air d’un fou, pas elle. Combien de verre avait-il avalé ? Cinq, six ? Peut-être plus... Peu importait. Il était déjà difficile à supporter dans son état normal, mais elle craignait qu’à présent ça aille de mal en pis. Accoudée sur la table, elle portait son regard sur le reste de la salle plus que sur lui. Elle savait parfaitement que si elle choisissait de le regarder, de prêter attention à ce qu’il faisait, l’agacement prendrait le dessus. Elle portait des regards réguliers en direction de l’horloge murale. Sérieusement, combien de temps tout cela allait-il encore durer avant qu’il ne se lasse et accepte de continuer la conversation ?

« Pardon ? » Elle tourna soudainement la tête, sortant de sa torpeur. Il lui avait parlé et ce n’est qu’au bout de quelques instants qu’elle parvint à reconstituer ce qu’il avait dit. D’ordinaire, elle se serait méfiée. Mais là, elle était si lasse qu’elle se contenta de hausser les épaules avec nonchalance. « Je n’en sais rien, pourquoi cette question ? » Son ton était mi fatigué, mi agacé, comme si elle s’était trouvée face à un enfant un peu trop imaginatif et surtout bruyant. Elle avait la vaste impression de s’être faite avoir en l’accompagnant jusqu’ici. « C’est quoi votre jeu ? »

A vrai dire, elle n’était pas curieuse le moins du monde à ce sujet. Elle se fichait bien qu’il veuille se distraire, ou de ce qu’il avait inventé. Si c’était sur son aide qu’elle comptait, il allait peut-être falloir qu’elle revoie ses positions. N’avait-elle pas fait une énorme erreur ? Voilà qu’elle se trouvait face à un sorcier visiblement saoul qui maintenant voulait jouer à elle ne savait quoi. Autant dire qu’elle était dans de beaux draps. Aussi, elle fit l’erreur d’écouter à peine ses explications.

« Faites comme vous voulez, d’accord ? » Elle avait de plus en plus de difficultés à dissimuler sa frustration. Ben bientôt, elle n’y tint plus. « Je peux savoir ce que vous faites ? Je croyais qu’on était venu pour que vous puissiez m’écouter, et m’aider. Je commence à en avoir assez de vous regarder boire et je pense qu’on devrait... » Elle s’arrêta un instant, alors qu’il semblait plus occupée par son soi-disant jeu que par ce qu’elle pouvait bien dire. « Vous m’écoutez ou quoi ? »

Elle ne l'écoutait pas. Elle ne l'écoutait plus depuis un moment, déjà. L'ennui et l'irritation semblait l'avoir gagné. Désintéressé par Elkan, elle regardait partout, sauf vers lui. Le sorcier n'était pas idiot et pas encore assez alcoolisé pour ne rien remarquer. En l'observant et en l'écoutant, le sorcier se sentit tout simplement... Con. Avec sa pièce de monnaie dans la main, et son sourire espiègle, il avait cru mettre fin aux inquiétudes de Coraline. Grossière erreur. Son amusement se dégonfla aussi rapidement qu'un soufflé raté. Silencieux, il détourna son regard vers sa veste afin d'y ranger sa foutue pièce de monnaie. Jeu stupide. Jeu inutile.

- Oui, Coraline. Je vous écoute, moi.

Relevant sa tête en sa direction, il planta ses deux billes clairs dans les yeux de la fantôme. A son tour d'être agacé et légèrement irrité par le comportement de la jeune femme. Parfois, il se demandait pourquoi il faisait tant d'effort. Parfois, il se demandait pourquoi il se donnait tant de mal. Et à peine s'était-il posé la question que la réponse lui arriva en plein dans la face. Elle était innocente. Elle était pure. Elle était la plus belle des anomalies. Elle s'appelait Coraline. Un soupir franchit ses lèvres. Il pouvait comprendre la jeune femme. Depuis qu'ils étaient ici, pas une seule fois ils n'avaient parlé de sa situation. Pour cause, Elkan voulait tout d'abord mettre la jeune femme à l'aise. Une mission pour laquelle il avait totalement échoué. Se passant une main dans les cheveux, il décida néanmoins de mettre les choses aux claires.

