LA MOISSON DES ÂMES ▲ the reaping (sujet de groupe)

The Reaping

Le premier week-end du mois. Quand elle était revenue à New-York, Samantha avait été étonnée de la chose. Elle ne se souvenait plus que ça avait lieu. Après tout, elle avait passé de longues années en Angleterre où la vie était un peu plus paisible. C’était le genre de choses que l’esprit d’un enfant effaçait de sa mémoire avec le temps. La Moisson. Son nom sur un morceau de papier, susceptible d’être tiré au sort. Jusqu’ici, elle y avait échappé. Encore heureux d’ailleurs, sinon elle aurait eu du mal à cacher sa nature de sorcière. D’ailleurs, peut-être qu’elle n’y était pas si bien parvenue que ça… Après tout, les vampires avaient envoyé un lycan pour la tuer… Et elle avait rencontré Liam. Monsieur le PDG… Lui aussi était sorcier, bien que n’évoluant pas dans les mêmes sphères… Et si les vampires faisaient le lien ou quelque chose du même acabit ? Elle ne savait même pas si la nature de Liam était « publique » ou non. C’était en ronchonnant, ce matin-là, qu’elle était sortie du lit. Il semblait que Joe ait déjà quitté l’appartement. Une fois de plus, elle était reconnaissante envers la mutante de lui avoir appris à se battre à mains nues. Ça retarderait la découverte de ses pouvoirs à l’assemblée qui guettait sa mort… si elle était tirée au sort. Alors qu’elle s’habillait rapidement, le creux de son ventre la titillait atrocement. Comme si elle allait entrer dans sa mauvaise semaine du mois… mais ce n’était pas ça. Ce n’était pas la bonne date. Non. C’était son instinct, cette magie parasite en elle qui remuait, qui enflait. Elle devait sentir son inquiétude, son anxiété et y réagir. Elle n’avait jamais eu de don de préscience. Elle ne pouvait donc pas avoir un quelconque avant goût du résultat du tirage. Elle enfila sa veste en faux cuir et glissa une main sur sa nuque pour en sortir ses mèches blondes. Il était temps de retrouver les autres sur la place. Bien vite, elle retrouva Joe et se positionna à ses côtés, comme une ombre. — Tu es bien matinale aujourd’hui. — Un peu plus loin, elle remarqua le loup qui avait débarqué en même temps qu’une Joe amnésique, seulement quelques jours plus tôt. Ça lui semblait des siècles.

la moisson des âmes
❝ KEEP YOUR EYES OPEN ❞

L'air était lourd, comme si l'atmosphère elle-même pouvait sentir toute la tension qui se créait en chaque esprit des habitants du Bronx. C'était un événement qu'on connaissait, un événement qu'on appréhendait, mais qu'on souhaitait oublier également. Aussi traumatisant soient-ils, les jeux demeuraient toujours un vague - mais horrible - souvenir dans ma tête, comme si je tentais de me détacher de cette barbarie une fois qu'ils étaient terminés. C'était devenu un automatisme, je connaissais le processus et tout ce qu'il engendrait. De mon air fantomatique par un manque de sommeil flagrant, je me trouvais parmi cette foule d'êtres tout aussi différent des uns des autres, magiques ou non, surnaturel ou mortel. Tous étaient à risque de voir leur vie être mis en péril. J'ai toujours craint - comme tous ceux qui m'entouraient - d'entendre mon nom être prononcé et devoir me battre pour survivre. Je n'ai jamais cru avoir de chance de remporter un tel combat... Pas avec mes réticences face à ma nature. Mon arrêt de mort allait être signé au moment où mon destin serait scellé dans cette arène. Toutefois, j'avais une appréhension nouvelle. Je sentais une tension au creux de mon estomac noué, je craignais quelque chose qui ne me concernait pas. Cette crainte m'avait tenu éveillé la nuit entière, sans comprendre sa cause et sa signification. Mais une fois dans cette foule, lorsque j'aperçus cette jeune femme brune aux airs exotiques s'accrochés désespérément à l'homme à ses côtés, je sentis ma gorge se serrer. Il me fallut un moment de contemplation et de douleur nerveuse pour me rendre compte que cette peur n'était pas le fruit de mon inquiétude face à ma candidature. Mais plutôt celle d'une autre. Je voyais son visage devant mes yeux alors qu'il n'y était pas; j'entendais son nom être prononcé par Gustave Fairley alors que seul le brouhaha anxieux de la foule se faisait entendre. Et puis, l'image d'un autre homme me vint en tête et je perdis tout mon calme. Quelque chose avait changé en moi. Je m'inquiétais pour d'autres, je m'oubliais pour la vie de personnes qui m'étaient maintenant chères.

