A life lesson [Ali&Ari]

J'entendais l'écho de mes pas résonner dans l'usine. J'entendais l'écho de mes craintes se répercuter par delà les murs crasseux. Les ténèbres étendaient son voile opaque, autorisant les créatures les plus vils à sortir de leur tanière. Une boule monstrueuse nouait mon estomac, mettant à sac mes entrailles. Je savais dans quoi je me lançais. Je savais mon entreprise dangereuse. Je savais mon projet perrilleux. Pourtant, je ne comptais pas reculer. Pourtant, ce soir, c'était le moment. Ce soir, j'allais tenter le tout pour le tout afin de connaître la vérité. Le prix que je devrais payer m'importait peu tant l'incertitude qui me rongeait depuis des années devenait insupportable. J'avais besoin de réponses. J'avais besoin de savoir. J'avais besoin de lui dire au revoir. Tout le reste me semblait sans importance.

Tout. J'avais tout prévu. Si les choses devaient mal se passer... une lettre destinée à Salem serait envoyée. Si les choses devaient mal se passer, tout mes biens lui seraient destinés. Je n'en avais guère beaucoup mais c'était tout ce que j'avais. Il était tout ce qui me restait. Si les choses devaient mal se passer... Mais j'avais confiance en Aleister. J'avais confiance en ses talents. Je savais qu'il ferait de son mieux. Je savais qu'il ferait en sorte que tout aille pour le mieux.

J'inspirais et expirais lentement alors qu'un sentiment de calme commençait à m'envahir. Je pouvais apercevoir au loin quelques lumières. Il était déjà là. Bien que plusieurs mètres me séparaient du sorcier, le simple fait de le savoir déjà là m'apaisait. Aleister. Dès nos premières rencontres, j'avais été troublée par son charisme. Intimidée par sa prestance. Aleister... Un homme qu'on ne pouvait pas oublier. Rapidement, j'avais compris qu'il était le sorcier qu'il me fallait. Malgré ces nombreux refus, j'avais persisté, encore et encore. Je n'avais personne d'autres vers qui me tourner. Par chance, il avait fini par accepter. Je ne savais pas vraiment ce qui l'avait fait ainsi changer d'avis. Peut-être ma bouille adorable... Ou bien avait-il tout simplement compris que c'était important à mes yeux. Là encore, je n'étais certaine de rien du tout.

Un vent frais souffla, hérissant mes poils et m'arrachant un frisson. L'air ambiant me sembla soudainement plus glacial et alors que je passais mes bras autour de moi, je continuais d'avancer, m'approchant de plus en plus de la source de lumière. Le manteau noir que je portais me paraissait inefficace contre ce froid soudain qui envahissait mon corps. Ce froid n'était pas naturel, je le sentais vibrer au plus profond de mon être, faisant trembler ma colonne vertébrale tel un avertissement. Pourtant je continuais mon ascension, m'approchant toujours plus de la source de lumières. Ce n'était au final plus qu'une question de secondes avant que je ne me retrouve proche d'Aleister. Ce dernier, agenouillé au sol, ne perdit pas une seconde pour me rappeler mon retard. Et lorsqu'il me précisa que je n'aurais pas aimé rester là toute seule... Je ne pus que le croire.

- Une vierge? questionnais-je soudainement, les yeux écarquillés par la surprise.

La seule vierge que j'avais apporté, c'était moi-même. Je commençais déjà à paniquer intérieurement lorsqu'il m'informa qu'il plaisantait. Mouais. Bien que rassurée, je ne trouvais pas cela amusant. La situation n'était en rien marrante et je ne restais qu'une simple humaine qui savait pertinemment qu'elle visait quelque chose de trop gros. Je me contentais donc de l'accabler d'un regard désaprobateur alors qu'il se relevait. Pour la peine, j'aurais du le pousser dans un buisson d'orties.

- Je suis censée me mettre au milieu du triangle? demandais-je avec incertitude, alors que je prenais déjà en place au centre.

L'impatience me gagnait, grondant en mon être. Bientôt. Bientôt je pourrais revoir ma soeur, j'en étais persuadée. Bientôt. Bientôt j'aurais des réponses à mes questions et rien d'autre n'avait d'importance. Ni la peur. Ni le doute suffiront à me stopper. Tout allait bien se passer... Je tentais de m'en convaincre et pourtant... C'était en jouant nerveusement avec mes doigts que je fixais avec inquiétude le sorcier.