- Contrairement à ce que vous pouvez penser, je cherchais simplement à vous mettre à l'aise. J'avoue m'être trompé et ne pas m'y être prit de la meilleure des façons. Mais Coraline... Je sais combien il est difficile de repenser à notre passé, en sachant que cela n'est désormais plus qu'un souvenir lointain. Ne perdez pas de vu que je vais devoir connaître tout les détails de votre vie, afin de peut-être, détenir en ma possession des éléments qui pourront nous aider. Vous allez devoir, pendant les prochaines heures qui vont suivre, remuer constamment un couteau sur une plaie déjà ouverte. Alors oui. J'ai fait traîner les choses, car je voulais d'abord vous faire passer un moment agréable.

Ayant mit les choses au clair, le sorcier fouilla de nouveau dans les poches de sa veste. Sauf que cette fois-ci, au lieu d'en ressortir une pièce de monnaie, il en sorti un dictaphone. Petit instrument léger qui daté d'une vieille époque. Cependant, c'était un instrument bien pratique dans le cadre de ses enquêtes. Surtout lorsqu'il devait interroger des individus, comme c'était le cas avec Coraline.

- Commencez déjà par me parler du jour de votre mort. Je veux tout les détails. Même les plus insignifiant à vos yeux. Je vous écoute.

Il mit en route le dictaphone et le déposa ensuite sur la table. L'interrogatoire commençait et Elkan présentait à présent un masque de professionnalisme. Impassible, il croisa ses mains, attendant, tout simplement.

Que voulait-il ? Que cherchait-il ? La railler, l’étudier, s’amuser à ses dépends ? Il n’avait pas l’air de se rendre compte que c’était sérieux pour elle. Il entrait dans ce qu’elle avait de plus intime : sa propre mort. Il allait sans doute soulever des choses qu’elle ignorait, qui lui seraient forcément douloureuses. Et voilà qu’il passait son temps à boire et à jouer à des jeux idiots alors qu’elle se trouvait plongée dans une véritable angoisse. Elle avait sincèrement cru qu’elle n’était qu’une source d’amusement à ses yeux. Néanmoins, elle changea bien rapidement d’avis. En voyant sa réaction, en réalisant qu’elle s’était trompée, elle se sentit mortifiée. Elle baissa les yeux, avec l’envie de disparaitre.

« Je suis désolée. Je... je croyais que vous vous moquiez de moi... que vous ne preniez pas ça au sérieux. »

Elle repoussa ses cheveux d’un noir de jais en arrière. Maintenant qu’elle repensait aux tentatives du sorcier pour l’aider à penser à autre chose, elle se demandait si elle n’aurait pas mieux fait d’en profiter, parce que la suite lui faisait réellement peur. Elle ne parlait jamais de sa mort, et certainement pas dans les détails. En réalité, personne ne la questionnait à ce sujet. C’était tabou, événement source de craintes, car ayant trait à une issue qui serait celle de la plupart des individus de ce monde. Personne ne voulait entendre parler de la mort, surtout pas de la sienne. Durant près d’un an, elle avait pu éviter ce sujet. Et voilà qu’elle s’y retrouvait confrontée. Et elle avait peur, peur qui s’imprimait sur ses traits tandis qu’elle le regardait sortir le magnétophone. Elle n’avait pas pensé qu’il l’enregistrerait.

« Vous êtes sûr que ça va marcher ? Je ne suis pas certaine que les appareils électroniques captent bien ma voix. »

Elle tenta de sourire, comme si elle était amusée. Sauf qu’elle ne l’était pas, et qu’elle cessa bien rapidement. Elle baissa de nouveau ses yeux vers ses mains, posées sur la table, qui se nouaient et se dénouaient, dévoilant son angoisse de plus en plus profonde. S’apercevant de ce geste, elle se contraignit à les poser à plat et à lever ses prunelles émeraude, bien qu’il ne soit pas évident de soutenir le regard d’Elkan, surtout alors qu’elle se sentait si vulnérable et démunie. Il semblait... impassible. Comme s’il avait fait ce genre de choses des dizaines et des dizaines de fois. C’était déroutant. Elle n’aurait pu se sentir plus déstabilisée.

