Aphrodisiac Sheep - Exekiel

" Je ferme les yeux : ça commence à monter, une montée délicieuse, inexorable, qui me hisse, toujours plus haut, vers nôtre château dans les airs. "

Je lève brièvement mon regard vers les deux corps gémissants qui s'activent sur le lit, continuant ma lecture. De mon fauteuil, ma voix s'élève, suave, comme une musique d'ambiance, rendant toute la sensualité des mots couchés sur le papier.

" Oooh oui ! ... il accélère. Je gémis bruyamment. Je ne suis plus que sensation... toute à lui, jouissant de chaque coup de rein, de chaque poussée qui me remplit. "

Et à l'effigie de Christian Grey, notre client augmente la cadence entrainant dans ses poussées les cris de notre Anastasia locale qui roucoule de bonheur. Légèrement agacée par leurs ébats, je tente d'élever la portée de ma voix au dessus de leur valse charnelle.

" Plus vite... Plus fort... et mon corps tout entier se meut à son rythme, mes jambes se raidissent, mon corps frémit... "

Je m'arrête, parce que notre Christian Grey vient de pousser un hurlement digne de Tarzan. Anastasia, elle aussi s'égosille feignant d'avoir atteint l'extase en même temps que le rondouillet sexagénaire qui se tient à genoux derrière elle. Je dépose le livre sur la table basse. Je ne le connaissais pas ce livre, 50 nuances de Grey. Il parait que lorsqu'il est sortit dans les années 2010, il aurait causé tout un émoi chez la gente féminine. Je me demande bien pourquoi d'ailleurs, ça n'a rien de bien extraordinaire... faut dire que l'auteure ignorait ce qu'était le sexe avec les vampires dans ce temps là. Mon sourire est latent, je regarde le client disparaître derrière la porte des toilettes, son engin gluant pendouillant déjà entre ses cuisses molles. Un léger frisson désagréable me traverse l'échine à sa simple contemplation et je intérieurement ma mère de m'avoir légué son timbre de voix radiophonique.

Anastasia, ou plutôt Susie de son vrai nom, vient s'assoir sur le bout du lit en s'allumant une clope. Elle pouffe la fumée vers moi en souriant, très à l'aise avec sa nudité, beaucoup plus que je ne l'aurais voulu.

" C'est de la merde ce livre, heureusement qu'il n'y a que trois tomes... "

Je lui rends son sourire, ramenant mes pieds sur l'assise du fauteuil. Une légère odeur de sexualité explicite me fait légèrement sourciller, je croise les bras contre mon babydoll noir.

" Ça pourrait être pire... Genre le marquis de Sade. " que je rétorque, moqueuse.
- Arrêtes ! Il ne tiendrait pas deux secondes au bout d'une laisse avant de faire une crise cardiaque. " on rigole, mais on se ravise lorsque la porte de la salle de bain s'ouvre.

Le faux Christian Grey apparaît dans le salon, vêtu de son habit veston-cravate. Il nous remercie de notre compagnie puis s'éclipse sans plus de cérémonies.

" Tu crois qu'il dira à sa femme qu'il avait un dossier chaud à régler au boulot ?
- Pas si chaud que ça ma belle, pas si chaud que ça ! "

On partage un autre rire. Susie est la seule fille avec laquelle je m'entends ici. Faut dire que la socialisation n'a jamais été ma marque de commerce, mais avec elle, ça semble tout naturel.

" Je ne sais pas si j'arriverai à me laisser aller avec des clients comme ça... je sais pas. Je ne suis pas...
- Quoi ? ... une pute ?
- C'est pas ce que je voulais dire.
- C'est comme ça que ça sonnait en tous cas...
- NON ! Je... j'ai pas ton aisance.
- Tu crois que j'aime me faire des bites molles ?
- Mais non Susie ! C'est pas c'que j'veux dire !
- Arrêtes de paniquer ma chérie, je te fais marcher. " qu'elle conclut en pouffant de rire.

Je soupire. C'est pas drôle. Elle roule sur le lit puis s'étire le bras jusqu'à la table de chevet. Je ne peux pas m'empêcher de lui regarder les fesses durant le processus, pas que je sois attirée par elle, mais c'est juste... qu'il y a que ça à regarder... elle revient vers moi et me tend un boîtier métallisé dans lequel dorment trois capsules translucides rouges gravé d'un a stylisé. J'hausse un sourcil.

" Qu'est-ce que c'est ?
- Une Aphro.
- Une aphro... " que je répète comme un perroquet un peu débile.

" Oui, une Aphro. Prends en une, c'est moi qui offre. Quand tu sentiras le besoin de te détendre un peu, tu la glisse sur ta langue et tu l'avales... elle s'occupera du reste. "

Ha, bon. Si ça peut m'aider à me détendre alors... je vois pas pourquoi je m'en passerais. Je tends la main pour prendre une capsule entre mes doigts que je contemple comme si il s'agissait du Saint Graal ou d'un très très petit joueur de banjo. Un tambour résonne à la porte, faisant faire le grand écart à mon coeur.  Je devine bien qui pourrait déverser autant d'énergie sur un morceau de bois comme si sa vie en dépendait...

" Seven !? Ma chérie, tu es là ? " roucoule Val', la pute en chef, comme j'aime la surnommer.  

Je serre la capsule d'Aphro dans ma main et j'entrouvre la porte en essayant d'afficher un sourire intéressé à ma patronne.

" Seven, ma chérie, maintenant que ta séance avec M. Grey est terminée, j'aimerais que tu te mettes en route pour un rendez-vous un peu spécial.
- Comment ça " spécial " ? "

C'est pas bon ça, vraiment pas bon...