- Aleister... si... Si jamais ça se passe mal... Est-ce que tu pourra dire à Salem que je suis désolée? Affichant un petit sourire nerveux, je m'empressais de rajouter, laissant mes bras retomber le long de mon corps : Mais il n'y a pas de raison que ça se passe mal, hein? D'ici quelques heures, on ira se boire une bonne bière pour décompresser. Je n'y croyais pas trop mais tant pis. Bref. Pour en revenir au rituel, que suis-je censée faire?

       Aleister ? Une bonniche ? Vous l’imaginez sérieusement avec un tablier et un balai entre les mains ? Bien entendu que non. Je l’imaginais d’avantages avec un verre d’alcool entre ses grosses pattes viriles. Quoi que, le bâton magique qu’il avait sorti de son sac pouvait étrangement s’apparenter à un balai. Sauf qu’au lieu de nettoyer… Son outil servait à tracer des symboles étranges sur le sol. Symboles étranges qui devaient probablement générer un truc mystique pour un autre truc mystique qui me dépassait totalement. Les traits tendus par l’anxiété, je le regardais jouer les apprentis dessinateur. Je n’étais pas insensible à ses efforts pour me détendre. Malheureusement, je n’étais pas assez idiote pour ne pas savoir à quel point ce qui allait suivre était dangereux. Pour autant, je ne comptais pas reculer. Pas maintenant. Si je le faisais, c’était pour elle mais aussi pour moi. Je devais connaître la vérité. Je méritais de connaître la vérité. Inspirant l’air crépit des lieux, je fermais un instant les paupières, tentant d’insuffler un peu de calme en mon être. Aleister. Je concentrais tout mes espoirs sur lui. Aleister. Je plaçais toute ma confiance en ce sorcier. J'avais cette désagréable impression d'être au poker. Je n'en connaissais pas les règles. Je n'avais aucune idée de ce que valaient mes cartes et pourtant, je misais tout ce que j'avais. J'étais à une table de poker et l'enjeu était nos vies. Ce n'était pas rassurant. Ce n'était pas du tout réconfortant et je ne parvenais pas à détendre mes muscles qui se nouaient sous l'anxiété. Les battements de mon cœur s'accéléraient alors que mes mains devenaient moites. Ouvrant mon regard soucieux sur ce panorama inquiétant, je devinais quelques tâches noires danser sous mes yeux. J'étais proche du malaise mais cela ne m'empêcha pas d'aller allumer les bougies nécessaires au rituel. Je devais me ressaisir. Je devais combattre cette peur qui nouait mon estomac en pelote de laine sortie tout droit des enfers. J'essayais tant bien que mal de m'accrocher à cette confiance aveugle que je faisais en Aleister. Mais cette confiance ne suffisait pas pour estomper l'appréhension. Il était toujours tant de renoncer... Pour autant, je n'en fis rien. Au contraire. Une fois les préparations terminées, je le suivis au centre du cercle. Genoux à terre, l'inévitable allait frapper à notre porte. Ce n'était qu'une question de seconde avant que le ciel ne s'effondre sur nos belles petites têtes.

   Ses mains se saisirent des miennes et je fus accabler de constater à quel point sa peau était chaude. Ses mains étaient bouillantes et les miennes étaient glacées par la peur. Un contraste qui m'arracha un frisson car je pris seulement conscience de combien je pouvais avoir froid. Un froid qu'aucune couverture ne pourrait soulager. J'écoutais le sorcier me mettre en garde. Son ton était grave, me rappelant que d'avantages combien notre entreprise s'avérait dangereuse. Comme hypnotisée par chacune de ses paroles, je plongeais mes deux billes claires dans son regard. Et j'eu alors cette étrange impression de comprendre une chose. Une chose sur laquelle je ne m'étais jamais arrêtée. Une chose pour laquelle je n'avais jamais prit le temps de me pencher. Mes yeux plantés dans les siens, je compris une chose essentielle... La magie l'avait brisé. Cette magie allait nous briser comme des poupées de sucres.