Je déglutis difficilement. Je déviai le regard du duo, tentant d'oublier ces visages qui m'étaient apparus. Les bras durement serrés, je m'impatientais. J'appréhendais.

Je n'étais pas à ma première moisson. Malheureusement.
D'ailleurs la vitesse à laquelle tu finis par t'accoutumer à ce non-sens est tout simplement absurde. Réalité insidieuse et angoissante. Parce que la première fois, tu as beau t'époumoner à hurler cette aberration, les gens te dévisage comme si, dans ce portrait de tourmente et de sang, tu était la dissonance. Comme si la fausse note, elle se trouvait là, nicher au creux de ton cœur rythmant l'injustice. Lentement tes convictions s'effritent. Tes gardes tombent. Et tu te ramasse là. À tirer du collet cette vieille dame qui n'arrive pas à se plier au planning si bien échafaudé par les Originaux tant le temps l'a encastré dans une réalité engourdit par les années qui la ravagent. La tête est au travail, vaillant petit toutou de ses Maîtres, mais le cœur est ailleurs. Bien ailleurs. Il sonde cette foule à la recherche de cette frêle silhouette. Ce mois-ci, plus que jamais, la moisson me broie les entrailles d'une angoisse cinglante. Je viens à peine de la retrouver et ne peux tout simplement pas me faire à l'idée de la perdre de nouveau. Alors mon cœur la cherche. Mais la tête ne veut pas la trouver. Elle ne veut pas la trouver, de peur de donner un sens bien trop réelle à cette abysse intangible.

Novalee. J'ai promis à ton père de te protéger au prix de ma vie et j'ai déjà grandement failli à la tâche. Je t'en prie, ne m'oblige pas à faire l'irréparable. Je t'en prie, Novalee. je t'en voudrais pour l'éternité d'être un de ces quatre noms.

Mes yeux fiévreux scrute la foule à sa recherche. Un mouvement brusque interpelle mon attention. Se modelant à la perfection à sa gorge, ma poigne de fer s'encastre autour du cou rachitique d'un contestataire qui tentait de fuir son triste de sort.

Éliminer toute résistance.

Les ordres, avaient été très clairs. Et les ordres seraient appliqués.
Vaillant petit toutou.
 

Mon coeur s'était figé dans ma poitrine. Novalee était sauve. Du moins, elle l'était jusqu'au mois prochain où ce stress inutile viendrait me tirailler de nouveau les entrailles. Rédemption éphémère qui finirait par se diluer contre la fine ficelle du temps. Ficelle qui s'effritait de seconde en seconde et qui risquait de céder à tout moment maintenant. Moulant mon réconfort de la savoir hors de danger à mon indifférence d'en savoir quatre autres plus malheureux qu'elle, mon égocentrisme, lui, me perforait le cœur de sa pointe acérer et incorruptible. Marqué au fer blanc, modelé aux exigences que l'on m'avait inculqué, dressé à obéir et à répondre de leur pensé, je n'étais plus qu'une loque vide télécommandé qui s'était fondu à ce sombre décors dans une aisance et facilité quasi-déconcertantes. Comédien de cette sinistre pièce dont on rédige les actes à feu et à sang.  

J'avais finis par desserrer ma poigne qui s'était encastré contre le cou de la résistance désormais calmé par le dévoilement des participants de la Moisson. Du coin de l'œil, j'aperçu se dessiner à même la foule ce halo abyssale de distance autour d'une jolie blonde aux poings serrées. Aucun doute à avoir, nous avions décidemment sous les yeux Samantha F. R. Hadler; pauvre miséreuse d'une pige au hasard, martyre d'une société ayant perdu la raison.

Les ordres étaient claires.
Aussitôt, je me mis en marche, bravant contre courant la foule encore agité par l'émoi de l'annonce. Il ne me fallu que peu de temps pour atteindre la jeune femme. Ma paume brûlante agrippa instinctivement son bras, resserrant ma prise  contre la fine ligne de son biceps. Elle était en forme, certes, savait clairement comment se défendre, mais ce qui l'attendait relevait de bien plus que la simple défense…

- Samantha F. R. Hadler, c'est bien ça?  

