"I Think We've Already Met, Somehow" [Ariana & Heathcliff]

Heathcliff & Ariana

"I Think We've Already Met, Somehow"

Errant dans les ruelles, ce n'était que désolation qu'il pouvait croiser sur son chemin. Autrefois, le monde des humains était plein d'une beauté figée bien qu'en constant mouvement. Le paradoxe qu'offrait l'humanité plaisait à Heathcliff qui aimait la fragilité de cette race mortelle qu'il avait longuement côtoyé à travers son existence. Il se dirigeait vers l'un des lieux dans lequel il pouvait s'égarer à contempler les vestiges d'un art déchu, maintenu en vie comme la flammèche hésitant d'une bougie en pleine bise par la paume recroquevillée de quelques fanatiques dont il louait la bravoure. Les Originaux avaient eu à coeur de briser le culte des humains pour leurs arts en détruisant les oeuvres maîtresses à leur portée. Ce qui fut autrefois le plus beau et vaste musée de la ville étaient à présent une galerie d'horreur que les vampires s'amusaient à contempler dans le cynisme et la vanité de leur condition.

Heathcliff ne déniait pas qu'il était pour le moins excitant de déambuler dans les couloirs sombres du Museum of Modern Art, mais il vouait à l'art humain une adoration sans limite. C'est pourquoi à la nuit tombée, alors que le soleil dissimulait ses rayons corrosifs derrière le manteau d'obscurité du crépuscule, il se dirigeait vers le musée clandestin au coeur de Brooklyn. Ce quartier, il le connaissait très bien, car malgré sa condition d'Originel, il le fréquentait depuis longtemps en y puisant à la fois ses victimes mais aussi les ressources humaines de l'esthétisme absolu. Il aurait pu se déplacer les yeux clos dans les allées aux plafonds bas, peu éclairées, du vieux musée qui croupissait dans les souterrains d'une ancienne propriété de contrebandiers à l'époque de la prohibition. Parmi les oeuvres romantiques, impressionnistes, naturalistes exposées là, quelques mortels se promenaient, admirant les traits parfaits et délicats du peintre sur les toiles tendues, suspendus à de maigres crochets, loin des dorures chatoyantes des cadres d'antan.

Parfois, Heathcliff était nostalgique de certaines époques du monde des hommes. Car il était sans doute l'un des rares immortels à avoir contempler aussi longuement l'évolution de cette race fascinante. Aujourd'hui plus que jamais, il regrettait le XIXème siècle, où la littérature explosa d'un essor nouveau et libéré, cette forme d'art autrefois si codifié abandonnant les normes au profit des intuitions d'auteurs de génies. Ce qu'il avait aimé cette époque ! Si elle avait pu durer toujours et ne pas laisser sa place à la révolution industrielle et scientifique, aux guerres qui mirent l'Europe à genoux. Mais rien ne servait de ressasser le passé, s'il se montrait aussi prudent qu'il l'avait toujours été, il vivrait bien d'autres ères de cette humanité ...

Perdu dans ses pensées, il s'arrêta de marcher pour admirer sans un mot une toile magnifique. Il s'agissait d'une réplique du Pandémonium de John Martin qui était normalement exposée à Londres. Il soupira à nouveau en pensant à cette ville fantastique dans laquelle il avait vécu au moins trois cent ans et qu'il ne reverrait pas pendant un long moment si la situation actuelle se poursuivait avec les Originaux en Amérique. Il le prenait comme un devoir personnel, étant donné qu'il était le seul à pouvoir faire barrière le cas échéant si les évènements s'envenimaient. Quoiqu'il en soit, il ne réalisa que de longues minutes après qu'une jeune femme se tenait à ses côtés, admirant elle aussi la toile. Au début, il n'accorda pas un regard à la tignasse blonde qui dépassait de la silhouette fine près de lui. Puis l'odeur de sa peau et de sa chevelure dorée parvint à ses narines. Ses sens sur-développés s'emballèrent car cet arôme lui était familier.

Lentement, il tourna la tête et baissa ses yeux toujours dissimulés par ses lunettes fumées, vers le visage de la jeune femme. Ses traits lui rappelait indubitablement et fermant un instant les paupières, il fut pris aux entrailles par les flash d'un souvenir plutôt récent. Ses reins s'enflammèrent alors qu'il sentit une grosseur poindre entre ses cuisses. Quelques mois auparavant, des années peut être -il avait une perception très erronée du temps qui passait- il avait connu une jeune femme, droguée jusqu'à l'os, qui cherchait le frisson partout où l'adrénaline se distribuait par décharge dans ses veines. Il avait flirté avec elle le temps suffisant pour attiser son désir et faire grimper en elle le besoin inébranlable de succomber à la tentation. La dernière nuit qu'il passa avec Keira -car c'était là son nom- fut inoubliable. Il se plut à lui donner du plaisir jusqu'à ce qu'elle l'implore à corps et à cris de l'achever. Métaphoriquement bien sur, mais Heathcliff avait exaucé sa volonté au sens propre.