« Vous allez être déçu, je vous préviens. La vérité, c’est que je ne me souviens pas de grand chose. » Elle s’arrêta un instant afin de se remémorer tous les éléments dont elle se souvenait. « C’était le matin. Je me souviens que j’étais au téléphone avec ma mère. Je devais la retrouver en ville plus tard pour regarder les robes de mariées...» Elle s’interrompit, songeant que sa mère devait l’avoir reçue. Elle se demanda ce qu’elle en avait fait. « Je ne vous l’avais pas dit, mais je suis... enfin, j’étais fiancée. J’ai raccroché le téléphone. Je suis allée vers l’entrée mais... je ne sais plus pourquoi. Je ne me souviens plus du reste. C’est comme une sorte de cauchemar. Plus j’essaie de me rappeler des détails, plus ils m’échappent. Je me souviens seulement que je suis tombée, la chute. Apparemment je suis morte au moment où ma tête a heurté la table basse du salon. Ma nuque s’est... brisée. C’était juste un accident, une mort stupide. »

Elle le pensait sincèrement. Y avait-il une façon plus idiote, plus pathétique de partir ? Y repenser lui donnait envie de pleurer. Mais à l’instant où elle eut prononcé ces derniers mots, le verre qui se trouvait face au sorcier explosa subitement. Elle plaça ses mains devant elle dans un réflexe de protection tout en poussant une exclamation de surprise. « Désolée... je ne sais pas ce qu’il s’est passé... » Elle sentait, non, elle savait que ça venait d’elle, mais elle ne comprenait pas pourquoi.

En voyant la peur s'imprimer sur le visage de Coraline, un sentiment de culpabilité l'avait aussitôt envahit. Il avait envie de la prendre dans ses bras pour la rassurer. Il avait envie de lui murmurer que tout allait bien se passer, qu'elle n'avait aucune raison d'avoir peur. Mais en plus d'être inutile, il savait que ceci était un mensonge. Tout n'allait pas bien se passer. Se rappeler de sa propre mort n'était pas une chose aisée. Se rappeler de sa propre mort n'était pas quelque chose de naturelle. Il ne pouvait qu'imaginer la détresse de la pauvre et douce Coraline.  

- En fait, les appareils électroniques enregistrent tout les sons. Même ceux que l'homme n'est pas capable d'entendre. Mais avec quelques programmes, logiciels, et des heures de pratiques, certains parviennent à isoler la voix des morts pour les entendre. Dans mon cas, je suis déjà branché sur la radio des morts.

Un don pour certains. Une malédiction pour d'autres. Elkan avait longtemps porté ce fardeau sur ces épaules avant d'en faire son métier. User de ses faiblesses pour en faire sa force. Voilà ce qu'on lui avait toujours enseigné... Et c'était une chose qu'il s'évertuait à mettre constamment en pratique. Une chose qu'il aimerait pouvoir enseigner à Coraline. Qu'elle cesse de voir sa mort comme un fardeau, un échec... Elle demeurait là. Elle pouvait encore voir, ressentir, être touchée. Peut-être qu'elle était privée de bien des choses... Toutefois, le sorcier ne perdait pas foie dans le fait qu'elle parviendra un jour à surmonter tout ça. Elle était bien plus forte qu'elle ne pensait et il comptait bien le lui montrer.

Avec patience, il attendait. Il pouvait deviner la douleur de son interlocutrice. Le chagrin qui devait l'accabler. Mais surtout, il devinait son stress. Ses grands yeux clairs l'observaient, prêtant attention aux moindre détails... Coraline... La plus belle anomalie qu'il avait vu. Si fragile. Si humaine... et pourtant...

- Tout ce que vous pourrez me dire me sera utile, tentative probablement inutile pour la rassurer. Gardant dorénavant le silence, il écoutait Coraline, buvant chacune de ses paroles, mémorisant la moindre syllabe.

Contrairement à ce qu'elle avait pu penser, certains éléments s'avéraient relativement intéressant. Certes, cela n'allait pas lui apporter la solution sur un plateau d'argent. Néanmoins, il avait déjà quelques éléments de piste qu'il pourrait suivre pour essayer de comprendre au mieux ce qui avait pu se passer.

- Ce n'est...