Ses paroles se diffusaient en mon être tel un poison perfide. Ses paroles résonnaient dans ma tête tel un écho lointain et pourtant j’en comprenais toute l’ampleur. J’en comprenais toute l’horreur. Toutes mes convictions s'effondraient. Ce que j'avais connu n'existait plus. Mes certitudes, mes acquis... Toutes ces choses qu'on s'évertue à entretenir ne me serviront à rien. Aleister m’emmenait dans un monde de ténèbres. Aleister m'emmenait dans un monde de chaos. Aucunes règles ne semblaient définies. La barrière entre la réalité et l'irréel s'évaporait pour laisser apparaître un univers dangereux. Un univers auquel je n'étais pas prête à affronter. Pourtant je le devais. J'avais le devoir d'affronter ça. Pour elle. Pour moi. J'étais prête à chuter dans l'oublie, le néant et le chaos.... Et j'emporterais quiconque me permettrait d'obtenir mes fins. Aleister allait m’emmener dans un endroit qui m’était inconnu. Mais si seulement il était là le véritable souci. « Ce lieu n'est pas l'enfer, mais cela n'en fait pas un lieu plus agréable. » Etait-ce donc là que reposait ma moitié ? Je l’avais longtemps imaginé au paradis…. Ou dans un endroit où elle pourrait reposer en paix. Au lieu de ça… elle se trouvait dans un endroit ressemblant de très près à l’enfer ? Non ! Je n’étais pas prête à affronter cela. Toutes mes convictions s’effondraient. Le bien. Le mal. Le paradis. L’enfer. Toutes ces inepties sur l’âme humaine n’étaient donc que des fables ? Je remettais en doute tout ce que l’on m’avait appris mais la certitude de devoir poursuivre ne m’avait pas pour autant quitté.  

Recentrant ma concentration sur ses instructions, mes lèvres laissèrent échapper un bref soupir. Un endroit que ma sœur et moi avions partagé… Il y en avait tellement et si peu à la fois. Tellement d’autres choses devaient nous attendre. On avait encore tellement de lieu à partager toute les deux. Je tentais d’ignorer ce poids énorme qui compressa ma poitrine sans grand succès. Son absence pesait aussi lourd qu’un camion d’une tonne transportant des cookies au nougat. Quoi que… l’avantage de ce camion étant qu’il transportait des cookies, au moins. Me concentrer. Je devais me concentrer. Je perdais bien trop souvent le fil de mes pensées sauf que là, je devais me recadrer un peu. Pendant que mon ami sorcier faisait couler le sang, je parvenais à faire le tri dans le panorama de mes souvenirs pour enfin choisir le lieu. On y avait été qu’une seule fois mais je savais ce moment magique pour elle.

Un sourire se dessinait sur mon visage lorsque je repensais à la joie qui l’avait animé ce jour-là. J’avais pactisé avec le diable mais peu m’importait. Tout ce qui comptait à mes yeux, c’était elle. Keira. Il en avait toujours été ainsi.

Première chose étrange de ce rituel. Aleister. Hormi le fait qu'il était trop sexy pour que ça soit vrai, il parlait en une langue qui n'était pas ma langue maternelle. Ce n'était pas non plus du français et pourtant, je comprenais tout ce qu'il racontait. Alors... soit j'étais trop intelligente... Soit... Soit je ne savais pas. Je pouvais pourtant parier que ce n'était pas du à une intelligence élevée... D'autant plus...

- Aleister?! questionnais-je, soudainement affolée. Le fil de mes pensées se brisèrent à l'instar d'Aleister qui se pliait de douleur. Pourquoi est-ce qu'il avait mal? Pourquoi?! Mes grands yeux apeurés le dévisagèrent longuement, ignorant presque cette voix venue d'outre tombe. Presque seulement car un long frisson d'horreur dégoulina le long de ma colonne vertébrale. Je me préoccupais aussi bien du sort de mon ami, que du mien. Tout s'effondrait. Tout perdait de son sens et de sa substance. Le monde s'écroulait. J'avais l'impression de vivre la fin du monde.

   Aucuns mots ne pouvaient décrire cette expérience. Aucuns mots ne pouvaient décrire toutes les sensations qui nous submergeaient lors de cet instant terrible. Un chaos sans précédant. Un néant terrifiant englouti par les ténèbres de ce monde. La peur. Ce sentiment que je pensais pourtant connaître intimement me semblait moindre en comparaison de la terreur qui m’habita soudainement. Mon palpitant voulait sortir de sa cage pour retourner dans notre monde. Mon corps tremblait comme une feuille sous la brise glaciale de l’hiver. Je voulais partir. Oui. A cet instant précis je voulais reculer et faire machine arrière. Seulement c’était impossible. La machine venait d’être lancée et c’était avec désespoir que j’agrippais Aleister. Il était devenu ma bouée de sauvetage lorsqu’on s’échoue en plein milieu de la mer. Il était mon phare lumineux quand on se perdait en plein océan. Il était la seule chose à laquelle je pouvais me raccrocher. Littéralement. Peureuse que j’étais, j’avais fini par enfouir ma tête blonde au creux de son cou. Je ne voulais pas en voir d’avantages. Paupières fermées avec force, j’attendais que ça passe. J’attendais une sorte de feu vert de la part du sorcier. C’est ce qu’il fit, en quelque sorte. Lorsqu’il me demanda de la trouver, je fis l’effort de me reculer et de le lâcher. Mes claires prunelles s’ouvrirent sans savoir sur quoi j’allais tomber. C’est pourquoi mon premier réflexe fut de planter mon regard dans les deux belles billes incrustées sur la face d’Aleister. Il avait des yeux magnifiques, c’était indéniable.