Il aurait voulu qu'elle lui nie tout. Qu'il puisse la laisser repartir comme elle était arrivée. Et qu'ils oublient tous cette absurde et ravageuse Moisson Des Âmes.
Il aurait préféré ne jamais l'avoir aperçu parmi la foule.
Mais le mal était fait.
Sa poigne arbitraire ne flancherait pas et pourtant ses iris incendié par la honte lui hurlait ses plus funèbres excuses…
 

The Reaping

Finalement, l’attente est révolue. L’autre affreux pioche les quatre morceaux de papier qui scelleront le destin de ceux qui y verront leur nom figurer. Il met une lenteur délibérée à déplier chacun des fragments. Samantha sent son cœur se déchirer à chaque mouvement. Mais il se brise complètement alors qu’il énonce le second nom de sa liste funèbre. Le sien. Elle encaisse le coup, comme si on l’avait frappée, avec un pas en arrière. Sa gorge se serre et son corps se tend, se fige, aussi tendu que la corde d’un arc avant de tirer sa flèche. Elle sent Joe se tendre à côté. — Non ! Hors de question ! — La sorcière, elle, ne bouge pas d’un cil. Elle regarde l’écran qui s’éteint. Elle entend à retardement le nom de Graham. Et celui qu’elle connaît mieux : son frère. Elle tressaille… mais étrangement, savoir que le sorcier allait être à ses côtés la rassurait. Ils étaient sensés s’entretuer mais connaître la présence de l’un des siens à ses côtés… Pas comme sa mère qui était morte seule, sur le pavé froid d’une ruelle sombre, sans personne, sans une de ses sœurs magiciennes, sans une âme pour la rassurer dans son voyage vers l’au-delà.

Ce n’est que lorsqu’une main se referme sur son bras qu’elle sort de sa torpeur et tourne la tête vers le nouveau venu. Un loup. Elle le voit dans sa façon de bouger, de se tenir. Et puis, il est venu pour elle. Il ne peut être qu’un laquais. Elle sent aussi la présence d’Ulrick derrière elle, près de Joe. — Samantha F. R. Hadler, c'est bien ça? — Elle hoche la tête. Que pouvait-elle bien dire ? Faire ? Elle ne pouvait fuir. Elle se rend compte que la foule a créé un cercle vide autour d’elle, Joe, Rick et l’autre loup. Comme si elle était lépreuse et qu’ils pouvaient être catapultés dans l’arène pour l’avoir approchée de trop près. Elle lève les yeux vers le visage du loup et y lit des excuses silencieuses. Elle lui adresse un sourire triste mais résigné. Joe se jette alors sur le loup, ses doigts serrés autour de son cou. — NE LA TOUCHE PAS ORDURE ! — Mais la sorcière, complètement déconnectée de la réalité, ne peut que les regarder rouler au sol et voir Joe armer son bras, prête à éclater la tête du laquais. Au fond d’elle, Sam hurle. Elle voudrait lui dire d’arrêter, que ça ne servait à rien, que ça ne ferait qu’empirer les choses et qu’elle mettait sa vie en danger pour rien. Mais elle reste parfaitement immobile et muette. Elle sent Rick passer à côté d’elle, l’effleurant à peine pour aller rejoindre Joe, essayer de la calmer, sûrement. A un moment, elle ne savait plus vraiment quand en vérité, il a tourné la tête vers elle et elle a prononcé les derniers mots qu’elle lui adresserait peut-être. — Prend soin d’elle si jamais je ne reviens pas. Elle est plus fragile qu’elle veut bien le laisser croire… — Evidemment, le loup devait déjà le savoir… et prendre soin de Joe était sûrement une de ses priorités… mais tant pis.

la moisson des âmes
❝ KEEP YOUR EYES OPEN ❞

Les quatre noms condamnés me transpercèrent telle une vague de soulagement qui soulevait mes épaules auparavant si lourdes. J'avais les oreilles qui bourdonnaient, le coeur gros par cette annonce qui devrait plutôt provoquer de la tristesse. J'étais soulagée. Rassurée. Ma poitrine se soulevait et s'affaissait dans des mouvements exagérés, alors que les battements amplifiés de mon coeur se répercutaient contre ma cage thoracique. Ils sont sains et saufs. Ils n'ont pas été choisis, ils ne peuvent mourir de la barbarie de la Moisson. Je suis saine et sauve. Pour une cinquième année, j'ai pu éviter une mort certaine. Je suis isolée dans ma bulle d'apaisement alors que quatre habitants de New York venaient de voir leur destiné être condamnée. Je devrais me sentir égoïste et honteuse de ma réaction. Mais tout ce que trouve à faire est de fermer les yeux et de soupirer, souffler cet air de peur qui m'a habité.