Les mots à peine sorti de sa bouche que son élan fut stoppé net. Sans raison apparente, son verre lui éclata entre les mains, le plongeant l'espace de quelques secondes dans un sentiments de perplexités. Ses yeux quittèrent le doux visage de Coraline pour examiner les éclats de verre répandue de façon éparse sur la table. Par chance, il n'y avait plus rien à l'intérieur. Comme quoi, avoir la descente facile présentait ses avantages.

- Hum... Intéressant, murmura le sorcier, prenant son dictaphone. Coraline, j'aurais besoin que vous me donniez l'identité de votre fiancé et de votre mère ainsi que leurs adresses. J'aurais quelques questions à leur posé.

Rangeant son gadget dans le fond de sa poche, il précisa, plantant son regard dans celui de la fantôme.

- Et ne m'obligez pas à aller chercher ses informations moi-même.

Le détective en lui prenait le dessus. Loin devant lui l'idée de la séduire, il arborait son masque d'impassibilité. Un homme de droiture. Il étala quelques billets généreux sur la table et se leva. L'entrevue s'avérait bien plus courte que prévue mais Elkan ne voulait pas éprouver d'avantages la fantôme. Pas ce soir. Il n'avait pour le moment qu'un petit os à ronger, mais il tâcherait de faire avec ça dans l'immédiat.

- Je vous raccompagne chez vous?

Voilà bien une chose qu’elle n’aurait jamais imaginée avoir à faire au cours de sa vie. Parler de sa propre mort. Tout ça n’avait rien de normal, ou de naturel. La mort était supposée être quelque chose de... définitif, non ? Elle n’aurait pas dû en réchapper. Elle n’aurait pas dû se trouver là, encore. Et voilà qu’il lui fallait raconter l’épisode le plus traumatisant qui lui soit jamais arrivé. Elle était morte. Elle n’éprouvait plus de douleur physique, et pourtant, elle était toujours capable d’avoir terriblement mal, de souffrir d’un traumatisme, d’éprouver des sentiments, d’avoir peur. Elle déglutit et hocha simplement la tête. Branché sur la radio des morts. Voilà qui n’était pas banal. Il devait maîtriser le sujet. Si même lui ne savait exactement ce qui lui arrivait, elle avait peut-être de quoi s’inquiéter, non ? En tout cas, ce n’était pas pour la rassurer.

Mais elle n’avait plus le choix. Incertaine, hésitante, elle marchait sur des oeufs, pétrifiée, terrifiée à l’idée de voir le passé ressurgir. Elle eut voulu le lui dire, mais il était probable qu’il le comprenait parfaitement lui-même. Elle n’était pas réellement douée pour dissimuler ses émotions. Il lui dit que le moindre de ses propos pourrait être utile, mais comment ne pas en douter ? Son histoire lui paraissait... banale. Elle n’en avait pas de souvenir précis, mais surtout, il s’agissait d’un accident. Un accident banal, quelque chose qui n’aurait pas dû arriver. Oui, elle était morte de manière particulièrement stupide et c’était peut-être ce qui la peinait le plus. Constater que son existence avait été si fragile qu’elle avait pu s’éteindre comme ça, en un claquement de doigts. Tout avait disparu, sans le moindre espoir de retour.

Alors, elle lui raconta. Ce dont elle se rappelait du moins. Ce n’était rien, mais c’était tout. Et incroyablement douloureux, car elle se rendait plus que jamais compte de ce qu’elle laissait derrière elle. Elle n’était plus rien. Elle n’existait pas vraiment d’ailleurs, malgré ce que l’on pouvait en dire. La simple raison pour laquelle elle était présente aux yeux des autres, c’était à cause d’un rituel. C’était ce qui la rattachait à la vie. Il semblait l’écouter avec la plus grande attention, sans paraître chercher à se moquer d’elle d’aucune façon, ce qui la mit en confiance. Jusqu’au moment où un verre explosa. Elle sentit que c’était elle qui l’avait fait, mais elle ignorait pourquoi. Comme si les choses avaient brusquement échappé à son contrôle. Il ne réagit pas comme elle l’avait pensé. Il demeura énigmatique, et elle se demanda pourquoi.