Elle avait un visage magnifique dans la mort et son sang avait un goût succulent. Et la jeune femme qui se tenait à ses côtés dans le musée lui ressemblait comme une soeur jumelle. Un rictus intrigué fendit son visage alors qu'il se décidait à l'aborder. C'était une humaine, à n'en pas douter, son pouvoir fonctionnerait donc à merveille sur celle sans qu'il n'est rien à faire. Sa voix rauque sortit en un filet presque érotique s'échappant de ses lèvres dans un murmure rauque :

"Excusez moi mademoiselle, mais votre visage m'est familier. Ne nous serions-nous pas déjà rencontré, dans une autre vie peut être ?"

Il éclata d'un rire cristallin sur sa plaisanterie dont lui seule pouvait comprendre l'entière ironie.

Spoiler:

Heathcliff & Ariana

- I Think We've Already Met, Somehow -

Le Pandémonium. Une peinture s'inspirant d'une oeuvre anglaise anciennement célèbre. Une vision de l'enfer vu par un homme. Un fou ou bien un visionnaire? Après une longue méditation face à ce tableau, je pencherais pour un visionnaire. Ne sommes-nous pas plongé dans un chaos le plus total? La lave représenterait alors le sang de l'innocent et Satan à lui seul représenterait les hauts dirigeant de la ville. Des pensées bien pessimistes qui, pourtant, apportent son lot d'espoir. Il ne peut y avoir d'enfer sans paradis. Il ne peut y avoir de mal sans le bien. Je crois. J'espère en avenir meilleur. Je crois. J'espère qu'un ailleurs se trouve à quelque part. Je crois. J'espère que ma soeur repose en paix, loin de tout ça. Loin de ce monde en ruine. Même si cela signifie qu'elle est loin de moi. Mais un jour, je la retrouverais. Je le sais. Il le faut. Dans ce monde ou dans un autre.

Mes yeux ne peuvent se détacher de ce tableau. A la fois fascinant et dérangeant. A la fois invraisemblable et si vrai. Pourtant un élément nouveau m'oblige à me détourner. Une voix. Comme il est étrange de constater à quel point l'on peut se déconnecter de tout, lorsque l'on se retrouve plongée dans nos pensées. Je ne l'avais ni vu, ni entendu arrivée jusqu'à ce qu'il s'adresse à moi. Réprimant un sursaut, je me tourne alors en provenance de mon interlocuteur, un faible sourire aux lèvres. Comme méthode de drague, je dois bien avouer que j'avais connu mieux. Mais j'admirais l'effort.

- Je ne pense pas. Tout du moins, pas dans une autre vie, que je précise, élargissant que d'avantages mon sourire. Malgré son allure atypique, il ne semblait pas bien dangereux. En tout cas, son rire était communicatif. L'on s'est peut-être rencontrés à l'hôpital. J'y travail souvent de nuit. Bien qu'au final je me doute très bien que l'on ne se soit jamais rencontré nul part. Mais je suis blonde. Je suis potiche. Je vais donc faire comme si j'étais assez idiote pour tomber dans le panneau. Je suis infirmière, je m'occupe des malades. Oups. Je n'aurais pas du utiliser une voix aussi sexy. J'ai l'air d'une infirmière cochonne. Double oups. Je n'aurais pas du dire que je suis infirmière. Je sais juste poser des pansements Winnie et donner des sucettes. Change de sujets. Vite avant qu'il pose trop de questions et que tu te fasse avoir dans ton propre mensonge. Petit raclement de gorge. Hum sinon, belle oeuvre, n'est-ce pas? La réplique est aussi fascinante que l'originale. Ils ont même reproduit le cadre à l'authentique. Finalement, tais-toi Ariana l'arriérée. Tu parle trop. Tout le monde s'en fiche du cadre.

Heathcliff & Ariana

"I Think We've Already Met, Somehow"

Heathcliff fut assez amusé de la réplique de la blonde qui sortit violemment du monde doucereux de ses pensées pour répondre à son interjection. Peu de chance en effet, mais si elle n'avait été autre qu'une humaine, rien n'aurait différé dans sa réaction. Mais l'intuition qu'il connaissait déjà cette femme s'incrustait en lui avec hargne. Les traits de son visage, l'expression de ses orbes noisettes, la courbure de son dos, la façon dont elle bougeait ses mains. Il était évident que l'esthète l'avait déjà croisé, quelque part. Il laissa échapper un rictus jovial en s'approchant d'un pas. Discrètement, il huma le parfum qui émanait de ses cheveux, en reconnaissant la fragrance bien qu'elle diffère légèrement de son souvenir. Avec dédain, il lui répondit :

"Je ne pense pas être un adepte des hôpitaux, il me semble improbable que nous nous soyons croiser dans un tel lieu. En revanche, vous devez avoir une jumelle ou une sosie dans New York car je vous assure que votre visage ne m'est pas inconnu ! Gare à l'usurpation d'identité."

