[terminé] HELLCOME - Aby et Alaric.

« EH MERDE »  Foutus gamins.
L'exclamation injurieuse m'a échappée et j'aurais préféré m'écrier en égyptien. Parce qu'en plus de me retrouver avec du soda à la fraise un peu partout, je m'attire le regard noir d'une mère la clope au bec et mal maquillée qui s'offusque de mon interjection.
Et bien quoi, ton môme doit t'entendre t'envoyer en l'air avec trois mecs différents la même semaine et te voir te piquer avant tous les repas. J'pense qu'il entend bien aussi son chapelet d'insultes du gars bourré qui doit lui servir de figure paternelle.
Ce n'est pas mon « merde » qui doit le choquer. En attendant, je suis bonne pour coller et sentir la fraise artificielle jusqu'à ce que mon service se finisse. C'est pas comme si j'avais un rendez-vous.
Eh ben si.
Evidemment, je n'ai plus de pause avant ce soir et je vais devoir rester comme ça pour la fin de l'arrivage « goûter » et tout l'arrivage « dîner » de 18h jusque 21h. TROP-DRÔLE. Oh non, ce n'est pas comme si j'allais rencontrer un vampire ce soir. Un Originel en plus. Le patron de Thorün. Mais pourquoi j'accepte des trucs comme ça moi ? En y re-songeant, y a plein de raisons, mais j'aurais aussi eu plein de raisons de refuser. Couper les ponts, ne pas en parler, faire comme si. Mais au final, j'apprécie vraiment le loup-garou. C'est un peu ironique, je sais, mais Bastet n'a jamais eu de soucis avec Anubis n'est-ce pas ?
Oui, les lycans qui sont au service des vampires me font penser au dieu Anubis. Après tout, ils guident les vivants jusqu'aux morts. Et bien souvent, les vivants deviennent morts ensuite. C'est le boulot de ce dieu, guider les âmes vers le dieu des morts et les faire passer de l'autre côté. Je sais que c'est un peu différent, puisqu'ils sont déjà morts ceux qu'Anubis prend en charge, mais ceux que les vampires croisent le sont souvent tout autant avant même de le savoir non ?
Et puis même, Anubis, c'est un chacal, même si dans ma tête il est l'équivalent d'un loup dans le désert, ça vaut bien les petites modifications de compréhension de la légende.

Enfin, je sens la fraise et ça n'a pas de rapport. Il faut que j'arrête de me perdre dans mes pensées comme ça, même si c'est ce qui m'aide à passer les journées monotones.
Je pense à ce vampire et ce à quoi je m’apprête à faire. Travailler pour lui. Trouver un moyen de le faire marcher au soleil. C'est ce que tous les vampires veulent après tout. Mais je ne peux pas m'empêcher d'appréhender la rencontre. Et d'appréhender mon avenir. Faire ça va à l'encontre de mes principes et de mes croyances. Mais je pense trop à ça.
Servir une tartelette au chocolat avec le sourire. $3.
J'y pense trop. Faire ça me permettrait d'éviter de vivre trop cachée. Je serais protégée. Je pourrais utiliser la magie et me sentir moi-même. Je crois que ça vaut la peine d'essayer. De toute façon, tous les mois je risque de voir mon nom tiré au sort à la Moisson. J'ai un peu envie de vivre.
Après tout, Thorün m'a dit que Alaric, le nom de son maitre, était respectueux envers ses employés. J'aurais pu tomber sur plus mal.
MAIS JE SENS LA PUTAIN DE FRAISE.

Avec du mal, la journée a fini par toucher à sa fin. Et je sentais toujours la fraise et mes fringues étaient collants, sans parler de mes cheveux et ma peau par endroits. Je vais mettre un temps fou à me débarrasser de ça.
Voilà pourquoi, quand j'arrive ,après avoir mis les fringues qui font le moins pitié de mon armoire et pris une longue douche pour me nettoyer complètement, et bien je suis en retard. Je déteste être en retard. Je sais bien que les chats aiment se faire attendre, mais je ne suis jamais en retard. JE HAIS CES MIOCHES. Et je suis presque sûre que je dois encore avoir des endroits qui sentent la fraise malgré tout.
Quelle belle image franchement.
Je me plante devant le restaurant et observe la devanture. Purée, ça doit être le dernier resto un peu classe de Brooklyn et j'ai rendez-vous là... J'ai jamais mis les pieds dedans... Ca n'aide pas à me donner confiance en moi. Encore moins quand je rentre et que les regards se tournent vers moi. J'ai l'impression d'être une clocharde à Versailles. Trop cool. Pourtant, on essaie d'être gentil avec moi en me demandant si on peut m'aider. « Je suis attendue par Monsieur Rousseau » j'ose dire d'une petite voix... Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je me mords la lèvre et le type passe derrière moi. Je comprends au dernier moment qu'il veut me délester de mon manteau et je le laisse faire, un peu maladroite et me retrouve en robe noire, très simple qui arrive juste au-dessus de mes genoux. J'ai dit qu'il avait fallu que je fasse des fouilles pour trouver un rasoir qui coupe ? Bah maintenant oui.
Apparemment, j'ai plus l'air au goût des gens présents maintenant. Ouf. Un serveur me guide jusqu'à un rideau pourpre et glisse sa main gantée de blanc devant moi pour en soulever le pan.
Monsieur Rousseau est assis bien droit, ses longs doigts accrochent mon regard avant même le reste de son visage et de son corps alors qu'ils caressent lentement ses lèvres. Un frisson parcourt mon dos alors que j'avance timidement et que le serveur laisse retomber le tissu lourd dans mon dos. Sûrement qu'on va faire connaissance avant de commander. Même si j'aurais bien besoin d'un peu d'eau là tout de suite...
Je sens le regard du vampire sur moi, sur mon corps, et je me résigne à croiser ses yeux. Mon souffle s'évapore alors que je plonge dans ses pupilles bleues et je suis sûre que mes joues se colorent d'un rose plus soutenu.
« Je m'excuse d'être en retard... J'ai eu un imprévu au travail... »