Un hurlement déchirant me ramène au moment présent, réalisant par le fait même que mon regard s'était brouillé par des larmes que je pourrais qualifier de joie. Je cherche des yeux la provenance de cette détresse pour finalement apercevoir un cercle bien distinct quelques mètres sur ma gauche. Je tente de m'approcher afin de mieux comprendre ce qui s'y trame, mais la foule est dense, les gens sont grands. Je me soulève sur la pointe des pieds, cherchant à comprendre. Et je le vois. Parmi toutes ces têtes, je reconnais sa tignasse, je reconnais son visage. Il est impassible. Un vrai serviteur de l'ennemi. J'en deviens bouleversé. Je vois cette pauvre brunette s'accrocher à Julian, désespérée de sauver la blondinette qui a été pigée par malchance. Et Ulrik (Ulrick?) qui vient libérer Julian. Je n'arrive pas à comprendre comment il peut agir ainsi. Celui que je considère comme mon propre père, celui qui m'a vu grandir, en qui je mets toute ma confiance. Je n'arrive plus à respirer, c'est trop lourd à supporter. Je m'éclipse, je me faufile parmi les voyeurs touchés par cette scène des plus dramatiques. Je quitte les lieux, les jambes fragiles et le coeur plus gros qu'à mon arrivé. Je ne peux accepter ce que je viens de voir, car j'ai pitié des victimes et je hais celui que j'aime. L'ironie et la contradiction m'afflige. Je me perd. 

La Moisson des âmes

« Et le jour suivra à la nuit  »  

Un murmure, c'est le soupir de la mort qui flotte au dessus de toi et de tous les habitants dans les rues en émoi. Le silence. Pesant. Tu es là mais c'est comme si ta présence avait depuis longtemps fuit ce corps à l'abandon, ultime vestige d'une vie passée qui n'importe plus personne, pas même toi. Tu t'es puni de ta faute, tu as joué avec la haute, et tu es tombée. Ce n'est que justice, pas vrai ? C'est la folie qui t'entoure, la peur et la crainte alors que la foule se bouscule, que plus loin dans le fond que tu ne perçois pas, des voix annonces, couperet et guillotine, la sentence tombe. Ce n'est point ton nom qui raisonne. Et cela ne te fais ni chaud ni froid. Si une nouvelle fois le destin avait décidé de te faire tuer, alors tu l'aurais accepté, à bras ouvert tu aurais plongé dans ses couvertures pour mettre fin au supplice de ta vie. Trop de bruit. Il y a trop de bruit. Les gens cri, cela t'irrites. Mais tu sais faire profil bas, du moins tu en comprends encore le sens. Plus ou moins. Un nom prononcé, tu l'as reconnu, mais ce n'est pour toi rien de plus qu'une connaissance que ton cœur ne peut attacher. Humaine, sorcière, qu'est-ce que cela changeait ? C'était dans la gueule du loup qu'on l'avait envoyé. Imperceptiblement, tu tournes ton regards aveugle vers cette agitation. Sans raison, l'on te pousses sans que tu ne puisses savoir qui amorça cette action. Fatalement, tu oublies, c'est ta façon. Tu es vide Kanaria, et plus rien ne vit en toi.

Et pourtant, est-ce la peine pour ces pauvres âmes condamnées à jouer dans l'arène pour le plaisir de la foule qui te fait battre le sang au cœur ? Pour le plaisir du peuple en soif de sang ? Pour ces cruels tyrans du haut de leur piédestal qui ne mériteraient là qu'un juste jugement ? Tu l'ignores. Et une nouvelle fois tu oublie. L'envie de t'approcher de ce groupe bruyant te prends t-il, ou est-ce juste le souvenir de ton inconscient qui réagit. Vile passion d'une ancienne vie, mieux vaut pour toi l'anéantir ici. Plus rien ne reste, ce n'est pas de toi qu'il s'agit. Âmes perdues, âmes offertes, bientôt elles ne seraient que pâture au plus puissant, et dans ce fatal affrontement réside peur et conflit, mort et supplice, fin prématurée ou destin salvateur. Une nouvelle fois, que t'importais, toi qui ne vivais que pour ton propre intérêt. La foule se tasse, laisse passer, tu le sens et ressens dans ces mouvements qui s'agitent. Mais il est temps de s'éloigner, car le carnage n'allait pas commencer. Un pas, tu esquisses un mouvement, deux pas, te voilà déjà hors du champ.