Ce n'était pas très drôle mais son phrasé archaïque devait finalement être un peu ridicule car il perçut de l'amusement dans le regard de son interlocutrice qui évoquait à présent la toile devant eux. Effectivement, elle avait raison. Ce tableau était absolument fantastique, et l'exactitude de sa représentation n'avait d'égale que l'image dantesque qu'Heathcliff se faisait de l'Enfer. Après tout, lui qui était censé être damné, si l'on se fiait aux religions chrétienne, musulmane et juive, et jamais il n'avait eu le plaisir de croiser pareil architecture pendant ses quatre millénaires passés à arpenter la terre.

Il passa sa langue sur ses dents, cherchant mentalement le souvenir précis de cette jeune femme qu'il avait rencontré par le passé, faisant le tri dans la multitude de flash qui squattaient sa mémoire. Parfois, il rêvait de rajouter dans son crâne, des barrettes de mémoire vive, comme sur un ordinateur d'une puissance particulièrement redoutable. Les yeux mi-clos, il parvint enfin à récupérer une bribe de souvenir. Mais c'était nébuleux et extrêmement flou. Seul un prénom s'imposait à son esprit avec une évidence difficilement explicitable. Il ne désirait pas importuner la jeune femme à ses côtés qui admirait encore le tableau, mais il devait en avoir le coeur net.

"Excusez-moi de vous interrompre dans votre contemplation à nouveau, mais est-ce que par hasard, vous ne vous nommeriez point Keira ?"

Ne sachant absolument pas pourquoi ni comment ce souvenir d'un prénom murmuré avec ferveur lui revenait en mémoire, Heathcliff se tourna alors vers la blonde. Aucun doute, il ne se dupait pas, il la connaissait ! Seulement, sans plus de détails, il était difficile pour lui d'approfondir son intuition. Si elle pouvait se prénommer Keira, peut être l'esthète trouverait-il là une piste ?

Heathcliff & Ariana

- I Think We've Already Met, Somehow -

Certains mots déclenchent en vous des émotions. Le rire. La joie. Parfois la colère. Et d'autres, la tristesse. Plus encore. Un profond sentiment de solitude, de nostalgie. Un mot. Un seul. Et le monde menace de s'ouvrir sous vos pieds pour vous engloutir entièrement. Le pouvoir des mots n'est que trop souvent sous-estimer. Le pouvoir des mots peut vous ébranler jusqu'à la moelle. Et malgré tout, il faut garder le sourire. Et malgré tout, il faut tenir bon et aller de l'avant. Car au final, qu'importe. Dans un monde tel que le notre, les plus faibles se font mangé. Dans un monde tel que le notre, les moindres fêlures sont à combler et à masquer. Alors comme bien souvent, je garde cette apparences enjouées et je tente de garder cette lueur pétillante au fond de mes yeux. Un rire nerveux sortis du tréfonds de ma gorge alors que je tente de refouler l'image de ma soeur Keira.

Après un bref échange qui me sembla désastreux, je retourne à ma contemplation. Tout du moins, j'essaie. Mais immanquablement, je ne cesse de repenser à Keira. La culpabilité m'étreint aussitôt. Comment en est-elle arrivée là? Et surtout, comment ai-je fait pour ne rien voir, rien remarquer? Comment ai-je fait pour ne pas être là? Si je n'étais pas partie... Si je ne l'avais pas abandonné... alors elle serait encore là. Elle serait probablement avec moi, à soupirer devant cette toile pour que je comprenne qu'elle voulait partir. Oui. Si j'avais été là pour elle, les choses auraient été tellement différentes.

Puis de nouveau, l'inconnu s'adressa à moi. Bien obligée de sortir de mes pensées, je secoue légèrement la tête. Vous savez, comme si ce simple geste suffit à expédier toutes les choses qui vous occupe l'esprit. Bien qu'au final, il n'en est rien.

- Pardon? demandais-je, ma voix s'étranglant au tréfonds de ma gorge. Sa question, en plus de me prendre au dépourvu, me plongea dans une eau glacée. Je peux sentir mon corps trembler et mon coeur se figer, pour mieux repartir de plus belle. J'ai très bien compris sa question. Tout comme il n'y avait rien d'étonnant à ce que l'on me confonde avec elle. Mais c'était perpétuellement comme un coup de poignard que l'on plantait au plus profond de ma chair. Cela me rappeler avec plus de force qu'elle n'était plus là. Je suis son reflet... Je n'était que son reflet.

- Non... Je m'appelle Ariana... Mais.... Ma soeur se nomme Keira.

La vérité? Ma soeur se nommait Keira. Mais aujourd'hui... elle n'était plus qu'un souvenir. Elle n'était plus qu'un cadavre enfermé dans une boîte, six pieds sous terre. Pensées douloureuses que voici. Sourcils froncés, une question me brûle alors les lèvres. Cela ne ramènera en rien ma soeur. Cela ne changera probablement rien. Mais j'ai besoin de savoir. J'ai besoin de reconstituer les éléments qui ont composé sa vie ces dernières années. Pour comprendre. Comprendre ce qui l'avait poussé à mettre fin à ces jours.

- D'où connaissez-vous ma soeur? Vous étiez proche?

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