Je suis vraiment là. Face à lui. C'est le premier vampire que je rencontre. Et c'est un Originel en plus. Si j'avais la vessie fragile, je me serais sûrement pissée dessus. À la place, j'ai les jambes un peu maladroites et les mains qui tremblotent.
Mais je me débarrasse des premières en m'asseyant une fois le serveur parti. Au moins je ne suis pas tombée. Ouf. J'ai tellement peur de faire un truc de travers. Est-ce qu'il sait qu'il est impressionnant pour le commun des mortels ? Oui, j'en suis sûre. C'est obligé. Il sait son importance le bougre. Et en plus il m'invite dans un endroit complètement hors de mon milieu. Enfin, au moins c'est à Brooklyn, pas à Manhattan.
Mon regard est à nouveau absorbé par sa main qui quitte ses lèvres pour se poser sur la table en silence, avec une grâce non continue mais qui semble tellement naturelle. Voilà, maintenant j'ai l'impression d'être un éléphant dans un magasin de porcelaine. C'est la première fois que je me sens comme ça. Même dans mon uniforme de fast-food, je ne me suis jamais vue de manière si péjorative.

« Vous êtes là maintenant, c'est tout ce qui importe. » Mon attention revient à son visage lorsque sa voix se fait entendre. J'ai l'impression d'être soudainement enveloppée dans une couverture chauffante. Rauque et suave, il a l'accent que Papa avait. Français. Je me mords la lèvre. Avec son nom de famille, j'aurais du m'en douter.
Je devais sûrement trop flipper à l'idée de le rencontrer pour réfléchir à ça.
L'accent français... Il rapporte autant de bons souvenirs que de mauvais. Mais je rejette ces derniers loin au fond de moi, ce n'est pas la peine de me mettre encore plus mal à l'aise.
Il se laisse aller contre le siège et je sens son regard sur moi. Je sais qu'il me jauge. Je me demande si il ne se dit pas qu'il s'est trompé. Je ne dois pas trop ressembler à ce qu'il attendait. Une pauvre fille pas douée et timide. Loin de la chouette sorcière, hein ?
J'espère qu'il n'est pas trop déçu. Au moins il pourra me dévorer pour compenser.

«  Je vais sauter l'étape des présentations, nous savons tout deux à qui nous avons à faire. » Oh merde... Il a l'air froid, glacial. Je dois tellement avoir l'air d'une merde dans un robe bon marché à ses yeux. Des yeux qui brillent et qui semblent menaçants.
J'ai l'impression d'être une petite souris. Mais au moins si j'avais été un rongeur nerveux, j'aurais pu me planquer et me sauver loin. Sauf si l'inspection sanitaire décidait de se pointer à ce moment même...
Heureusement qu'il a au moins l'air d'un gentleman. Il ne mettra pas de sang partout après m'avoir bouffé. «  Vous devez avoir faim, le serveur va bientôt arriver. »
Je ne sais pas si j'ai faim... je crois que l'inquiétude me serre l'estomac. Pourtant, je me force à prendre le menu qu'il pointe du menton.
À quoi je m'attendais, franchement ? C'est un vampire après tout. Respectueux de ses employés ou non, il reste un glaçon. Un glaçon mort.

Je respire un bon coup et détaille les plats. Tout à un nom du style « Baldaquin de crevette avec couverture de sauce chaude au poivre roux et ses petits légumes en papillotes d'aurore ». MAIS CA VEUT DIRE QUOI BORDEL ?
Je me mords la lèvre.

« Vous prenez quoi vous... ?  »
En fait, je ne sais même pas si les vampires mangent. Enfin, autre chose que du sang, bien sûr... Et cette carte est beaucoup trop longue. Qu'est-ce que je vais manger ?
De la viande ? Oui. Oh ! Ou du poisson. Je mange rarement du poisson. C'est cher et y en a même pas dans les burgers... Ouais du poisson...

« Il y a un plat avec un bon morceau de poisson.. ?  » Je dois tellement avoir l'air bête comme ça. Qu'est-ce que ça va être si je demande du lait. Non, je peux pas faire ça. J'espère qu'il ne va pas commander du vin...
Bon sang Aby, calme toi un peu. Tu vas finir par faire de l'hyperventilation et une crise cardiaque. C'est juste de la bouffe... Tant pis si il te prend pour une attardée de campagne... ou de désert. Ouais de désert plutôt.
Oh ! Par la déesse mère Nout, faites qu'une horde de chats ne se pointe pas en sentant ma gêne...

