❝ You'll make us want to die ❞ YSALIENNA [-18]

C'était ce parfum. Cette délicatesse illusoire. Cette sensation étrange et grisante. On pouvait l'entrevoir, à travers son regard légèrement voilé. Comme une promesse funeste, un au revoir céleste, qui semblait croître au rythme de ses pas. Nonchalamment, elle jetait quelques coups d'œil éparses au dessus de son épaule. La lune y reflétait sa marque opaline, telle une caresse éternellement familière. Lentement, la vie s'éteignait. Elle laissait place à cette immobilité propre à l'obscurité, à cette absence éphémère, qui ne présageait rien de bon. Un sourire s'était figé sur ses lèvres taillées dans le marbre de la splendeur. Rictus ambigu, dont l'essence n'était autre que le souvenir de cette peau pâle et aimante. Délicieusement, elle fit glisser la pointe de ses doigts contre la courbe désireuse de ses seins, frémissant de ce contact vain. Un instant, elle cessa ce cheminement désenchanté. Puis, brûlant ses poumons hybrides à la quête de cet oxygène tant attendu, elle baissa la tête. Le sol grouillait des fantômes de sa nature. Comme autant de petits asticots gigotant en chœur dans le fourmillement de son existence. Alors elle inspira avec effort. Cherchant au creux d'elle-même l'humanité nécessaire pour ne pas se laisser aspirer par les effluves désillusionnés de son esprit engourdi. Une brise effleura négligemment sa chevelure de jais. Elle poursuivit ainsi sa route, non sans écouter les regrets abyssales de son âme.

Au loin, elle percevait l'amertume imposante de la réalité s'amoindrir face à l'immensité décharnée de la nuit. Elle ravala au creux d'elle-même l'émotion qu'elle sentait poindre. L'obscurité étendait ses griffes acérées. Telle une goutte d'encre que l'on aurait laissé mourir sur une feuille de papier blanc. La fin annonçait sa venue en une euphorie qu'elle ressentait jusqu'à la pointe de son épiderme. Un moment, elle savoura l'imminence de ce qu'elle devinait là, tapit dans l'incertitude permanente. « Ysaline. » Elle l'avait éprouvé comme une évidence sans lendemain. Un souffle sans précédent. Une énième fois depuis qu'elle s'était enlisée dans le gouffre accapareur des ombres, elle prononça son prénom. Douce prière, dont elle se délecta inlassablement.

« Vous m'attendiez, je crois. » Elle jeta ces quelques mots, comme l'on déverserait un flot d'encre sur une page vierge. Il n'y avait pas de complicité à travers eux. Peut-être une simple espérance qu'elle savait déjà vaine. Alors, elle fit quelques pas encore, espérant briser le reflet de leur existence défaillante. Mais l'imposant tombeau c'était implanté. Fier drapeau dont les teintes de noires et de rouges ondulaient en une danse spectrale. Sienna enchaîna derrière sa langue les banalités désinvoltes que l'on aurait pu déblatérer en pareille situation. Au lieu de cela, elle promena ses iris ombragées ici et ailleurs. S'imprégnant avec avidité des arômes doucereux qu'émanait la jeune femme. Elle aurait voulu contempler la profondeur de son âme, peut-être. Simplement l'effleurer tout au plus. Mais une austérité la clouait à sa propre volonté. Interdite alors, elle se laissa choir sur le sol. Résignée en somme, elle ferma ses paupières sur les lueurs que lui rendaient l'ivresse du ciel.

Pouvait-on se complaire en futilités, quand la tension parvenait à son comble? Lentement, elle découvrit un cœur aussi blanc que pouvait être la neige. « Allez-y. »

La brise balayait leur peau. Comme une caresse funeste, elle dansait dans leurs cheveux ondulés. C’était un souffle, une promesse que la nuit elle-même octroyait. Lentement, la respiration doucereuse de l’alizé souleva les vêtements. Petits cerfs-volants fébriles, qui laissaient dévoiler l’épiderme blanc frissonnant. Alors au loin, berceuse d’une étreinte prompte à venir, le ciel gronda. Ce fut des larmes enragées. Des larmes acérées. Et, dans une colère qui ne tint qu’à lui, l’éden déversa sa démence.

Allongée sur la pelouse mal défrichée, elle n’avait pas remué d’un millimètre. Ainsi, la chevelure éparse en une auréole démoniaque, elle ressemblait à l’une de ses icônes religieuses. Le corps éteint. Le visage reposé, presque serein, bien que résigné. Une larme de pluie dévala sa joue. Compassion illusoire, qu’elle aimait pourtant prendre comme telle. Un sourire étira ses lèvres. L’imminence lui semblait bien douce en cet instant. Elle pouvait la sentir. Cette petite réalité dévastatrice, qui luisait au creux des prunelles brûlantes de son amante chimérique. Alors, elle dévoila avec nonchalance l’insouciance de sa poitrine opaline. C’était l’offrande. La biche qui s’inclinait d’elle-même face à la gueule meurtrière du loup. Sa petite tête roula sur un côté, tandis qu’elle laissait ses doigts courir le long de son corsage. Elle y décelait sous leur bulbe le rythme irrégulier d’un organe devenu poussière d’encre. Petite danse lancinante, où le râle lointain d’une humanité passée semblait vibrer encore. Elle pressa au creux de sa paume ce sein qui ne voulait cesser cet appel désespéré. Comme si cela suffirait à étreindre les dernières cendres d’innocences…

« Embrassez-moi Ysaline. Puisque vos baisers n’éveillent pas d’un profond sommeil. Mais qu’ils l’appellent, bien au contraire… » Une lueur de crainte traversa son regard azur. Et enfin, elle comprit. La mort était si proche, qu’elle aurait pu l’effleurer du bout des ongles. C’était ce souffle. Cet élan saccadé sur ses épaules, contre ses reins. Cette bouche, toujours plus avide, toujours plus agressif, de sa chair, de son air. Alors, elle agrippa une poignée d’herbe. L’humidité de cette végétation devenue rebelle par les années négligées, fondait en une brûlure amère. Même l’eau ne savait résister à la combustion de ce corps hérétique. Inlassablement, elle répétait ce prénom. Son prénom. Peuple de ses rêves, de ses fantasmes les plus fous. C’était une litanie sans vergogne. Une prière déliquescente. Un hymne… Ysaline.

Elle rejeta ses bras en arrière. Signe de son abandon, qu’elle assumait sans rougir. Lentement, elle déploya ses membres, Christ de cette passion ; depuis le premier jour destructrice. Elle compta les secondes manquées, les minutes folâtres qu’elle sentait s’ébrouer de çà et là. Le temps accélérait sa cadence. C’était la fin. L’inévitable. C’était le sang. L’inconcevable. Puis le silence… Le silence.

Sienna releva ses prunelles vers ce visage délicat. Il semblait tout aussi perdu, tout aussi interrogateur qu’elle ne l’était. Les éléments s’enchainaient désormais telle une valse lente et décalée. C’était un arrêt. Un répit doux et religieux. « Et si le sommeil, c’était moi ? » Alors, elle glissa une poigne assurée autour de sa nuque, et dans un souffle hésitant, plaqua ses lèvres contre les siennes.

Dans une histoire où ‘Il était une fois…’ n’aurait jamais sa fin heureuse, elle se perdit malgré tout, dans ce baiser sans détour…