« D’accord. » répondit-elle, quelque peu déstabilisée par sa requête. « Je vous écrirai tout ça. » Elle n’essaya même pas de résister. A quoi bon ? « Je pourrais venir avec vous ? »

La question était sortie seule, sans qu’elle même s’y attende. Cette perspective la ravivait. Revoir sa mère, et surtout, revoir Sam. Elle était persuadée que tout irait mieux si elle parvenait à le revoir, à l’entendre, et même à faire quelques petites choses pour lui. Elle n’osait espérer qu’il sache un jour qu’elle était encore là. Elle l’imita et se leva, se rendant alors compte qu’elle avait des bouts de verre plantés dans le bras. Alors qu’elle les retirait, elle écoutait Elkan. Auparavant, elle lui aurait sans doute opposé un refus guindé. Il faut dire qu’il lui suffisait de se téléporter jusque chez elle pour y rentrer sans encombre. Pourtant, cette fois-ci, elle se surprit à accepter, lui adressant même un sourire.

« D’accord. Je vous donnerai les informations que vous voulez en arrivant. »

Elle sortit du café avec lui et demeura silencieuse durant plusieurs minutes. Elle aurait dû éviter de trop réfléchir à ce qu’il venait de se passer, mais elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. C’était plus fort qu’elle. Alors qu’ils n’étaient plus très loin de chez elle, elle finit par se tourner vers lui, hésitante.

« Ce... c’était quoi déjà votre jeu ? » Elle ignorait ce à quoi elle devait s’attendre, mais elle savait en revanche qu’elle avait réellement besoin de se changer les idées.

Son audace et son courage le surpris. Haussant un sourcil, il détaillait la jeune femme avec minutie. Savait-elle combien cela serait difficile? Être si proche et pourtant si loin des gens qu'elle avait aimé. Être là sans être vu, sans être entendu. Un isolement tenace et douloureux. Elkan ne pouvait lui refuser cette requête mais il ne la tolérait pas pour autant... bien que d'un point de vue stratégique, la présence de Coraline pourrait être un avantage.  

- Bien entendu que vous pourrez venir, affirma le sorcier sans lui faire part de ses doutes. La fantôme était assez grande pour savoir ce qu'elle faisait. Et le cas échéant, elle aurait encore la possibilité de renoncer.

Toujours plongé dans le doute, il proposa à la brunette de l'accompagner. Les rues de New-York n'était pas fiable pour une jeune femme. A ceci près qu'elle était déjà morte. A ceci près qu'elle pouvait se téléporter. Des détails qui, sur le coup, il avait oublié. Trop inquiet de l'état de Coraline, sa proposition était venue tout naturellement. Néanmoins, sa question à peine formulée qu'il s'attendait à un refus. Un refus qui ne venait pas. Au contraire. Surprise et stupéfaction, elle avait accepté.

Sa main alla se poser sur le dos de la fantôme, le temps de quelques secondes, l'intimant en silence à passer devant. Contact rapide et éphémère. L'instant d'après, ses mains trouvèrent refuge dans les poches de sa veste en cuir. L'air nocturne lui fit du bien. Rafraîchissant et saisissant, cela lui remettait doucement les idées en place. Toujours plongé dans le silence, il réfléchissait au cas de Coraline, commençant déjà à spéculer sur les différents scénarios possible concernant sa mort, sa présence dans ce monde, sa condition. C'était finalement la voix mélodieuse de sa compagne du soir qui l'extirpa de ses réflexions.

- Mon jeu consistait qu'à une seule chose, Coraline.

S'arrêtant en plein milieu de la rue, il lui intima d'en faire de même en lui saisissant gentiment son bras. Coraline... elle était la plus belle des anomalies qu'il avait déjà vu. Forte et fragile à la fois. Elle le fascinait et le déroutait. S'approchant d'elle, il réduisait à néant l'espace qui les séparait. Ses claires prunelles scrutaient avec intensité ce regard émeraude. Un regard dans lequel il aimait se plonger et s'y fondre. Sa main, viril et possessive l'attrapa par la taille, l'attirant que d'avantage à lui. Son nez frôlait de très près celui de la fantôme. Une proximité qui faisait vibrer son palpitant contre sa cage thoracique. Sa main encore libre se glissa à l'arrière de sa nuque, caressant cette peau du bout de ses doigts. A quelques millimètres de ses lèvres, il ne lui suffisait que d'un geste pour sceller un baiser.