Je sais qu'il m'observe, qu'il me jauge. Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? J'aimerais me cacher derrière le menu. Comme ils font dans les vieux films que Maman avait encore sur enregistrement nano-disques. Son regard ne m'aide pas à me concentrer sur les noms qui défilent sous mes yeux. Ça doit faire trois fois que je relis et relis et relis le petit texte sous le baldaquin de crevette (est-ce qu'il n'y a vraiment qu'une seule crevette ?) J'aurais presque secoué la tête devant l'absurdité de la chose.
Je me sens d'autant plus bête avec ma question suivante. Son calme et son silence me pèsent autant que si il en avait été autrement et j'aimerais tellement qu'il perde patience devant ma pitoyable existence qui se donne en spectacle. En plus de ça, je suis bien obligée de lui demander la traduction des plats. Quelle superbe image.

Je me redresse un peu alors que je lève les yeux vers lui pour avoir la réponse à ma question. Mes épaules pourraient presque craquer de ce simple geste tellement je suis tendue. Comme la corde d'un arc, il suffirait qu'on m'effleure pour que je claque. Je fronce les sourcils intérieurement. Mais c'est quoi cette image ?
Je le vois hausser un sourcil et je me demande à quoi il pense. Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir derrière ces yeux sauvages et ce visage froid ?
«  Vous êtes végétarienne ? » Mes lèvres laissent échapper un léger rire contre mon gré. Non, je ne veux pas me moquer de lui. C'est juste que... C'est absurde. Moi ? Végétarienne ? « Excusez-moi.. Non, je ne suis pas végétarienne. » J'aime le poisson mais je n'ai pas les moyens ni les opportunités dans manger autant que je le souhaiterais. C'est tout. Mais je mange de la viande... pareil, quand les fins de mois ne sont pas trop justes ou que je peux manger un burger au boulot. Oui, on a un quota de burgers qu'on peut manger sans payer et j'essaie de ne pas tout bouffer la première semaine.
Mais il enchaine sur une autre tirade où il m'explique les coutumes inutiles du restaurant en matière de noms. C'est vrai que les vampires peuvent lire dans les pensées, ou des trucs comme ça... Mais en tout cas, tout comme moi, il semble trouver ça ridicule. J'aurais pensé que ça lui plairait, comme à tous les autres clients qui viennent là et qui commandent sans savoir ce que c'est...

Et puis le serveur revient. Et moi qui n'ai toujours pas trouvé... «  Mais vous constaterez que leur timing est parfait, alors je continue de venir ici ! » C'est donc la raison pour laquelle il vient. Pas pour faire flatter son égo de bourgeois. Ou peut être les deux sans qu'il ne veuille me le dire.
Je lève les yeux vers le serveur qui ne sait plus où se mettre et je suis un peu soulagée de ne pas être la seule dans un état pitoyable à côté du vampire. Je sens pourtant le regard du brun s'accrocher à moi et mon malaise revient. Pourquoi il ne le regarde pas lui ? C'est vrai quoi ? De mon côté, j'évite de le regarder, même si je le vois bouger dans ma vision périphérique.
« Puis-je vous servir ? » Je fronce les sourcils, même moi je sais que l'ordre des choses veut que l'on serve les femmes en premier. J'avoue, ça me pique direct dans le peu d'orgueil que j'ai encore dans cette pièce. Eh blan, merci pour mon estime de moi. Paix à son âme.
«  Soyez un gentil garçon, voulez-vous ? Occupez-vous donc de mon invitée, elle désire du poisson. Donnez-lui ce qu'il y a de meilleur, et un assortiment de son choix, Sans exagérer sur vos qualificatifs …  » Je finis quand même par lui jeter un regard avant d'en lancer un courroucé vers le serveur. Peut être que je fais le même boulot que lui à quelques rues de là et dans un établissement qui n'a pas toutes ces étoiles au-dessus de sa porte, mais tout de même ! Quel ingrat ! En fait, il a pris son temps avant d'enfin lâcher des yeux le vampire. «  Ce sera la même chose pour moi, merci. Et apportez votre meilleur Whisky. Vous aimez le Whisky ? Apportez aussi de l'eau. »
Je suis bien obligée de détacher mon regard mécontent du serveur pour regarder Monsieur Rousseau. « Je n'aime pas trop l'alcool en général... Sauf la bière, parfumée de préférence... peut être aussi parce que le reste est trop cher pour moi... Je prendrais du saumon avec des carottes... avec une sauce à la crème » J'allais ajouter « si possible » mais je me doute qu'ils peuvent bien faire ça... En fait, j'aurais même sauté de joie si on m'avait proposé un grand verre de lait mais bon, je retiendrais mes envies de chaton.

Enfin, le serveur s'en va, me laissant de nouveau seul avec l'homme impressionnant qui se tient face à moi. Seul avec lui et mon malaise qui pourtant semble un peu moins me peser à présent. « Bien. Cette commande nous laisse un peu de répit. Mais dites-moi … Qu'attendez-vous exactement ?» fit-il en se penchant vers moi, m'observant toujours de ses yeux si captivants et effrayants. J'ai l'impression d'être un lapin tétanisé par un prédateur. Ou les phares d'une voiture...
Qu'est-ce que j'attends ? « ... Thorün m'a dit que vous pouviez m'offrir votre protection en échange de mes services. » Je ne sais pas si c'est le genre de réponse qu'il attend de moi... Je ne suis pas sûre en fait que ça lui convienne du tout.
Je me mords la lèvre en songeant à mes raisons. Les vraies. « Avec cette protection... Je pourrais être moi-même et utiliser ma magie sans craindre de me retrouver esclave en le faisant. Je baisse un instant la tête alors que je le regardais en parlant juste avant et ajoute : C'est aussi le seul moyen que j'ai de savoir ce que je vaux comme sorcière, n'ayant jamais eu le loisir de pratiquer ma magie sans entraves...  »

