Gordon & Coraline + Back from the dead (flashback)

La nuit était, pour les humains, le lieu de tous les dangers. Il l’avait été pour elle également. N’avait-elle pas déjà été attaquée alors qu’elle était encore en vie ? Mais c’était là les risques du métier lorsqu’on est infirmière et qu’on se trouve parfois contrainte à travailler de nuit. Mais les choses avaient changé : aujourd’hui, elle n’était plus humaine, plus vraiment. Aujourd’hui, elle était morte, disparue, enterrée et séparée des siens, de tous ceux qu’elle avait aimés. Car ils étaient peu nombreux, ceux avec lesquels elle avait encore le pouvoir de communiquer, et surtout, comment auraient-ils réagi en constatant qu’en réalité, elle était toujours bel et bien vivante ? Peut-être valait-il mieux ne pas le savoir. En tous les cas, elle jouissait d’une liberté qu’elle venait à peine de retrouver. Quelques temps auparavant, elle n’était encore qu’un spectre, incapable de toujours quoi que ce soit, de se faire entendre par qui que ce soit, condamnée à vivre dans une épouvantable solitude tout en contemplant d’autres êtres vivre leur vie et interagir entre eux. Ne pas exister, tout en en étant parfaitement consciente. L’horreur absolue, une torture et un véritable cauchemar dont elle était enfin éveillée. A présent, si ses interactions demeuraient limitées, elle avait tout de même la possibilité de vivre pleinement, d’évoluer au milieu d’autres personnes, de leur parler, d’être vivante aux yeux de certains à défaut de l’être vraiment. On lui parlait, on la bousculait, et rien n’aurait pu la rendre plus heureuse. La peur était toujours là, mais à côté de ce qu’elle éprouvait depuis le sortilège qui lui avait été lancé, ce n’était qu’un maigre inconvénient. C’était comme si de nouveau le monde s’ouvrait à elle. Comme si une deuxième chance lui était offerte.

Seulement les choses étaient loin d’être si simples. Elle se rendait compte qu’elle ne pouvait plus vivre comme avant, plus recommencer les choses comme elles l’avaient été autrefois. Tout avait changé, elle avait changé. La mort était intervenue, stoppant son existence, une existence qu’elle ne parvenait plus à retrouver, pour la simple raison que celle-ci n’existait plus. Elle n’était plus humaine, mais pas vraiment morte. Son esprit, son âme étaient ici pour une raison qu’elle ne parvenait pas à comprendre, que personne ne semblait apte à lui donner. Combien de temps cette situation allait-elle durer ? Durant combien de temps errerait-elle ainsi, sans savoir ce qui adviendrait d’elle ? Elle avait un emploi, des amis. Elle était supposée se marier, peut-être avoir des enfants par la suite. Elle avait encore du mal à réaliser que rien de tout cela ne se produirait jamais. Alors, puisque de toute façon elle ne pouvait pas dormir et voulait à tout prix éviter de penser, elle passait le plus clair de ses nuits à marcher, errer au hasard, sans vraiment se soucier de là où ses pas la mèneraient.

Elle était là, dans le parc désert, une part d’elle ayant fortement envie de disparaître ailleurs. Ce lieu ne lui inspirait pas confiance et malgré le fait qu’il ne puisse rien lui arriver physiquement, elle ne pouvait s’empêcher de craindre une mauvaise rencontre. Et pourtant, quelque chose en elle la poussait à continuer, à voir jusqu’où elle était capable d’aller sans qu’il ne lui arrive rien. La solitude était d’autant plus écrasante : personne ne s’inquiétait vraiment pour elle, personne ne l’attendait quelque part. Sa place était dans une tombe gravée à son nom, six pieds sous terre. Elle marchait sans but, sans savoir ce qui l’attendait au bout du chemin qu’elle empruntait. Sans savoir que, dans l’obscurité, une créature guettait.
Ce ne fut que quelques pas plus loin qu’elle entendit un bruissement, puis un craquement. Elle se retourna vivement, ayant soudain l’impression de sentir son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine. Ce qui était absurde, puisqu’elle n’en avait très probablement plus. Absurde tout comme la panique qui l’envahissait, alors même qu’elle ne pouvait ni être blessée, ni mourir. Tremblante, elle s’avança, lentement, pas après pas, espérant qu’il ne s’agissait que d’un petit animal dans les fourrés.

Un animal oui, mais pas ce à quoi elle s’attendait. Elle n’eut pas le temps de réagir et se retrouva face à un énorme loup. Elle n’avait pas de besoin d’être une experte pour comprendre de quel genre de créature il s’agissait. Il était là, la regardait. Elle s’attendait à ce qu’il se jette sur elle d’un instant à l’autre et tente de la dévorer. Même si elle ne pouvait pas mourir, elle aurait été prête à parier que l’expérience n’aurait rien d’agréable, loin de là. Elle recula lentement, ne songeant même pas qu’elle aurait pu se trouver loin d’ici en une pensée. Elle recula encore à l’aveugle, ne lâchant pas la bête du regard. Mais elle finit par trébucher et, surprise, tomba en arrière sur le sol, paniquée.