- Bonne nuit Coraline... murmura t-il allant déposer ses lèvres sur le front de la fantôme. Un baiser long et appuyé.

Pas ce soir-là. Pas en cet instant. Il ne voulait pas... Il ne pouvait pas profiter de la situation, de ce moment de faiblesse. Pas avec elle. La relâchant, il finit par se reculer... pour tout simplement partir.

Elle avait craint qu’il refuse, craint de devoir insister. Mais il accepta immédiatement, et elle ne chercha pas à dissimuler son enthousiasme. Au fond, elle sentait qu’elle sous estimait fortement la difficulté de ce qui l’attendait. Elle voulait les revoir. Sa mère, et Sam. Elle n’en avait pas eu la possibilité jusque là, tout simplement parce qu’elle ignorait où il vivait désormais. Elle comptait sur les talents de détective du sorcier pour le retrouver. Déjà elle se sentait bien mieux. Etait-elle encore amoureuse de lui, après tout ce temps ? Elle l’ignorait, mais il était le symbole d’un passé qui n’était plus, d’un avenir qui ne serait jamais. Quelque chose qui la rattachait directement à la vie qu’elle avait menée. Cela suffisait pour lui remettre du baume au coeur.

« Parfait ! Prévenez-moi lorsque vous prévoirez d’y allez. » lui répondit-elle avec un sourire.

De meilleure humeur malgré le fait qu’elle soit toujours ébranlée par ce qu’il s’était passé, elle en était distraitement venue à lui parler de son jeu. Elle s’en voulait également d’avoir été aussi désagréable, de ne pas avoir cru qu’il cherchait sincèrement à l’aider. La revenante ne savait nullement à quoi s’attendre, et certainement pas à ce qu’il se produisit. Elle sentit sa main se poser sur son bras et s’arrêta, puis leva les yeux vers lui, visiblement interloquée. Et il y eut ce regard. Un regard qu’elle fut bien incapable d’éviter, figée, comme hypnotisée. Depuis combien de temps nul ne l’avait regardée de cette manière ? Touchée de cette manière ? La raison eut voulu qu’elle s’éloigne, rompe le contact, et non se laisse ainsi attirée vers lui. Elle sentit sa respiration s’accélérer, et le coeur qu’elle n’avait plus tambouriner dans sa poitrine.

C’était incroyable. Une heure auparavant, il l’agaçait profondément. Et voilà qu’à présent, il était proche d’elle, dangereusement proche. Les limites intimes étaient pleinement dépassées et elle ne parvenait pas à détourner le regard. Il allait l’embrasser, n’est-ce pas ? Allait-elle le laisser faire ? Elle sentit qu’elle l’aurait pu, en cet instant. Elle ne savait pourquoi, mais elle se sentait irrésistiblement attirée vers lui tel un aimant. Ca, elle ne l’avait pas vu venir. L’espace de quelques secondes, elle en oublia qu’elle était morte et enterrée depuis de nombreux mois maintenant.

Il allait l’embrasser, n’est-ce pas ? Elle sentit son souffle se couper, au fur et à mesure qu’il s’approchait. Mais au dernier moment, il sembla changer d’avis et ses lèvres se posèrent sur son front. Elle ferma les yeux, tentant peu à peu de recouvrer un certain calme. Elle les rouvrit, le sentant se détacher d’elle.

« B... bonne nuit... » parvint-elle malgré tout à articuler.

Que s’était-il passé exactement ? Elle ne chercha pas à le retenir, et tenta de retrouver son état normal alors qu’il s’éloignait. Elle se sentit... bizarre. Terriblement bizarre. Et troublée surtout. Elle aurait été incapable d’analyser ce qui lui était passé par la tête. Rien, probablement. Elle n’avait absolument pas réussi à réfléchir, à agir rationnellement, comme si tout sa raison avait disparu, l’espace d’un instant. Le regardant une dernière fois, elle prit une profonde inspiration, avant de disparaître.

- THE END -