Ce type est l'image même du serveur qui y connait rien. Je désespère. Comment un type pareil a pu se retrouver à travailler ici ? Comment voulez-vous que les gens respectent les serveurs avec des types dans son genre ? J'lui foutrais une réprimande bien sentie si j'avais été seule. Et pas dans un restaurant quatre étoiles. N'empêche, je pourrais mieux faire son boulot que lui. Mais je ne le ferais pas. J'aime bien, au fond, mon travail au fast-food. J'ai pas le droit d'insulter les clients, mais je le fais quand même. Et c'est pour ça qu'on me garde au fond, parce que je « défend » les autres filles et que les sales cons reviennent plus après. Eh, faut bien survivre dans c'te bled.
Je me demande si Monsieur Rousseau a jamais eu ce problème lui. Enfin, c'est pas comme si il n'avait qu'à se baisser pour avoir un humain à bouffer. Je le regarde alors qu'il continue à m'observer. Je me demande comment il me voit. Assurément, comme je l'ai décris précédemment. Je suis une pauvre souris capturée par un gros chat. Il faut que j'assume maintenant.

Ses mains ont tendance à m'obséder, je m'en rends compte. Je n'ai jamais vu des mains comme les siennes. Pas sur un homme... Pas qu'il a des mains de fille, loin de là ! Mais des mains comme ça, j'ai réussi à rêver que la lesbienne qui les avait fasse plus que me serrer la main et me sourire au boulot. Mais pourquoi je pense à une lesbienne maintenant ? Mon esprit est tordu. Oh, ce serait possible que monsieur le vampire aime bien ce genre de petits jeux mais moi c'est pas trop mon truc. Un seul partenaire, c'est suffisant ! Mais Aby, À QUOI TU PENSES BORDEL ?
Il penche la tête quand je réponds à sa question. Je suis incapable de savoir si ce que je lui dis lui convient. J'aimerais bien savoir. Je dois sûrement être en train de passer un test pour savoir si je suis digne de bosser pour lui. Oh, c'est mal parti à mon avis.
Il allait dire quelque chose quand le rideau s'est soulevé et j'en aurais hurlé de frustration. À la place, je me contente de lever les yeux au ciel et de lancer un regard incendiaire au serveur. Enfin, il dépose la nourriture avant de s'en aller. L'odeur est alléchante et je pourrais sûrement dévorer nos deux assiettes si j'osais. J'attrape entre mes doigts qui ont cessé de trembler les couverts et commence à découper un morceau de poisson pour le glisser dans ma bouche. Il fond sur ma langue et la saveur est parfaite, rehaussée de la crème de la sauce. Un pur délice. J'en aurais presque des rougeurs. J'engloutis un second morceau avant de me reprendre et de manger plus lentement pour savourer. «  Je suis, si je puis dire : «  L'homme qu'il vous faut ». » Je lève la tête vers lui alors qu'il reprend la parole, avant de prendre une nouvelle bouchée tandis que je glisse une carotte entre mes lèvres.

Et je remarque le dossier qui apparaît à côté de lui sur la table. C'est quoi ça ?
Je fronce les sourcils. Les vampires ont des pouvoirs qui me sont inconnus semble-t-il. Mais plus encore, je me demande ce qu'il y a dans le dossier sombre. Il me jette un regard et doit découvrir ma surprise et mon incompréhension. « Sachez que je suis un être prudent, Mademoiselle Lamar.»
Je le regarde à nouveau. Prudent ? Mais qu'est-ce qu'un type comme lui peut bien craindre ? Son accent français est encore plus marqué à présent et je sens une drôle de chaleur m'envahir. Le seul accent que je peux encore avoir serait un accent égyptien...
Je repose les yeux sur le dossier et le montre du menton, suspendant un instant ma fourchette en l'air. «  Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? » J'en oublie mes manières, mais si je dois bosser pour lui, j'vais pas jouer la pin-up coincée jusqu'à la fin de mes jours, aussi peu nombreux seront-ils peut être.
J'avale ensuite mon morceau de poisson et relève les yeux vers lui. «  Vous, qu'est-ce que vous attendez de moi ? » Ouais, j'ai envie de savoir. Et porter un robe m'ennuie déjà. Aller, tiens le coup Aby, ta vie va changer du tout au tout.
Savoir que je vais pouvoir utiliser ma magie sans craindre qu'on le capte et qu'on m'embarque. Merde hein ! J'ai attendu ça toute ma vie ! Je pose mes couverts et me lève un peu en me penchant au-dessus de la table, offrant une vue plongeante au vampire sans même faire gaffe pour attraper les papiers dans la pochette sombre avant de me laisser retomber dans le siège qui couine sous mes fesses. Là encore, j'en ai pas grand chose à faire.
Enfin, si je m'écoutais, je me mettrais à lire les papiers tout en mangeant. Mais je suppose que ce serait mal poli. Quoi que... je fronce les sourcils. «  Est-ce que vous viendriez d'une civilisation qui discute ses contrats autour d'un repas par hasard ? Je souris un peu en pointant ma fourchette vers le dossier que je n'ai toujours pas ouvert Comme ça, je pourrais prendre connaissance de ce qu'il y a là-dedans sans paraître malpolie. »
Enfin, maintenant j'ai l'air d'une grande impatiente.
Oh aller Aby, arrête de tout sur-penser et sois toi même, sinon ça n'ira jamais.