- Dépêchons-nous... murmurais-je plus pour moi-même qu'autre chose, alors que je tournais les talons.

Je m'attendais à voir un monde chaotique, rempli de bêtes étranges, de corps nus jalonnant le sol, se tordant de douleur. Une image chaotique donnant un avant-gout de l'enfer. Au lieu de ça, je voyais un stand de barbe à papa, un jeu de machine à sous, la grande roue de Coney Island et tout un tas d'autres manèges... Coney Island. Alors ça avait fonctionné. On se trouvait là où je savais que je la trouverais. Pour autant, dans mes souvenirs, l'endroit était lumineux, bondé de monde, et très bruyant. Hors là... C'était étrangement calme, sombre. Les manèges ne brillaient pas de leurs lumières habituels. Ils étaient éteints, sans vie, donnant à cet endroit pourtant si joyeux un aspect lugubre. Je ne percevais aucune odeur de barbe à papa, de gaufres ou bien encore de crêpes. Je ne percevais aucunes odeurs à vrai dire. Et cette absence de senteur s'avérait déroutant.

Contrairement à ce que j'avais pensé, elle ne se trouvait pas tout bêtement devant moi. Non. Cela aurait été beaucoup trop simple. Bien évidemment. Un soupir traduisant mon exaspération franchit mes lèvres pendant que je connectais mes neurones pour faire fonctionner correctement mon cerveau. On était dans un parc d'attraction. L'endroit où j'avais emmené Keira pour le dernier anniversaire que l'on avait fêté ensemble... Si je devais la trouver quelque part, précisément... ça serait...

- La maison des miroirs!

Comme une poule enragée je m'étais exclamée et comme une dinde s'apprêtant à se faire farcir, je courrais en direction de la maison des glaces. Le chemin était très simple. Dans mes souvenirs, il suffisait de tourner à droite à partir de la machine à sous, de dépasser quelques attractions, tourner encore à droite, puis encore à gauche... et tout ça pour quoi? Me retrouver nez à nez avec un clown effrayant qui gardait la maison des horreurs. C'était bien gentil mais moi, je voulais la maison des miroirs!

- Je trouve pas...

Frustration et mécontentement. J'étais persuadée de me trouver sur la bonne route et pourtant... Non. Furibonde, j'adressa un regard courroucé en la direction de ce pauvre clown inanimé. Comme si c'était de sa faute. Bien entendu que non, c'était pas de sa faute. Enfin je crois. J'espérais, tout du moins. Poings serrés sur les hanches, je tentais de me remémorer le trajet lorsqu'un mouvement suspect attira mon attention.

En pivotant de quelques pas, mes yeux s'accrochèrent sur une petite silhouette. Une petite fille, à en juger par sa longue chevelure blonde. Je ne la voyais que de dos mais je pouvais deviner qu'elle pleurer de par les tremblements qui agitait ses frêles épaules. Que faisait une gosse dans en endroit pareil? A pas lent, je m'avançais vers elle. Je sentais vaguement un sentiment d'angoisse envahir mes membres. Dans les films d'horreur, généralement, ce genre de situation se finissait mal. Dans une vielle série de zombie, The walking dead, la petite fille était un affreux zombie déchiqueté. Qui pouvait m'assurer que je n'allais pas tomber sur un zombie? Ou pire encore! Une enfant clown! Beurk! Une fois assez proche de la supposée enfant clown-zombie, je tendis une main tremblante en sa direction, mais à peine mes doigts effleurèrent son épaule qu'elle se retourna et ...

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaah!! criais-je aussitôt, une main devant ma bouche.

Je devrais partir ou m'enfuir... Ou au moins me reculer. Impossible. J'étais purement et tout simplement tetatinée devant cette absence de visage! C'était pas une vie bon sang! Comment allait-elle faire pour se maquiller, plus tard?! La gamine... si on pouvait appeler ça ainsi, posa son index à l'endroit où aurait du se trouver ses lèvres. La respiration saccadé, le coeur palpitant avec force, je continuais de l'observer, sans la voir. Je ne voulais pas affronter cette réalité. Pourtant, ce sont ses petits doigts que je sentis attraper ma main pour m'entraîner en direction de la maison des horreurs. Devais-je la suivre, d'ailleurs? Aucune idée, mais c'était quand même ce que je fis. Peut-être était-elle mon espèce de guide à travers tout ce brouillard? Nah?