LA MOISSON DES ÂMES ▲ the clock is ticking (sujet de groupe)

D’un coup, le temps s’était arrêté. Elle oublia le reste, ne s’aperçut même pas que, dans l’arène, la donne avait changée, bien qu’elle ait pu entendre un changement parmi les spectateurs. Elle le revoyait ici, maintenant, et si elle avait pu avoir le moindre doute, le regard du vampire lorsqu’il posa les yeux sur elle aurait pu suffire à faire taire tout soupçon. Elle ne pouvait y croire, après tout ce temps, et n’osait imaginer ce qu’il devait ressentir. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle était bel et bien vivante. Il y a longtemps, une éternité lui semblait-il. Il lui dit un simple bonsoir, un mot qui pourtant rendit ces retrouvailles d’autant plus réelles. Elle n’aurait pu imaginer de pire moment, mais c’était là, c’était maintenant. Oui, un instant, elle oublia où ils se trouvaient, jusqu’à ce que Blake le lui rappelle par ses paroles. Bien sûr qu’elle était supposée être ici, comme tout le monde. Elle était là, parce qu’elle faisait partie de ces créatures qui peuplaient la ville, elle faisait partie de ceux qui vivaient là, ces pauvres âmes égarées à la merci des Originaux.

« Je ne crois pas qu’on nous laisse vraiment le choix... » dit-elle avait un drôle de sourire.

Pas de larme de joie, pas d’embrassade ou de témoignage d’affection. Ce n’était ni le lieu ni le moment. Il y avait trop de tensions, trop d’angoisse dans l’air. Elle reprenait peu à peu conscience de ce qui les entourait, de la lourdeur de l’atmosphère et de ce qu’il se passait dans l’arène. Elle y jeta un oeil et comprit d’un coup que les règles du jeu avaient changé. Elle se tourna de nouveau vers le vampire, dont les paroles lui firent monter les larmes aux yeux.

« Je ne peux pas... je dois retrouver mon ami d’abord. Je ne peux pas partir sans lui. »

Abraham. Elle était venue avec lui, elle repartirait avec lui. Où était-il ? Jusqu’à quelle distance s’était-elle téléportée ? Elle détesta ces pouvoirs qu’elle ne parvenait pas vraiment à maîtriser. C’est alors qu’elle sentit une main se glisser autour de son poignet. Elle tressaillit, se retourna vivement, mais se détendit en l’apercevant. Le voir sourire lui parut étrange, mais elle était malgré tout heureuse de le retrouver. C’est alors qu’il vit Blake, et d’un coup, son expression changea. Elle le sentit devenir plus froid, puis prendre de la distance, s’éloigner, annoncer qu’il devait partir. Pour où ? Son regard passa de l’un à l’autre, avant qu’elle parvienne à se décider. Elle se tourna vers Blake, l’air réellement désolée.

« Excuse-moi, il faut que je le rattrape. » souffla-t-elle avec peine.

Puis, elle se mit à courir, suivant la silhouette du jeune homme, tentant de se frayer un passage malgré ceux qui la bousculaient ou lui passaient au travers. C’est alors qu’elle se rappela qu’elle avait des pouvoirs et parvint à se téléporter juste à côté d’Abraham. Elle lui toucha l’épaule afin de signaler sa présence.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tu t’es enfuis comme ça ? Je... » C’est alors qu’elle le vit : copie conforme d’Abe, mais dans un fauteuil. Elle n’eut cependant pas le temps de poser de question, car tout bascula. Un cri déchirant, des hommes au regard meurtrier, puis un mort. Terrifiée, elle se rattrapa instinctivement de son ami. Chacun des hommes présents tenait un otage. Qui sait ce qui allait se passer à présent ?

Ils étaient là, au milieu de cette cacophonie dont elle ne percevait plus rien. Le brouhaha, les cris, les hurlements. Une véritable frénésie s’était installée. Elle ne cessait de se faire bousculer, de disparaître pour réapparaître ensuite. Tout cela ne finirait donc jamais ? Elle ne parvenait plus à savoir ce qui se passait en bas, entre les quatre concurrents, les quatre victimes qui n’étaient plus que trois, bientôt seulement deux. La mort était partout, elle pouvait en sentir l’odeur monter jusqu’à elle, lui donner la nausée. Et surtout, elle ne comprenait pas. Abraham était là, mais aussi son double, cet homme qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Que faire ? Elle ne parvenait même pas à réfléchir correctement et elle ne comprenait que trop bien que le temps des explications n’était pas venu. Elle leva les yeux, un instant, un seul, mais suffisant pour apercevoir un jeune homme aux prises avec l’un des assaillants. Il y avait une vieille dame non loin de lui, qui disparut cependant rapidement de sa vue.

Elle n’était pas une héroïne. Elle n’était même pas vivante. Elle n’était personne, elle n’existait pas. Elle ne pouvait pas mourir, mais elle ne pouvait rien faire pour arrêter ce qui était en train de se produire. Ou peut-être que si. Sauver une personne, même une seule et unique personne serait une immense victoire dans tout ce chaos. Elle ne devait pas réfléchir. Si elle réfléchissait, tout serait perdu, elle serait perdue. En un instant, elle avait disparu.

Elle maîtrisait de mieux en mieux ses pouvoirs. Ainsi, elle réapparut tout près de Finley. L’homme qui le tenait ne la vit pas. Elle était invisible à ses yeux. Il était humain. Tant mieux, elle pourrait agir. Elle ne réfléchit pas. Si elle réfléchissait, tout serait perdu, elle serait perdue. Elle jeta un regard au jeune homme. Ils n’auraient pas beaucoup de temps. Puis, elle cria, d’une voix forte, d’un ton ne supportant pas de protestation. Lui pouvait la voir, la regardait, heureusement. « Prépare-toi à t’enfuir ! »

Puis, elle tendit les mains, obéissant uniquement à son instinct, forçant à distance l’homme à lâcher le sorcier. Un autre mouvement de mains et l’assaillant vola en arrière, sans être capable de savoir qui, ou quoi était responsable de ce qu’il venait de se passer. Il était allongé au sol, inconscient, probablement assommé. Tant mieux. Il ne pourrait plus nuire, du moins, pour le moment. L’instant d’après, elle se tourna de nouveau vers le jeune homme. « Va-t-en, cours ! » Le reste n’appartenait qu’à lui. Elle ne le connaissait pas, ne le reverrait peut-être jamais. Mais elle lui avait offert un répit, elle avait été utile, au moins.

Abraham. Son nom rejaillit dans sa tête, d’un coup. Elle disparut instantanément, réapparaissant à la place exact où elle se trouvait quelques minutes auparavant. Sans savoir, non, sans savoir qu’elle venait de se jeter dans la gueule du loup.