Les sourcils du vampire se haussent quand je pose ma question. Trop familier ? Bon, il n'a pas l'air de tant m'en vouloir. Après tout, je viens de la cambrousse. La cambrousse égyptienne, mais tout de même.
La nourriture est bonne et j'en profite grandement. Je suis sûre que j'aurais pu en manger une deuxième assiette. Mais euh... ça me met déjà mal à l'aise de me faire inviter à manger là, mais alors prendre un plat supplémentaire ! C'est la fin du monde.
En attendant, je déguste donc mon assiette, prenant mon temps, mais aussi étant dérangée dans ma consommation tranquille par le dossier et l'homme en face de moi. Il est trop attirant, beaucoup trop. Ce n'est clairement pas une bonne idée de songer à ça, Aby. Mange Aby, mange. Par moment, je ne sais plus si je dois me retenir de manger trop vite ou me remettre à manger à un rythme normal.

Il ne me répond pas. Monsieur fait son secret. Il mange sans faire attention. Je ne pense pas qu'il ai besoin de manger. Il fait comme si, à mon avis. J'espère qu'il a au moins le goût, sinon c'est vraiment triste comme existence. Ne plus sentir le goût des aliments que l'on mange : la torture ultime. Sûrement. Je ne suis pas sûre. Il doit bien y avoir autre chose... mais pour l'instant, je ne peux songer qu'à mes papilles en train de prendre leur pied avec le poisson fondant et les carottes à peine croquantes. Juste comme il faut.
Mais quand même, j'aimerais bien qu'on me réponde ! J'attrape donc le dossier sombre et le pose près de moi avant de continuer à manger un peu. Il boit quelques gorgées de whisky tandis que je me rassois. Il se lèche les lèvres alors que ses doigts fins reposent le verre. Je dois me retenir de ne pas fixer ses lèvres et je me re-concentre sur mon poisson. Il n'y a vraiment pas assez dans cette assiette. Genre, je reprendrais bien la moitié d'un truc comme ça.

Mais enfin, il décide de répondre à au moins une de mes questions. Pas forcément dans l'ordre... Je mets un instant pour comprendre à quoi il fait référence. « C'est une question très pertinente, Mademoiselle Lamar. » C'est pas comme si j'en avais posé plusieurs.
Il ne montre rien. J'aurais aimé savoir s'il se moquait doucement de moi ou si... non, en fait je ne vois que ça comme une forme de moquerie. Genre : « merci Captain Obvious » ou quelque chose comme ça. Enfin, il pourrait réellement le penser, mais il aurait tout de suite enchainé avec la réponse non ?
« Si j'ai apporté ce dossier, c'est bien entendu pour vous en faire part.  » Bon. C'est déjà ça. Pour autant, je ne l'ouvre pas tout de suite. Je le regarde essuyer ses lèvres du bout de la serviette en coton épais avant de rabaisser mes yeux sur mon assiette. Il a fini la sienne. Eh bien, quel appétit. Si je puis dire.
Je ne consulterais pas les papiers tant qu'il répondra à mes questions. Au fond, je l'ai pris pour ça, mais comme il s'est mis à parler, je n'ai pas encore de raison de l'ouvrir.

Il se laisse aller dans le siège, sous la lumière qui teinte un peu sa peau, le rendant mon pâle. Ses mains sont serrées en poings sur la table et ses pouces caressent doucement ses index. Je n'ai pas beaucoup de mal à imaginer la sensation de tels cercles délicats s'ils avaient été faits sur ma propre peau... Encore une fois, je ferais mieux de penser à autre chose. Je sens que ma nuit va être longue, même quand je serais rentrée seule dans mon lit.
Monsieur Rousseau m'observe toujours, comme s'il ne pouvait pas s'en empêcher. Je sais que je suis toujours sous l'examen du juge qu'il est ce soir. C'est un test de plus. La vie est une série de tests, tout le temps.
Je continue de manger, avalant les dernières carottes pour grader les ultimes bouts de poisson pour la fin. Avec un tel repas, mon petit ventre pré-digestion va se voir... Oh, je me donnerais des baffes !

«  J'attends de vous de la discrétion et de la confidentialité. » Je l'observe glisser son doigt sur le bord du verre. Le cristal chante faiblement sous sa peau. Mmh...
« J'attends de vous … Certaines choses. En échange de votre protection, je veux pouvoir marcher au soleil lorsqu'il est nécessaire que je la fasse, pour des besoins professionnels. Mais ce ne sont que des situations précaires et rares. Si je suis dans une situation inconvenante, je veux que vous me serviez de Calice. Si une situation le demande, que vous me serviez tout simplement de Sorcière. La magie peut se révéler très utile. Avoir une sorcière sous le coude est toujours un atout non négligeable. »
Marcher au soleil, je le savais. Finalement ce n'est pas que des rumeurs. Par contre... Calice ? C'est quoi ce mot.. ? Ca veut dire quoi ? … Attend. Calice, c'est pas un truc pour mettre du liquide, genre le Saint Graal ? Eh ! Une seconde... ça veut dire qu'il va me pomper le sang .. ? Enfin, si ça se trouve il faudra qu'il le fasse pour le sortilège de « je-marche-au-soleil-sans-me-transformer-en-torche-humaine »... J'y connais rien à ça moi... C'est pas la magie qu'on apprend quand on sert Bastet. Enfin, pour le reste : faire de la magie, ça pose pas de problème. C'est pour ça que je suis là. Je le regarde... Il pince les lèvres. Qu'est-ce qui se passe … ? Le rideau ? Il y a quelqu'un derrière ? « Toutes les conditions sont dans ce contrat... » ajoute-t-il en observant toujours le tissu pourpre avant de se tourner de nouveau vers moi « Il ne va pas vous manger. ».
Je souris un peu. Comme si je ne le savais pas. Je finis mon assiette avant de poser la question qui me trotte dans la tête.