" Oui... Un nouveau client nous a demandé un peu de compagnie et c'est toi qui est toute désignée pour la lui procurer.
- Okay... et... qu'est-ce que ça a de spécial ?
- Tu pars pour le Bronx !
- ... Ke-wa ? "

C'est une plaisanterie ou quoi ? On se paye la gueule de la belle Ryan, c'est ça ? Je la dévisage avec mes grands yeux de merlan frit et elle me répond d'un sourire colgate impressionnant. Sérieux ? Elle est sérieuse là ? Une visite à domicile ? DANS LE BRONX !? Nah, c'est pas possible, elle a trop d'air dans les seins et pas assez dans le cerveau ! Qu'est-ce qu'il lui prend d'accepter d'envoyer une de ses filles chez un nouveau client dans le Bronx !? J'ai combien de chance de revenir de là en un seul morceau ! Peut-être qu'ils repoussent mes morceaux, mais ça fait vachement mal !!!

" Je croyais qu'on évitait de faire de la visite à domicile...
- Allez, prépares-toi. Mets quelque chose de... pas trop chic et tout devrait bien se passer. Bisou ma chérie, amuses-toi bien. "

Et... ELLE PART ! Comme ça. Habilles-toi pas trop chic sinon tu risques de te faire agresser et puis amuses-toi !? Elle est débile, c'est clair. Elle a carrément une dent contre moi. C'est l'initiation des nouvelles, c'est ça ? C'est une initiation ? Je vais aller me faire mutiler dans le Bronx et si il reste quelque chose après ça, je reçois le tong d'or de la performance sexuelle ? Je suis tellement furieuse et paniquée que je ne sais plus quoi faire... je jète un coup d'oeil à Susie par dessus mon épaule. Je peux l'entendre déglutir d'ici.

La voiture s'arrête devant une usine désaffectée. Je crois que je n'ai pas inspiré de tout le trajet. Je tourne mon regard vers le chauffeur de la voiture qui semble mal à l'aise de mon inconfort. J'aurais bien un peu de sympathie pour lui si il consentait à aller à ce rendez-vous à ma place. Mais c'est pas le cas, alors qu'il aille chier.

" C'est ici !?
- Oui, c'est bien l'adresse indiquée. Voici votre téléphone avec la touche rapide si jamais quelque chose devait mal tourner. Je ne serai pas loin. Je viendrai vous chercher à 3 h, tel que convenu.
- C'est toi qui va venir me chercher si ça tourne mal ?
- ... Euh... oui... enfin... je. Oui, bien sûr. "

Gééénial. Avec ses 100 livres tout mouillé, il me sera sans doute d'un grand secours si mon client s'avère être UN TOTAL PSYCHOPATHE. Je soupire lourdement, en prenant le téléphone que je fourre dans mon sac à main. Je claque la porte en sortant de la voiture, faisant quelque pas vers ce qui semble être la porte d'entrée principale derrière la grille toute rouillée. L'endroit est si glauque que j'en ai la chaire de poule. Il me laisse déjà, ce trouillard de chauffeur de mes deux. Je le regarde s'éloigner immobile, cherchant le peu de courage qu'il me reste pour franchir cette grille. Ah ! Je l'ai trouvé... il est là, dans le creux de ma main et je fais le fait rouler... la petite capsule d'Aphro que Susie m'a donné un peu plus tôt. D'un mouvement sec, je balance le comprimé dans le fond de mon gosier et le laisse descendre le long de mon oesophage. De la détente, il m'en faut... et si j'avais une bouteille pleine d'Aphro, je l'avalerais au complet !

La porte grince sinistrement lorsque je l'ouvre. Il n'y a pas beaucoup de lumière dans cette usine, et ce qui m'accueille, ce sont des boîtes empilées ainsi qu'une bonne quantité de poussière. Peut-être une usine qui se spécialise dans la fabrication poussière ? Haha... de l'humour pour se détendre... J'avance, mes talons claquent sur le béton, résonnant sur toutes les pièces métalliques, amplifiant les battements anarchiques de mon coeur. Mes bottes, qui me remontent jusqu'à la mi-mollet, avec juste assez de talon pour flanquer un coup mortelle dans un testicule rebelle. Je tire un côté de ma jupe qui s'est un peu trop relevé, la ramenant à la mi-cuisse puis je me passe la main dans les cheveux avant de tenter un...

" Bonsoir, il y a quelqu'un ? "

Bravo, je croyais que ma nervosité ferait tressauter mes mots, mais on aurait vraiment cru que j'étais heureuse d'être là. Dans mon estomac, une douce chaleur s'embrase. Je peux ressentir cette sensation qui sillonne dans mon corps, doucement. Mes mouvements deviennent de plus en plus fluides et mon stress diminue. Je réalise que l'Aphro que je viens d'avaler commence déjà à faire son effet. Si ce n'est pas du à une fuite de gaz hilarant que j'inhale sans m'en rendre compte, bien sûr. Un manteau couvre le haut de mon corps et j'ai chaud... terriblement chaud. J'expire en gonflant les joues, bon sang, ce qui peut faire chaud ici tout à coup...

" Vous désiriez un peu de compagnie ? Me voilà, je m'appelle Seven. " que je drague le vide.

Je ricane, gamine, taquine. Mais qu'est-ce qui me prend ? J'ai envie de jouer à cache-cache. Je me sens toute chose. Je m'amuse. Alors que je crevais de trouille il y a à peine deux secondes.

Allez, viens par là... j'ai envie d'un peu de compagnie moi aussi...