«  Retirez-moi un doute... Être Calice veut dire que si jamais vous ne trouvez pas une victime, je peux devenir votre repas du soir...? »
Il sourit. Un drôle de sourire. Est-ce que je vais servir de dessert ? Je donnerais n'importe quoi ou presque pour savoir à quoi il pense.
Je pose ma main sur le dossier et glisse mes doigts sous la pochette sombre pour la soulever, dévoilant les pages blanches aux petits caractères noirs. Je vais devoir lire tout ça … Je retiens un soupir.
Je prendrais bien un dessert. Je lève les yeux vers lui.
«  Vous avez dit être prudent... je suppose que c'est la raison du contrat... mais je ne vois pas pourquoi un individu tel que vous craignerait quoi que ce soit... »

Il ne pouvait décidément pas s'arrêter de me regarder. Je n'aime pas ça, me sentir observée, j'ai l'impression qu'on va m'attaquer ou que je suis en danger.
Son sourire est froid comme sûrement le reste de sa personne... Pourquoi sourire si c'est pour avoir cet air là ? Il me met mal à l'aise. J'espère qu'il ne va pas être comme ça tout le temps, sinon je vais avoir du mal à pratiquer la magie correctement en sa présence, ce qui, je le crains, finira par être inévitable.

Le sourire qu'il me lance après ma question sur la Calice me rend encore plus perplexe. J'ai l'impression qu'il va me dévorer toute crue. Pourquoi est-ce qu'il fait ça ? Il n'est pas sensé me mettre en confiance ?
Certes, j'ai accepté de venir ici pour le voir, pour lui parler mais... Comment veut-il que ça marche comme ça ? Il espère peut être me faire si peur que j'aurais l'impression de ne pas avoir le choix ? Ou au moins me mettre suffisamment la pression pour que j'accepte.
Je ne le comprend décidément pas. À quoi joue-t-il ?
Enfin, à quoi est-ce que je m'attendais de la part d'un vampire après tout ? Même s'il semble respecter Thorün, peut être que c'est simplement parce qu'il est un loup-garou... Après tout, ce n'est pas une jeune femme influençable. Pas comme moi...

« C'est simple... Si lors d'une de vos missions, vous êtes amenée à découvrir quoi que ce soit, tout devra rester confidentiel. Mais plus encore … Je veux votre silence, peu importe sur quoi. Ce contrat stipule que vous ne devez dire à personne que vous travaillez pour moi, et ce sous aucun prétexte. Il n'est pas question de craindre quoi que ce soit, Miss Lamar. Mais de se montrer prévoyant. Les autres vampires peuvent se montrer ennuyeux et curieux, et je n'ai pas de temps pour ces enfantillages.  »
Je le regarde, évitant ses yeux ses bleus tout de même... Ainsi c'est donc ça. Je ne suis pas sûre que ce soit ce qui explique le tout, mais il semblerait que ce soit suffisant pour lui. Du moins, c'est les seules choses qu'il me dira.

« Je ne vois pas pourquoi j'irais crier sur tous les toits que je travaille pour vous. Je suppose que pour être protégée, soit ils sont au courant que je suis déjà prise, soit leurs émissaires ne reviendront pas et de toute manière, ils finiront par se douter que je suis sous bonne garde...  »
Je ne comprenais pas tout, je l'avoue. J'avais l'impression qu'il y avait des choses qui n'étaient pas très logiques. Mais mon esprit ne fonctionnait pas comme le sien et de toute façon, je ne pouvais pas faire grand chose à ses décisions. Oui, c'était lui qui décidait, de tout.

« Quant à être mon 'Calice', j'entends par-là … Boire votre sang si besoin est. Pas vous vider complètement, n'ayez crainte.  Puis … Si vous acceptez ce travail, tout sera à votre avantage. Je vous garantis votre sécurité, d'accord. Mais vous serez aussi rémunérée. Ce qui demande aussi un contrat.  »
Je fronçais les sourcils. Oui, donc j'allais vraiment lui servir de dîner de temps à autre. Sans me vider complètement... ça me faisait quand même peur. Il restait un vampire. Une âme damnée...
Au mot « contrat », je baissais les yeux vers les papiers et je me demandais comment il pouvait qualifier un tel engagement de travail... Il y avait tellement à prendre en compte, à retourner dans tous les sens, et j'en passe, que même si moi j'avais à définir un prix pour mes services, je serais incapable de le faire...
Et pourtant, il semblait savoir ce qu'il faisait. Vu depuis le temps qu'il viv- existait, il devait sûrement avoir une forme d'expérience en la matière...

«  1000 Dollars l'heure. Quand vous serez avec moi j'entends. Celà-dit, votre protection s'étend à 24h sur 24, 7 jours sur 7. » Il repose son verre dans un tintement, mais tout ce que j'entends c'est le salaire. Je lève les yeux vers lui, la bouche entrouverte par la suprise.
«  Mi-Milles dollars de l'heure..?! Je n'en revenais pas. Il me fixait de ses yeux de glace et je ne pouvais pas détourner les yeux... Je... Je ne suis pas sûre que je mérite un tel salaire...  »

«  J'ai déjà signé ce contrat, dernière page. A vous de voir, vous avez une semaine pour me donner votre décision. »
Je ne sais pas pourquoi, cette phrase semblait mettre fin à notre conversation, voire même à toute la soirée. Il me congédiait comme ça ?
Mes yeux glissèrent jusqu'au contrat. Est-ce que j'avais vraiment le choix ? Ne pas signer, ça voulait dire quoi ? Je me retrouverais de nouveau sur le marché des sorcières à traquer...
«  Et... et si je décidais de … ne pas signer... ?  » Je me mords la lèvre, ça ne veut pas dire que je ne vais pas le faire mais...

«  Et si je ne trouvais pas le moyen de vous faire marcher au soleil, si je n'étais pas assez puissante ou compétente.. ?  » Oui, c'était aussi fort probable dans ma tête. Je ne savais même pas comment faire ça. Ce n'est pas le genre de magie que j'ai appris. Ce n'est pas le genre de magie que les filles de Bastet font...
Et voilà, j'étais de nouveau perdue...

Je ne peux pas m'empêcher de chercher à lui arracher des questions sans avoir à lire le contrat. Ces questions que je lui pose, j'ai envie d'en entendre les réponses de sa bouche. Oh, je le lirais ce contrat, mais les choses orales sont aussi importantes pour moi.
L'oral est même plus important. Ca peut vous paraître étrange que je dise ça, ma magie fonctionnement principalement en écrivant des hiéroglyphes. Pourtant, aujourd'hui, les Occidentaux, enfin, peu importe la société, leur écrit pourrait simplement partir en fumée. Certes, il y a les contrats, tout le reste et ces choses dont je ne connais pas le nom. Mais ce n'est qu'une façon d'éviter un contact humain plus franc et plus persistant. Aujourd'hui, l'écrit n'est qu'un moyen d'éviter de croiser le regard des gens. Eviter leurs réactions et les cris en cas de désaccord.

Il plisse les lèvres et penche la tête quand je lui demande ce qui se passerait si je refusais de signer le contrat. Qu'est-ce qu'il cherche dans mon esprit ou sur mon visage ? Est-ce que j'ai encore dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
Une autre question de ma part. Je commence à en avoir marre de lui arracher des réponses. J'ai l'impression que je dois plonger ma main dans sa gorge, au risque de me faire mordre, pour avoir des choses qui ressemblent à peine à ma définition du mot « réponse ».
Une moue se dessine sur le visage du vampire sans qu'il ne me réponde. Puis il retire sa veste. Pourquoi fait-il ça ? Finalement, notre entretien ne s'arrête peut être pas là.
Je regarde sa nuque fine mais robuste alors qu'il incline la tête pour retrousser les manches de sa chemise. Ses doigts enroulent le tissu d'un geste habile et dévoilent la peau de ses avants-bras. Fermes, musculeux. J'ai comme une bouffée de chaleur d'un coup. Puis l'inquiétude revient au galop : pourquoi fait-il ça ? Il boit à nouveau et je me demande s'il va me frapper pour poser tant de questions.
Il remonte juste ses manches pour ne pas abimer le tissu.
Je déraille n'est-ce pas ?
La journée a déjà été longue au boulot, et elle n'en finit plus ici. J'aimerais que ce soit plus simple. Je suis fatiguée.

«  Abygaëlle. » Commence-t-ilet je l'arrête alors qu'il plonge ses yeux dans les miens. Je suis comme hypnotisée, mais mais je ne peux pas m'empêcher de répliquer : « Aby. » Je n'aime pas qu'on m'appelle par mon prénom en entier.

« Vous avez la semaine pour vous décider. Je ne vous force en rien, ce choix-là vous appartient. La seule chose que je demande de votre part, c'est de ne jamais parler de cet entretien à personne, même si l'envie de vous débarrasser de 'ce fardeau' de vos épaules, vous prend. Si vous refusez, à l'avenir : Vous ne connaissez absolument pas le visage d'Alaric Rousseau, et vous ne savez même pas qui il est. D'une part. » Je fronçais les sourcils. Me demandant ce qu'il allait ajouter quand j'entendis le rire d'une femme.
«  D'autre part. Je sais ce que je fais, croyez-moi, je n'engage personne sans être un minimum informé. Et ... J'ai foi en vos talents, je vous demanderai d'en faire autant.  »

Je le regardais un instant. « Je n'en parlerais pas, peu importe que je signe ou non. En revanche, je ne comprend pas pourquoi je ne devrais pas connaître votre visage. Tout le personnel ici le connait, n'est-ce pas, quelle est la différence ? » Je fronce les sourcils et me mord un peu la lèvre en l'entendant dire qu'il a confiance en mes talents. « Je n'ai jamais montré quoi que ce soit qui puisse vous faire avoir tant confiance en moi, je suppose donc que certains vampires peuvent faire preuve de foi... Mais je vous remercie. » Et il sourit – un sourire qui a l'air plus vrai et qui me réchauffe un peu... – avant de tendre son bras vers le dossier pour y poser sa main.
Ses longs doigts sont encore plus impressionnants et sexy vus de près... Je me demande s'ils sont froids alors qu'il reprend la parole. « Lisez-le, une fois au calme. Et contactez Thorün pour l'informer de votre décision. Quelle qu'elle soit. »

« Je le lirais, soyez en sûr. Mais je pense que vous savez déjà ma décision.  »
Je le regarde. Est-ce qu'il sait que je le ferais quand même, peu importe que je lui pose des questions chiantes ou que j'ai des doutes ?
Encore une fois, je me demande si nous allons avoir un dessert. Un bon repas ne peut pas se finir sans dessert. Et j'ai encore faim.

Je n'aime simplement sa sonorité de mon prénom. Pas en entier. Et il me rappelle souvent trop mes origines françaises, surtout prononcé avec cet accent inévitablement de mon pays. Je n'ai pas grand chose contre mes origines, mais on m'appelait Abygaëlle pour me gronder quand j'avais fait quelque chose de mal ou alors c'était … plus personnel. Tellement plus personnel... François m'appelait comme ça. Avec ses lèvres fines et son accent un peu trainant du Sud de la France. Non Aby, ne pense pas à ça. N'y pense pas maintenant. Ce n'est pas le moment. Pas du tout !

Je lui pose encore une question. Ses sourcils se haussent comme à chaque fois qu'il pense que la réponse est évidente. Je m'y fais à force. Nous avons visiblement une façon bien différente de voir les choses. Je ne comprend vraiment pas pourquoi les employés de ce restaurant auraient le droit de reconnaître son visage et dire « oh ! C'est monsieur Rousseau ! » tout haut. Et moi non. Suis-je si inférieure que ça à ses yeux ? Ou ne suis-je déjà qu'un fantôme avec un pied dans la tombe pour lui ? «  Je préfère éviter d'aliment les rumeurs. Et ce n'est pas pour le personnel de ce restaurant. Et la différence entre eux et vous est un gouffre immense et sans fin »
« Immense et sans fin hein... » je mumure. Je ne sais pas quoi penser de ça... Peut être finalement ne suis-je pas en dessous, mais au-dessus d'eux dans sa drôle échelle de valeurs. Eh pourtant, je suis une pauvre serveuse de fast food, pas le même standing hein. « ... C'est parce que ça voudrait dire que je vous connais... et forcément ça susciterait des questions sur la raison pour laquelle je suis encore en vie... c'est ça ? Je veux dire, chez les autres vampires... » J'ai l'impression de comprendre, si c'est bien la bonne réponse... Le fait que je pourrais connaître son nom implique obligatoirement d'autres choses... et que je sois encore en vie implique alors que je travaille pour lui mais aussi que je suis assez résistante pour ne pas déjà être morte... C'est sûrement ça. Et il n'en a rien à foutre que les autres se fassent buter...

Il sourit quand je parle de foi. Il ne semble pas convaincu. Mais ne répond rien. Je ne sais toujours pas pourquoi il a tant confiance en moi. Peut être ne le saurais-je jamais.
Je le regarde. Il m'intimide vraiment mais je me demande ce qu'il voit en moi. Qu'est-ce qu'un vampire millénaire peut bien voir dans une jeune sorcière adepte de Bastet et de sa magie qui est loin de défendre les êtres comme lui. Sans parler que je ne suis pas spécialement entrainée, ni douée pour autre chose que les portails magiques, la discussion avec les chats, célébrer la déesse une fois par an et guérir les maladies, quand j'ai de la chance.

Je le regarde. J'aimerais bien savoir à quoi il pense. Est-ce que lui utilise ses dons de vampire pour voir ce qu'il y a dans ma tête ? Je n'espère pas. Je ne pense pas spécialement à des choses préjudiciables mais je n'aimerais pas qu'il s'immisce dans l'intimité de mes pensées.
Il sourit. Il doit bien prendre ça comme je le pensais. Le vampire se laisse aller contre le dossier et je l'observe encore un peu. Il est beau. Il est trop beau pour mes pauvres nerfs. Je passe ma langue sur mes lèvres et les mordille un peu.
Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée de ce que dans quoi je m'embarque en faisant ça. Mais je ne peux pas dire non. Ce type, tout vampire qu'il soit, est ma seule passerelle vers l'amélioration de ma magie. Je sais que je vais devoir faire des efforts pour bosser pour lui. Rien qu'utiliser la magie régulièrement... ce sera nouveau.
Non, je ne peux pas passer à côté de ça.

«  Dois-je en conclure que vous allez signer ? Ou suis-je simplement trop arrogant ? »
Je souris et retiens un rire. « Pour être franche, vous êtes trop arrogant, mais oui, vous en déduisez la bonne chose. »
Je le regarde et fronce les sourcils un instant quand il lève le bras. Mais Rousseau se contente juste de tirer sur le pompon qui actionne l'ouverture du rideau qui nous dissimule au reste du restaurant. « Un dessert ? » demande-t-il alors que son regard est toujours rivé sur moi et que le jeune serveur arrive.
Je regarde le vampire encore un instant. « Volontiers... dis-je avec un léger sourire avant de me tourner vers le serveur : ... Une crème brûlée, s'il vous plait. »
Je souris encore un peu, par politesse surtout et attend de voir ce que l'homme aux yeux si bleus va prendre. Encore comme moi ? Ou fera-t-il un autre choix ? Au fond, j'ai envie d'en savoir plus sur lui... même si je ne pense pas qu'il laissera volontiers échapper l'histoire de sa vie.